Illustration: Roy Blumenthal pour GIJN
Exposer la corruption au Malawi : 10 questions à Golden Matonga
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#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cette interview « 10 questions à », découvrez les conseils et le parcours inspirant du journaliste d’investigation malawien, Golden Matonga.
Le journaliste d’investigation malawien Golden Matonga porte plusieurs casquettes journalistiques. Il est responsable des enquêtes pour PIJ-Malawi (Platform for Investigative Journalism) et assume actuellement la fonction de directeur général par intérim de l’organisation, pendant que son fondateur, Gregory Gondwe, est en congé sabbatique pour étudier à l’Université Stanford aux États-Unis dans le cadre d’une bourse John S. Knight.
Matonga est également le vice-président de MISA (Media Institute of Southern Africa), une organisation à but non lucratif dont le siège social est en Namibie et qui promeut la liberté de la presse et le droit à la liberté d’expression; mais aussi le président de la branche de MISA au Malawi.
Bénéficiaire en 2023 de la bourse Hubert Humphrey à l’université d’État de l’Arizona aux États-Unis, Matonga est également un membre de l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), et il a participé à de nombreuses enquêtes à fort impact, notamment les investigations retentissantes de Pandora Papers et de FinCEN Files. Dans son pays d’origine, Matonga a joué un rôle prédominant dans des enquêtes sur la corruption et les abus de pouvoir.
Cette année, entre mai et juin, Matonga s’est rendu aux États-Unis pour couvrir l’élection pour The Continent, un journal panafricain fondé en 2020 qui est diffusé au public principalement via WhatsApp. Son travail a également été publié dans le New York Times, le Financial Times et le Mail & Guardian.
Dans cette interview, qui s’inscrit dans une série d’interviews de journalistes d’investigation bien connus, menées par GIJN, Matonga parle de son expérience en matière d’enquêtes collaboratives en Afrique et ailleurs, des leçons qu’il a tirées durant ses 17 ans de carrière, et il donne des conseils qui, selon lui, peuvent améliorer le journalisme d’investigation en Afrique.
GIJN : Parmi toutes les enquêtes que vous avez réalisées, quelle est celle que vous avez préférée et pourquoi ?
Golden Matonga : C’est une question intéressante. En fait, on finit par aimer toutes les enquêtes comme des enfants, mais une de nos investigations principales réalisée dans le cadre de la PIJ (Platform for Investigative Journalism) est une série d’enquêtes liées à une entité commerciale ou à un homme d’affaires. Cette enquête s’articule autour de plusieurs éléments; c’est important pour nous parce qu’elle sert souvent de point de référence pour notre travail. Je ne dirais pas que c’est l’enquête que je préfère, mais c’est celle qui définit vraiment le travail que nous avons achevé jusqu’à présent au Malawi. (L’homme d’affaires du Royaume-Unis au cœur de cette enquête a été arrêté en octobre 2021 par la NCA (National Crime Agency) au Royaume-Uni. Le bureau de lutte contre la corruption du Malawi a ensuite classé les affaires de corruption impliquant les soi-disant partenaires malawiens de l’homme d’affaires, mais en août 2024, une de ces décisions a été contestée au tribunal par un groupe local de lutte contre la corruption.)
GIJN : Quels sont les principaux défis que vous avez dû relever en tant que journaliste d’investigation dans votre pays ? Dans votre cas, puisque vous avez également réalisé des enquêtes collaboratives sur tout le continent, quel sont les problèmes qui, à votre avis, freinent les investigations sur le continent ?
GM : Au Malawi, le problème majeur est toujours le fléau du secret auquel les journalistes doivent faire face dès qu’ils essaient de travailler avec des sources qui occupent des postes dans la fonction publique. Même lorsque la loi a mis en place un cadre permettant aux journalistes d’accéder à des informations avec notamment, au Malawi, la loi sur l’accès aux informations qui correspond aux lois sur la liberté d’expression dans certains pays occidentaux, les responsables sont encore peu disposés à fournir des informations, et surtout à un journaliste d’investigation. Lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ont affaire à un journaliste d’investigation à la recherche d’informations, ils sont très réticents et cela complique vraiment la situation.
Nous avons également remarqué que dans un pays avec, relativement parlant, de fortes valeurs démocratiques, comme le Malawi, il arrive encore que des journalistes d’investigation soient arrêtés. Notre équipe en a fait l’expérience. Un de nos directeurs (Gregory Gondwe) a été arrêté, il a subi des menaces physiques de mort et a dû s’exiler d’urgence à un moment donné en raison des menaces de mort dont il avait fait l’objet. Ce sont les problèmes graves auxquels nous devons faire face en tant que journalistes.
À l’heure actuelle, l’un des obstacles majeurs qui freinent le journalisme d’investigation en Afrique, et pas des moindres, est le cadre juridique, à savoir la loi sur la cybersécurité. Dans plusieurs pays africains, cette loi est de plus en plus utilisée pour étouffer le journalisme d’investigation, la liberté d’expression et en général le public, en augmentant l’autocensure. Cela signifie que les personnes supposées pouvoir s’exprimer en ligne ne peuvent pas le faire par peur de représailles. Cela a un effet paralysant sur la démocratie, mais également sur les journalistes d’investigation, car les éventuels lanceurs d’alertes ont peur de parler. En outre, même ceux qui sont devenus des lanceurs d’alertes peuvent être parfois arrêtés. Je me souviens d’un incident durant lequel le gouvernement a voulu nous forcer, via les forces de police, à révéler le nom de nos lanceurs d’alertes et des sources de notre enquête. La loi sur la cybersécurité est ainsi devenue une menace pour le journalisme d’investigation sur le continent.
GIJN : Au niveau personnel, en tant que journaliste d’investigation, quel est le plus grand défi que vous ayez dû relever ? Comment l’avez-vous surmonté et quelles leçons en avez-vous tirées ?
GM : En tant que journaliste d’investigation, je me suis trouvé dans des situations parmi les plus difficiles lorsque j’ai eu la possibilité de publier, à certaines étapes de ma carrière, des enquêtes que la direction de certains journaux pour lesquels j’avais travaillé percevait comme une menace pour les intérêts commerciaux de leur activité. Je me suis également trouvé dans des situations compliquées, là encore en raison du cadre légal bien évidemment, lorsque j’ai été menacé d’être arrêté. Ces épisodes auraient pu nous empêcher de poursuivre notre carrière de journaliste d’investigation, mais nous avons dû persévérer en formant des coalitions et en mettant en place des plateformes comme PIJ, qui n’ont aucun intérêt commercial et qui bénéficient du soutien renforcé de partenaires dans le secteur de la gouvernance. Voilà donc mon expérience, les difficultés que j’ai rencontrées et comment je les ai surmontées. Je pense que le plus important a été de pouvoir constituer une coalition d’alliés en interne, au Malawi, pour nous assurer qu’ils protègent les ressources fournies pour le travail de journalisme d’investigation que nous prévoyions d’entreprendre, mais également de mobiliser des partenaires en externe qui nous permettraient de publier nos enquêtes ailleurs si leur publication n’était pas autorisée dans le pays.
Le groupe IJ Hub, basé en Afrique du Sud, a été un de ces alliés clés, et l’une des structures de soutien essentielles pour le journalisme d’investigation au Malawi et pour moi personnellement. Ils nous ont aidés en nous fournissant des ressources pour faire notre travail, mais ils se sont également manifestés et nous ont apporté un soutien précieux lorsque nous étions menacés. L’institut MISA (Media Institute of Southern Africa), qui est aussi présent au Malawi, a également soutenu très activement le travail des journalistes. Il se trouve que je fais actuellement également partie de l’institut MISA. J’ai donc pu apprécier à sa juste valeur le rôle qu’il a joué en veillant à accompagner les journalistes qui subissent des menaces. Il est à mon avis absolument essentiel que nous continuions à établir ces partenariats pour nous assurer que les journalistes d’investigation se sentent en sécurité et bénéficient du soutien nécessaire pour continuer à assumer leur rôle crucial de garant de la redevabilité.
Au-delà du continent, nous avons bénéficié du soutien du CPJ (Comité pour la Protection des Journalistes). Chaque fois que les membres d’une communauté de médias au Malawi ont été menacés, CPJ a apporté son soutien pour garantir la sécurité des journalistes. L’ICIJ a également déployé des efforts considérables pour soutenir la collaboration sur le continent et au-delà. Le modèle de l’ICIJ s’est assuré que les journalistes africains peuvent réaliser des enquêtes sur les affaires africaines. De même, en leur fournissant un support technique essentiel, nous avons pu collaborer en exploitant les points forts de chacun pour garantir la qualité du journalisme d’investigation. Ainsi, que ce soit sur le plan régional ou mondial, l’ICIJ a joué un rôle absolument crucial et des centres comme PIJ ont tiré profit du travail d’investigation qu’ils ont réalisé avec l’ICIJ.
Sur le continent africain, je pense qu’en tant que journalistes nous devons examiner un point critique, à savoir notre mode de collaboration à l’échelle régionale, mais également continentale. Il semble que les journalistes africains collaborent davantage avec leurs collègues occidentaux qu’entre eux à l’échelle régionale, dans le cadre d’une collaboration entre les journalistes d’Afrique de l’Ouest et ceux d’Afrique australe, par exemple. Jusqu’à présent, la plupart des collaborations interafricaines ont été placées sous l’égide de l’ICIJ, lorsque des journalistes ouest-africains collaborent avec des journalistes d’Afrique australe. Toutefois, je pense que nous devons déployer davantage d’efforts pour garantir la collaboration au sein de nos propres rangs, sur le continent.
GIJN : Vous avez interviewé de nombreuses personnes dans le cadre de vos enquêtes d’investigation. Quel est le meilleur conseil que vous pouvez donner pour réussir une interview ?
GM : Je pense que pour réussir une interview, il est essentiel de la préparer et de faire des recherches au préalable. Le meilleur conseil que je puisse donner est donc de faire des recherches et de bien connaître le sujet. Une bonne interview sera toujours le résultat de bonnes recherches préalable.
GIJN : Quel est l’outil, la base de données ou l’application que vous préférez utiliser pour enquêter ?
GM : J’adore le travail collaboratif, donc toute application qui facilite cela est ma préférée. Qu’il s’agisse d’iHub de l’ICIJ ou d’un document Google qui va m’aider à co-éditer une enquête avec mes collègues, je suis toujours impatient de savoir comment nous pouvons exploiter les outils collaboratifs à notre disposition, car je reconnais les avantages considérables de la collaboration.
GIJN : Quel est le meilleur conseil que l’on vous a donné jusqu’à présent durant votre carrière et quels sont ceux que vous donneriez à un futur journaliste d’investigation ?
GM : Le meilleur conseil qui m’ait jamais été donné au cours de ma carrière est de faire preuve de patience dans mon travail. J’ai toujours été impatient de publier mes enquêtes. Pourtant, en travaillant trop vite, nous passons à côté de beaucoup de détails. Il est donc important de prendre le temps nécessaire pour réaliser une enquête. Il faut faire preuve de rigueur pour traiter un sujet du mieux possible tout en bénéficiant d’une protection juridique, et surtout être capable de tempérer son enthousiasme.
J’encourage toujours les personnes qui souhaitent devenir des journalistes d’investigation à se lancer, tout simplement. Commencez à travailler et apprenez auprès des meilleurs. Vous vous perfectionnerez au fil du temps. Personne ne réussit sa carrière de journaliste d’investigation sans expérience. Vous devez renforcer la confiance de vos sources et continuer à publier des enquêtes.
GIJN : Dites-moi maintenant quelqu’un vous a donné le goût du journalisme d’investigation. Quel journaliste admirez-vous et pourquoi ?
GM : Dans le domaine du journalisme en général, j’admirais un ancien correspondant étranger à la BBC originaire du Malawi, le défunt Raphael Tenthani. Il écrivait également une chronique politique que j’appréciais beaucoup, comme tout ce qu’il écrivait d’ailleurs. Mais, en fin de compte, c’est grâce à Mabvuto Banda que j’ai commencé à me passionner pour le journalisme d’investigation. Il a été un journaliste d’investigation prolifique au Malawi et son travail, au Malawi et dans le monde entier, m’a inspiré au point de vouloir atteindre le même niveau d’exigence. En tant que journaliste, il a achevé un travail important au Malawi et c’est pour l’impact qu’il a eu, et sa capacité à tenir les individus puissants pour responsables de leurs actes, que je l’ai admiré au plus haut point et que je le considère comme un éventuel modèle.
De nombreux journalistes africains font un travail exceptionnel et très intéressant dont je suis vraiment fier et que je me réjouis de lire. J’ai également aimé travailler avec Simon Allison du journal The Continent. Je vais aussi dire un mot sur mon collègue Gregory Gondwe, un des journalistes les plus courageux qui existent à l’heure actuelle. Son travail intègre est toujours une source d’inspiration, tout comme sa profonde détermination à persévérer et à publier des enquêtes, quelles qu’en soient les conséquences. Je pense que c’est l’état d’esprit dont devraient essayer de faire preuve de nombreux journalistes.
GIJN : Quelle est la pire erreur que vous ayez commise et quelles leçons en avez-vous tirées ?
GM : Au début de ma carrière de journaliste, j’étais toujours impatient d’écrire des enquêtes, mais je n’étais pas assez rigoureux quand il s’agissait de vérifier les faits. Je me suis trouvé dans des situations embarrassantes où j’avais mal orthographié le nom de personnes mentionnées dans mes enquêtes. Il faut être rigoureux quand on travaille pour un journal imprimé, car il est impossible de revenir en arrière pour modifier le nom d’une personne. Cela doit nous servir de leçon à nous les journalistes et nous inciter à faire notre travail consciencieusement en veillant à bien lire et relire nos productions écrites avant de les soumettre. Le processus de filtrage des informations doit également être très rigoureux, car si un journaliste fait une erreur, le rédacteur en chef ou rédacteur en chef adjoint doivent pouvoir la repérer.
GIJN : Comment évitez-vous l’épuisement professionnel dans votre métier ?
GM : L’épuisement professionnel est un problème grave et je pense que la plupart des rédactions (en Afrique) ne s’investissent pas suffisamment pour éviter que leurs équipes n’en souffrent pas. Outre l’aspect physique de l’épuisement, il y a également l’aspect mental. On s’épuise à rechercher des sujets d’enquête, à se débattre avec les sources pour obtenir des informations et parfois à lire les commentaires. La négativité que déclenchent parfois certaines enquêtes peut occasionner du stress mental pour les journalistes.
Je ne pense pas avoir eu besoin de faire appel à des méthodes spécifiques pour éviter l’épuisement professionnel. Toutefois, dès que j’en ai l’occasion, j’essaie autant que je le peux de prendre une distance vis-à-vis de mon travail, de me concentrer sur des activités autres que le journalisme et d’avoir des activités sociales.
GIJN : En matière de journalisme d’investigation en Afrique, qu’est-ce qui vous frustre le plus et vous espérez voir changer rapidement ?
GM : En dénonçant des abus de pouvoir ou la corruption, on pourrait espérer que d’autres aspects de la structure de gouvernance, les autorités chargées de l’application de la loi, vont s’atteler au problème et veiller à ce que les personnes que les journalistes d’investigation ont exposées rendent des comptes. Pourtant, dans bien des cas, ces autorités, ou alors d’autres parties prenantes comme la société civile, ne donnent aucune suite aux révélations. Cela devient alors très problématique pour le journalisme d’investigation sur le continent. L’effet de votre enquête se limite alors à des réactions sur les réseaux sociaux ou de la part de vos followers. C’est donc, à mon avis, une réalité très frustrante pour un journaliste d’investigation.
Benon Herbert Oluka est le responsable Afrique de GIJN. Journaliste multimédia ougandais, il est cofondateur de The Watchdog, un centre de journalisme d’investigation dans son pays d’origine, et membre de l’African Investigative Publishing Collective. M. Oluka a été reporter et rédacteur en chef pour les journaux The East African, Daily Monitor et The Observer. Il a également travaillé au bureau de l’Afrique subsaharienne de l’agence de presse Reuters à Johannesburg, en Afrique du Sud, et au programme Newsday de la BBC World Service Radio à Londres, au Royaume-Uni. En tant que journaliste indépendant, les travaux d’Oluka ont été publiés dans The Africa Report, Africa Review, Mail & Guardian Africa, Mongabay et ZAM magazine.