Conseils et ressources pour les étudiants en journalisme d’investigation
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Vous souhaitez vous lancer dans le journalisme d’investigation ? Que vous soyez étudiant ou autodidacte, voici dix conseils que GIJN a recueilli auprès de journalistes d’investigation du monde entier ayant également la casquette d’enseignants dans des formations à l’enquête et au data-journalisme reconnues. L’article comprend aussi des ressources clés pour qui veut devenir un journaliste d’enquête.
Le métier de journaliste d’investigation fait rêver.
Du film « Les hommes du président » – le récit de l’enquête sur le scandale du Watergate – à des long métrages plus récents comme « The Post », « Spotlight » et « She Said », Hollywood a nourri l’image du journaliste d’investigation comme un reporter intrépide qui se bat pour creuser une histoire interdite. Il y a une part de vérité dans ces films, qui ont peut-être suscité des vocations, même si la réalité de la profession est plus riche et plus complexe.
On devient rarement journaliste d’investigation du jour au lendemain. Et si les enquêtes continuent de nécessiter un travail et des méthodes de journalisme “à l’ancienne”, certains outils plus récents ou des techniques innovantes relevant, par exemple, de l’OSINT nécessitent un apprentissage.
Devenir journaliste d’investigation n’est pas hors de portée, à condition d’avoir reçu la formation nécessaire. Celle-ci peut se faire dans une école de journalisme ou en apprentissage, mais aussi, de manière moins académique, en s’appuyant sur des ressources gratuites en ligne. Une autre option consiste à apprendre le métier « sur le tas » en suivant le sillage de journalistes plus expérimentés.
La formation n’est pas tout ce dont vous aurez besoin : comme pour toute trajectoire professionnelle, il vous faudra aussi, sans doute, de la chance, des bonnes rencontres et de bons mentors.
Vous êtes étudiants et vous souhaitez faire une école de journalisme ou une formation au journalisme d’investigation ? Vous êtes déjà journaliste, ou reporter autodidacte, et vous souhaitez apprendre à réaliser des enquêtes plus approfondies ou vous lancer dans le data-journalisme ? GIJN a réuni dans cet article des conseils de journalistes d’investigation qui enseignent tous le journalisme d’enquête ou le data-journalisme. Des conseils que nous complétons par des ressources sur lesquelles vous appuyer :
1. Comprendre ce qu’est le journalisme d’investigation
Dans leur ouvrage « Principes du Journalisme », Tom Rosenstiel et Bill Kovach écrivent que le cœur du journalisme est de fournir au public des informations fiables, pertinentes et véridiques afin que chacun devienne un citoyen informé.
Mais qu’est-ce que le journalisme d’investigation ? GIJN propose une définition de la profession en notant que le terme « investigation » dans le dictionnaire est associé à l’adjectif « systématique » et implique des recherches approfondies et des reportages originaux. Une autre caractéristique du journalisme d’investigation est qu’il révèle des informations que certaines personnes ou institutions préféreraient garder cachées. En effet, si une enquête ne révèle rien d’inédit, ce n’est pas une enquête.
Mais attention, une simple fuite de document n’est pas non plus une enquête… mais peut en être le point de départ. Ainsi, si les enquêtes #PanamaPapers, #LuxLeaks ou #UberFiles ont toutes effectivement commencé par une fuite massive de données. Ces documents ont ensuite été analysés par des journalistes et utilisés pour faire parler des sources.
2. S’assurer que le journalisme d’investigation est votre “truc”
“Tous les journalistes n’ont pas le tempérament pour devenir journaliste d’investigation”, estime Claudine Blais, professeure de journalisme à l’Université de Montréal. L’ancienne rédactrice en chef de l’émission Enquête à Radio-Canada dit ainsi repérer rapidement, parmi ses étudiants, qui a “le profil” pour faire du journalisme d’investigation. “Ceux qui passent un appel, n’ont pas de retour et en restent là, je sais que cela ne va pas tenir la route pour une enquête”, tranche-t-elle. “Il faut être insistant, passer vingt coups de téléphone, ne pas abandonner rapidement et faire preuve de stratégies pour contourner les difficultés”, poursuit-elle en estimant qu’il faut savoir, avec ses interlocuteurs, s’arrêter à la limite “juste avant le ‘non’”.
3. Avoir conscience que c’est un travail sérieux et difficile
“Si on décide de se lancer dans le journalisme d’investigation, il faut prendre cela au sérieux”, estime Hamadou Tidiane Sy, ancien vice-président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) et directeur de l’école du journalisme E-jicom de Dakar, au Sénégal. “Faire du bon journalisme est difficile… mais faire du journalisme d’investigation est encore plus difficile”, souligne t-il. Avant d’ajouter : “Il ne faut pas penser qu’il va suffire de quelqu’un vous contacte avec “un dossier explosif” et que vous n’aurez qu’à tout balancer. Non, il y a un long travail de recoupements avant la parution d’une enquête”.
Sur le site de GIJN, la rubrique “How they did it”/”Les coulisses de l’enquête” peut vous donner un aperçu du temps et de la rigueur nécessaire pour mener à bien une investigation.
4. Ne jamais oublier : L’éthique
Comme dans tous les genres journalistiques, « la discipline de l’éthique » est vitale, explique Pınar Dağ, rédactrice en chef de GIJN pour la Turquie, qui est également chargée de cours à l’université Kadir Has d’Istanbul. Les journalistes doivent donc être « honnêtes, justes et courageux dans la collecte d’informations, le reportage et le processus d’interprétation », dit-elle. « L’un des codes éthiques du journalisme d’investigation consiste à faire preuve d’une grande prudence et d’une grande sensibilité pour minimiser les dommages et éviter d’impliquer des groupes vulnérables, des enfants, des animaux, des groupes défavorisés et des membres de la famille qui ne sont pas impliqués dans l’histoire », conseille-t-elle.
Au-delà de la question morale, le respect de normes éthiques élevées confère de la crédibilité à votre enquête. GIJN aborde régulièrement ce sujet, comme dans cet article : « Les journalistes ont-ils le droit de mentir pour obtenir un article ? » Le chapitre sur l’éthique de notre Guide des enquêtes citoyennes est également une excellente introduction.
5. Lire, écouter, regarder des enquêtes
Tout métier procède d’une part, sinon d’imitation, d’inspiration et le journalisme d’investigation ne fait pas exception : les enquêtes que vous lisez ou regardez nourriront celles que vous mènerez dans trois, cinq ou dix ans. Alors que les formats d’enquête n’ont jamais été aussi variés, lire, voir, écouter ces enquêtes sont une étape fondamentale dans l’apprentissage du métier de journalisme d’investigation.
Pour ne pas rater les meilleures enquêtes, inscrivez-vous à la newsletter internationale (en anglais) de GIJN ou à l’une ou l’autre des sept newsletters régionales de GIJN publiées dans différentes langues : vous y trouverez chaque mois une sélection des meilleures enquêtes parues aux quatre coins du monde.
Autres sources d’inspiration : la rubrique « Editor’s picks » pour laquelle les éditeurs régionaux de GIJN sélectionnent chaque fin d’année les meilleures enquêtes de leur région ou encore les prix Global Shining Light de GIJN qui récompensent, tous les deux ans, une enquête dans un pays en développement ou en transition, réalisée sous la menace, la contrainte ou dans des conditions difficiles.
6. Apprendre à identifier des sujets
“L’une des clés dans le journalisme d’investigation, c’est l’identification des sujets à traiter”, estime Gaëtan Gras, journaliste indépendant et professeur de journalisme d’enquête à l’IHECS, à Bruxelles. “Pour être force de proposition, il faut être proactif et effectuer une veille sur l’info pour déceler les signaux faibles : au détour d’une conversation dans le cadre de votre vie privée, en discutant avec des collègues de travail, en lisant votre journal, votre site d’information ou la concurrence, en observant le monde qui vous entoure”, détaille-t-il.
Gaëtan Gras invite, par ailleurs, les futurs journalistes d’investigation à ne pas minimiser la lecture des titres de presse étranger : “Certaines bonnes enquêtes sont des adaptations de sujets réalisés ailleurs”. De nombreux articles de GIJN s’appuient sur des études de cas avec des exemples d’enquêtes menées dans un pays qui peuvent très bien être dupliquées ailleurs dans le monde.
Joël Matriche, journaliste d’investigation au quotidien belge Le Soir, conseille de garder en tête qu’un sujet que tout le monde a déjà évoqué et qui est, en quelque sorte, tombé dans “le domaine public” n’est pas, pour autant, un sujet “mort” : “Il peut arriver que le journaliste sente que l’explication n’est pas satisfaisante, que des zones d’ombre demeurent et que cela vaudrait la pein de creuser davantage”, fait-il valoir. Cela donne parfois de bons résultats et dans le pire des cas, en multipliant les coups de téléphone, le journaliste étoffe au moins son carnet d’adresses de nouveaux contacts… qui deviendront peut-être des sources.
Mais comment savoir si vous avez identifié un bon sujet d’enquête ? Damien Brunon, responsable numérique et investigation à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille demande toujours à ses étudiants de mener une “pré-enquête” en répondant à trois questions :
- C’est quoi le problème ?
- Qu’est ce qui a déjà été écrit sur le sujet ? (revue de presse approfondie)
- De quoi ai-je besoin de quoi pour y arriver (quels documents, quels accès, quels contacts…)
Il insiste : “Il n’y a pas de bonne enquête sans bonne pré-enquête.”
7. Se faire remarquer
Le journaliste d’investigation norvégien, Tarjei Leer-Salvesen, qui enseigne le dans les universités de Bergen et Stavanger recommande à ses étudiants d’essayer de se “faire remarquer”.
« Les rédacteurs en chef dans les rédactions ne cessent de dire aux étudiants d’apprendre un peu de tout, car cela facilite leur propre travail. Mais l’astuce, à mon avis, consiste à désobéir à cette injonction à ‘tout faire’ en réalisant quelques articles exceptionnels que le rédacteur en chef remarquera et qui lui plairont », explique-t-il.
Il illustre son propos avec plusieurs cas de figure concrets :
- Si vous couvrez le sport, faites-le ! Mais si vous apprenez aussi les bases de la comptabilité, vous serez bientôt le seul journaliste à comprendre l’économie d’un club sportif.
- Si vous voulez couvrir la politique, apprenez aussi les statistiques. Vous pourrez alors non seulement couvrir les conférences de presse mais aussi dénoncer les mensonges d’un politicien.
- Si vous couvrez le développement et l’aménagement des villes, devenez un spécialiste de la liberté d’information et enrichissez votre couverture avec des documents que personne d’autre ne possède.
Lors d’une masterclass organisée par GIJN en français, le journaliste d’investigation, co-responsable du service enquête de Mediapart, Fabrice Arfi a recommandé, lui aussi, d’être « touche à tout” tout en ayant un “port d’attache éditorial”. “Je crois que cet alliage, pour un jeune journaliste, est une façon de se faire remarquer par des chefs de service, des rédactions en chef”, expliquait-il.
Le Centre de ressources de GIJN propose une série de guides et d’articles pour aider les journalistes à apprendre comment enquêter sur des sujets spécifiques comme, par exemple, la traite des êtres humains, les élections, la santé et la médecine, les crimes de guerre, ou à approfondir des techniques spécifiques comme l’interview, la recherche de sources expertes et la recherche avancée en ligne.
L’obtention d’une bourse ou d’un prix peut être une excellente occasion de se faire remarquer et de faciliter son intégration sur le marché du travail. GIJN met régulièrement à jour une liste consacrée aux bourses et aux subventions.
8. Penser à son lecteur
La phrase est un classique dans toutes les écoles de journalisme et rédactions du monde. Une enquête doit rester digeste, attrayante et intéressante pour le lecteur. “Il faut vulgariser, dé-complexifier un sujet sur lequel on passe parfois des mois, pour offrir aux lecteurs l’essentiel. Il faut éviter de le noyer dans des détails insignifiants quitte à jeter à la poubelle des jours ou des mois de travail”, recommande ainsi Gaëtan Gras.
“Quand on fait un papier d’enquête, il faut avoir une forme de sobriété dans l’écriture. (…) Je suis pour une forme de sécheresse factuelle, une sorte de brutalisme factuel dans les enquêtes”, insiste, lui aussi, Fabrice Arfi dans la masterclass organisée par GIJN.
Plusieurs articles-ressources GIJN avec des “conseils pour mieux écrire” sont disponibles sur notre site.
9. Cultiver son réseau
Les réseaux et collectifs de journalistes d’investigation peuvent se révéler très utiles pour nouer des liens en vue de collaborations mais aussi pour trouver des pairs, des mentors, des partenariats et des contacts.
Cela entretient aussi votre connaissance du secteur. Abonnez-vous, sur les réseaux sociaux, à des organisations reconnues pratiquant ou soutenant le journalisme d’investigation. La liste des membres de GIJN dans votre région peut être un bon début.
Les conférences sur le journalisme organisées dans votre région (Dataharvest, Conférence africaine sur le journalisme d’investigation…) sont une excellente façon de rencontrer des journalistes inspirants. Le ticket d’entrée peut-être élevé pour un étudiant mais ces grands événements recherchent parfois des bénévoles pour les aider en contrepartie d’un accès aux tables-rondes : renseignez-vous ! Pensez aussi à la Conférence internationale sur le journalisme d’investigation organisée par GIJN tous les deux ans : c’est le rendez-vous incontournable des journalistes d’investigation du monde entier. Pour chaque conférence, un certain nombre de journalistes des pays en développement peuvent y assister gratuitement, grâce à un programme de bourses.
10. Ne jamais cesser de se former
Si vous avez la chance de bénéficier d’une formation initiale de plusieurs mois, voire plusieurs années : tirez-en parti au maximum ! Mais n’oubliez pas que l’apprentissage du métier se poursuit tout au long de votre vie professionnelle. Parce que le datajournalisme et le journalisme d’investigation nécessitent des savoir-faire techniques (utiliser des images satellites, retrouver des contenus en ligne qui ont disparu, vérifier des contenus, faire des recherches en sources ouvertes, analyser des données…), il est essentiel de se former en permanence, comme l’ont rappelé plusieurs des journalistes interrogés pour cet article.
GIJN propose régulièrement des webinaires gratuits avec des journalistes d’investigation reconnus qui permettent de former et d’inspirer des journalistes dans le monde entier. Une autre source d’inspiration peut être de suivre les conseils et d’utiliser les outils favoris de journalistes d’investigation renommés et primés. Enfin, les étudiants peuvent s’abonner à nos comptes X/Twitter, Facebook, Linkedin ainsi que notre liste de diffusion pour ne pas rater une opportunité.
Alcyone Wemaëre est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.