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Enquêter sur la santé et la médecine: Chapitre 1 – Développement et homologation des médicaments

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Développement et homologation des médicaments

Conseil 1 :  Enquêtez sur toutes les étapes du processus        

Si votre enquête concerne les médicaments, il est essentiel que vous vous plongiez dans l’historique de leur développement et de leur homologation. Il existe une mine d’informations précieuses. Bien que tous les pays aient leur propre agence de réglementation (voir annexe), les travaux de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis et de l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont une grande influence sur le marché pharmaceutique mondial.

Les preuves soumises par l’industrie aux organismes de réglementation pour prouver l’innocuité et l’efficacité des produits peuvent être publiques et disponibles sur les sites web des organismes de réglementation. Mais elles n’apparaissent souvent pas dans les supports marketing post-homologation.

Le processus d’examen et d’homologation du médicament comprend cinq étapes appelées phases, qui sont présentées dans la figure ci-dessous. Il est essentiel d’approfondir toutes ces étapes, en commençant par les Essais contrôlés randomisés (ECR), menés pendant les phases II et III. Ceux-ci sont considérés comme l’ « étalon-or ». C’est souvent à ce stade que vous trouvez les meilleures preuves. Ces preuves sont souvent plus probantes que celles qui seront collectées lorsque le produit sera sur le marché. Cependant, même les ECR peuvent être « manipulés » de manière à induire en erreur.

Ainsi, une bonne partie du journalisme d’investigation dans la santé ne devrait pas se concentrer uniquement sur la corruption financière, les médicaments néfastes ou les effets induits par l’utilisation des dispositifs médicaux. Il est aussi important d’enquêter sur les essais cliniques mal conçus ou mal conduits et non publiés lorsqu’ils sont négatifs ou mal interprétés. En effet, même certains des ECR les plus cités publiés dans des revues médicales prestigieuses se sont révélés inexacts. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’éminent article de John P. A. Ioannidis : Why Most Published Research Findings are False (Pourquoi la plupart des résultats de recherche sont faux). En un mot, aussi bien les méthodologies requises que les processus d’homologation sont plus rigoureux et plus révélateurs aux phases antérieures.

Illustration: Re-Check.ch.

La phase d’homologation crée une tension majeure entre les intérêts publics et commerciaux. Le fabricant tentera d’exercer une influence maximale sur les régulateurs, dont la décision déterminera non seulement si le médicament peut être commercialisé, mais aussi les utilisations pour lesquelles il pourra être vendu. En outre, c’est un fait notoire, les sociétés pharmaceutiques inondent les régulateurs d’une quantité de documentation considérable. Bien que cela puisse sembler une bonne chose, dans certains cas, cela rend le travail des agences plus difficile, car leurs capacités sont clairement limitées.

La première étape consiste à examiner de près tous les détails du processus d’homologation. Vérifiez si les standards ont été respectés et si le sponsor a bénéficié d’une flexibilité exceptionnelle comme des dérogations ou des concessions. Par exemple, les organismes de réglementation peuvent avoir autorisé l’entreprise à démontrer l’efficacité du médicament sans se fonder sur son efficacité sur l’objectif principal visé, mais plutôt sur la base des résultats obtenus sur un critère de substitution (« surrogate endpoint »).

Les critères de substitution sont des indicateurs (souvent des biomarqueurs comme des tests sanguins) choisis par les chercheurs parce qu’ils sont considérés comme des contributeurs importants au mécanisme d’une maladie. Par exemple, la pression artérielle peut être utilisée comme critère de substitution dans un essai sur les médicaments cardiovasculaires, car il s’agit d’un facteur de risque connu de crise cardiaque (infarctus du myocarde) et d’accident vasculaire cérébral. L’hypothèse est que si le médicament montre un effet sur le critère de substitution (comme l’hypertension), il y aura également un effet sur le critère clinique (comme les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux).

Malheureusement, dans de nombreux cas, l’effet d’un médicament sur un critère de substitution n’apportera pas le bénéfice escompté aux patients. Il peut même s’avérer qu’il ait un effet dommageable. En outre, les marqueurs de substitution examinent uniquement les avantages sans aborder les effets dommageables. Ainsi, il se pourrait que tel médicament contre le diabète s’avère extrêmement efficace pour abaisser la glycémie (un autre marqueur de substitution pour les diabétiques qui ont tendance à mourir d’infarctus et d’accident vasculaire cérébral), mais que ce même médicament tue plus de patients en endommageant leur foie, car d’autres aspects du mécanisme de la maladie n’ont pas encore été découverts ou bien compris. C’est pourquoi tout résultat obtenu dans une étude conçue avec un critère de substitution doit être considéré avec prudence.

Le site web Students 4 Best Evidence (S4BE) est une bonne ressource pour apprendre les bases dans ce domaine, car il est à la fois précis et intelligible pour les non-scientifiques. S4BE explique les pièges des « critères de substitution » avec un exemple classique des années 1970 : « Les patients souffrant d’arythmie (rythme cardiaque irrégulier) sont habituellement soignés avec des médicaments antiarythmiques pour… ‘corriger’ le rythme cardiaque et le ramener à la normale. L’arythmie est une maladie dangereuse car elle augmente le risque que les patients meurent de crise cardiaque subite. Dans les années 1970, un groupe de chercheurs testait un nouveau lot de médicaments antiarythmiques. Les premiers résultats suggéraient que les nouveaux médicaments avaient réussi à normaliser le rythme cardiaque… Néanmoins, les résultats ont montré par la suite qu’il y avait un taux de mortalité plus élevé dans le groupe recevant les médicaments antiarythmiques par rapport au groupe recevant le placebo. Par conséquent, les mesures du rythme cardiaque étaient trompeuses et les médicaments avaient en réalité fait plus de mal que de bien ».

Une fois que vous avez collecté et analysé les résultats issus d’essais cliniques, il est crucial de comparer les données présentées aux agences avec les preuves publiées dans les revues médicales. Vérifiez la cohérence et les écarts, et soyez attentif à chaque étude soumise aux régulateurs. Vous découvrirez peut-être qu’une étude qui a joué un rôle important dans le processus d’homologation n’a jamais été publiée dans une revue scientifique, et c’est souvent un signal d’alarme, car tous les résultats obtenus par les agences n’ont pas été ou ne seront pas publiés. Les fabricants s’assurent que les résultats favorables sont diffusés dans les revues scientifiques, mais ce n’est pas toujours le cas avec des résultats peu flatteurs. 

Il existe un cas célèbre où des données non publiées soumises à un régulateur ont été ignorées, avec des conséquences néfastes. L’analgésique Vioxx (rofécoxib) a été un énorme succès commercial pour Merck jusqu’aux découvertes choquantes en 2004 de David Graham, un chercheur à l’ US Food and Drug Administration (FDA). David Graham a révélé que le Vioxx augmentait considérablement le risque de crises cardiaques et estimé que jusqu’à 140 000 infarctus du myocarde et 60 000 décès sont survenus à cause des effets secondaires du médicament. La société a volontairement retiré le médicament du marché lorsque les révélations de Graham ont été publiées. Le Wall Street Journal a rapporté qu’au moins depuis 2000, quatre ans avant de retirer le médicament du marché, Merck savait que le Vioxx augmentait considérablement le taux d’infarctus du myocarde et de décès, mais a choisi de ne pas divulguer les données. Des documents de la société qui ont fuité ont montré comment Merck avait demandé à ses représentants commerciaux d’éviter d’entamer des discussions sur ces effets indésirables. Une étude de décembre 2004, publiée dans The Lancet par l’épidémiologiste suisse Peter Jüni et ses collègues de l’Université de Berne, a démontré que la FDA aurait dû être au courant des dangers du Vioxx, car au moins une partie des données troublantes et non publiées avaient en fait été soumises au régulateur américain. Peter Jüni et ses collègues ont écrit : « Nos résultats indiquent que le rofécoxib aurait dû être retiré plusieurs années auparavant. Il convient de clarifier les raisons pour lesquelles les fabricants et les autorités d’homologation des médicaments n’ont pas effectué de suivi continu et récapitulé les preuves accumulées. »

L’affaire du Vioxx a fait la une des journaux dans le monde entier et a provoqué une avalanche de poursuites judiciaires, auxquelles Merck a mis un terme avec des règlements records (voir, entre autres, ceux rapportés dans cet article de Nature et dans cet article de Reuters.) Cette affaire illustre aussi la façon dont les choses peuvent mal tourner. Parmi les nombreuses ressources disponibles sur la saga du Vioxx qui valent le détour, citons la série spéciale de la radio publique américaine NPR appelée Vioxx: The Downfall of a Drug (Vioxx: Le déclin d’un médicament); la transcription du témoignage de David Graham devant le Sénat américain; et l’article du BMJ (Revue médicale britannique) What Have We Learnt from Vioxx ? (Qu’avons-nous appris du Vioxx ? )

Un autre exemple de publication sélective de preuves pertinentes par l’industrie pharmaceutique est le cas de l’analgésique OxyContin, commercialisé par Purdue Pharma, devenu emblématique de la crise des opioïdes aux États-Unis. La société était au courant des nombreux abus de son médicament au cours des premières années qui ont suivi son autorisation de mise sur le marché en 1995. Cependant, elle a dissimulé des informations, comme l’ont montré les enquêtes du journaliste Barry Meier. Barry Meier avait commencé à couvrir la commercialisation de l’OxyContin et l’épidémie de dépendance aux opioïdes qu’elle a entraîné dès 2001 pour le journal  New York Times. Il a enquêté pendant des années et rédigé un livre publié sur le sujet pour la première fois en 2003, avec une version révisée en 2018 : « Pain Killer : An Empire of Deceit and the Origin of America’s Opioid Epidemic » (Antidouleur : Un empire de tromperie et l’origine de l’épidémie d’opioïdes aux USA). En octobre 2020, le ministère américain de la Justice a annoncé la conclusion de ses investigations pénales et civiles sur Purdue Pharma, qui ont abouti à des plaidoyers de culpabilité au pénal et à un règlement fédéral de plus de 8 milliards de dollars.

Même si des cas similaires montrent les limites du travail des agences réglementaires, les normes du régulateur fédéral américain, la FDA, sont parmi les plus strictes et les plus exigeantes au monde. L’agence produit beaucoup de documentation, dont une grande partie est publiée sur son site web. Il s’agit d’une source utile si vous voulez comprendre comment un produit est arrivé sur le marché. Sur la page de chaque produit spécifique, vous trouverez une chronologie avec des liens vers tous les éléments de preuve pertinents qui ont éclairé le long processus de mise sur le marché d’un médicament.

Pour identifier les études prises en compte lors du processus d’homologation, portez une attention particulière aux lettres d’approbation (approval letters) de la FDA et aux travaux de révision cliniques et statistiques. Mais gardez à l’esprit que le travail de la FDA n’est pas parfait et que l’agence dépend de l’industrie pharmaceutique pour une grande partie de ses financements. Le Project On Government Oversight (POGO) a mené une enquête en 2016 intitulée « FDA Depends on Industry Funding ; Money Comes with ‘Strings Attached« (la FDA dépend du financement de l’industrie; l’argent est assorti de conditions).  Selon cette enquête, au cours des deux dernières décennies, le taux que représentent les « redevances » payées par l’industrie dans le budget de la FDA est passé de 35% à 71%. Ces sommes ont été versées pour « l’examen des demandes portant sur des médicaments à usage humain » en vertu de la loi sur les redevances concernant les médicaments soumis à la prescription.

Cette dépendance et ce conflit d’intérêts évident renforcent l’influence des Big Pharma (les plus grandes sociétés pharmaceutiques), a constaté POGO, et des signes indiquent que le travail de la FDA pourrait être de plus en plus compromis. En témoigne une tendance à abaisser la barre pour l’homologation des médicaments, par exemple en élargissant les critères pour un produit en train d’être homologué dans le cadre de la procédure « Fast Track » (procédure accélérée).

À l’origine, la Fast Track a été inventée avec un objectif noble : mettre rapidement à disposition des patients de nouveaux traitements qui répondraient à des besoins non satisfaits. Une procédure spéciale a été introduite qui accélère l’homologation en réduisant la quantité et la qualité des preuves que l’industrie doit soumettre. Cependant, ces dernières années, la Fast Track est devenu un raccourci pour les sociétés pharmaceutiques, qui leur permet de sauter certaines étapes ou de raccourcir les évaluations approfondies par les régulateurs.

Donald W. Light, Joel Lexchin et Jonathan J. Darrow décrivent d’autres problèmes qui ont attiré notre attention dans leur article « Institutional Corruption of Pharmaceuticals and the Myth of Safe and Effective Drugs » ( La corruption institutionnelle des produits pharmaceutiques et le mythe des médicaments sûrs et efficaces), publié en 2013 dans le Journal of Law, Medicine & Ethics (Revue scientifique de droit, de médecine et d’éthique). Il convient d’ajouter aux problèmes recensés dans leur article le fait que la plupart des nouveaux médicaments homologués par la FDA depuis les années 1970 ne sont pas meilleurs pour les patients que les précédents. La barre de « sûreté » a également été placée très bas, car les médicaments homologués ont provoqué une épidémie incontestée d’effets secondaires nocifs, même lorsqu’ils étaient correctement prescrits.

Combiner des recherches approfondies dans les archives de la FDA et de l’EMA (Agence Européenne des Médicaments) peut apporter de réels avantages à votre travail. Si la FDA publie de nombreux documents, l’EMA, elle, peut être une ressource très intéressante pour accéder au rapport d’étude clinique d’un essai, généralement un long document qui fournit de nombreux détails sur l’essai, ses méthodes et résultats. Comme l’ont souligné les chercheurs Peter Doshi (École de pharmacie de l’Université du Maryland) et Tom Jefferson (Université d’Oxford), la FDA  « traite les rapports d’études cliniques et d’autres parties du dossier soumis par les sponsors comme des informations commerciales confidentielles ». Par conséquent, ceux-ci ne peuvent pas être diffusés en vertu de la Loi américaine sur la liberté de l’information. En revanche, l’EMA interprète tous les documents, y compris les rapports d’études cliniques, comme devant être soumis à sa politique de liberté d’information « réactive ». Elle est d’ailleurs le seul régulateur au monde à publier régulièrement ce type de données. Cependant, l’agence fait face à un nombre énorme et croissant de demandes.

Seuls les citoyens de l’Union Européenne (UE) et les personnes (physiques ou morales) résidant ou ayant leur siège statutaire dans un État membre de l’UE ont le droit d’accéder aux documents de l’EMA. Les détails de la procédure d’obtention des documents sont disponibles sur le site web de l’agence.

Peter Doshi et Tom Jefferson, qui ont une expérience substantielle du processus, soulignent que « l’obtention peut prendre un temps considérable et souvent seulement au terme de longues correspondances ». Aussi, les sociétés pharmaceutiques peuvent s’opposer à ce que l’EMA publie des données d’essais cliniques, et il arrive que le conflit soit porté devant les tribunaux, à l’image d’une affaire survenue en 2018 impliquant la publication par l’EMA de rapports d’études cliniques sur un médicament pour soigner la dystrophie musculaire de Duchenne.

Les agences réglementaires sont régulièrement critiquées pour leur proximité avec l’industrie, et cela vaut également pour l’EMA, même si l’agence a récemment fait des efforts pour communiquer davantage sur sa gestion des conflits d’intérêts.

Outre les agences nationales, les organisations internationales jouent un rôle dans de nombreux aspects de la réglementation des médicaments et des dispositifs médicaux, y compris la certification, le développement, la distribution, la tarification, le marketing, la recherche et le développement, ou encore les droits de propriété intellectuelle. Mieux vaut analyser en profondeur leur travail si vous voulez comprendre pleinement la réglementation et l’homologation d’un médicament. Cela peut vous aider à poser les bonnes questions sur les problèmes clés suivants :

  • Pourquoi les autorités réglementaires ont-elles exigé certaines données et pas d’autres ?
  • Comment la propriété intellectuelle du produit affecte-t-elle ses licences et ses marchés ?
  • L’industrie pharmaceutique a-t-elle tenté d’influencer le travail de ces organismes ?

Voici quelques organismes sur lesquels nous vous recommandons de vous renseigner. Chacun d’eux possède un large éventail de compétences qui couvrent différents aspects de ce marché et qui sont décrites en détail sur leur site internet respectif :

Enquêter sur les dispositifs médicaux

Les dispositifs médicaux comprennent une vaste gamme de produits, définis par Daniel B. Kramer et ses collègues comme « des technologies de la santé qui ne sont pas des médicaments, des vaccins ou des procédures cliniques« . Mener une enquête sur le sujet, c’est faire face à un environnement insuffisamment réglementé. Il est indéniable qu’au cours des dernières décennies, les nouveaux dispositifs ont offert de meilleures alternatives pour certaines conditions. Mais ils n’apportent pas toujours des bénéfices aux patients et en ont exposé certains à des risques importants, comme le montrent les rappels d’implants mammaires et de prothèses de la hanche.

Les normes dans ce domaine sont bien inférieures à celles en vigueur pour les produits pharmaceutiques.

En 2016, l’étude Drugs and Devices: Comparison of European and U.S. Approval Processes (Médicaments et dispositifs: Comparaison des processus d’homologation de l’Europe et des Etats Unis) a révélé qu’environ 2% seulement des dispositifs médicaux approuvés au cours des 10-12 dernières années étaient passés par une demande d’approbation préalable à la mise sur le marché (Premarket Applications), le processus le plus rigoureux de la FDA pour l’homologation des dispositifs. Cette étude, publiée dans JACC : Basic to Translational Science a également révélé que seulement 10% à 15% des soumissions à la FDA pour des dispositifs contenaient des données cliniques et que 7% des soumissions étaient entièrement exemptées d’examen. « Lorsque des essais cliniques sont nécessaires pour les dispositifs, ils ne répondent souvent pas aux mêmes normes strictes en matière de preuves cliniques que celles requises pour les médicaments, a révélé l’étude. Ils sont souvent non randomisés, sans aveugle, n’ont pas de groupes de contrôle actifs et n’ont pas de critères de jugement définis et mesurables. »

Les processus d’homologation des dispositifs médicaux dans l’UE et aux États-Unis partagent certaines similitudes. Mais il existe également des différences critiques, comme l’a souligné la même étude : « Avant son homologation aux États-Unis, un dispositif médical ne doit pas seulement avoir démontré qu’il était sûr, mais aussi qu’il était efficace. Les dispositifs médicaux homologués en Europe doivent uniquement démontrer leur sécurité et leurs performances. Un effet collatéral des réglementations plus ‘commercialement sensibles’ en Europe est que cette homologation initiale des dispositifs portés par des sociétés américaines est de plus en plus recherchée dans l’UE avant d’être appliquée aux États-Unis. »

Les États-Unis et l’Europe occupent des positions de leaders, et bien que la majorité des agences réglementaires des autres pays aient leurs propres processus d’homologation des dispositifs médicaux, la plupart des pays ont tendance à suivre la FDA et l’EMA. Dans de nombreux pays, si un dispositif médical a déjà été approuvé par la FDA et l’EMA, il bénéficiera d’un processus d’homologation beaucoup plus court.

Pourtant, l’adéquation et l’efficacité des deux processus d’homologation suscitent de sérieuses inquiétudes, comme le montre la revue systématique de Daniel B. Kramer, Shuai Xu et Aaron S. Kesselheim en 2012, How Does Medical Device Regulation Perform in the United States and the European Union? A Systematic Review (Comment fonctionne la réglementation des équipements médicaux aux Etats-Unis et dans l’UE ? Une étude systématique). Les auteurs y concluent: « Les études existantes sur l’homologation des dispositifs aux États-Unis et dans l’UE et les performances de l’évaluation post-commercialisation suggèrent que des réformes politiques sont nécessaires pour les deux systèmes, y compris l’amélioration de la classification des dispositifs aux États-Unis ainsi que la promotion de la transparence et de la surveillance post-commercialisation dans l’UE. »

En 2014, le scientifique d’Oxford Carl Heneghan a participé à une enquête d’infiltration qui a révélé que la réglementation était si laxiste qu’un filet à fruits pouvait être autorisé à être mis sur le marché comme dispositif médical. Jet Schouten, une journaliste de l’organisation d’audiovisuel public néerlandaise AVROTROS, lui avait ainsi demandé de produire un rapport scientifique frauduleux basé sur la réutilisation des filets utilisés dans la vente de mandarines en tant que prothèse transvaginale, normalement utilisée pour renforcer les tissus affaiblis dans la région pelvienne. Et le test a fonctionné : les régulateurs n’ont pas anticipé de problèmes dans le processus d’homologation, et aucune question n’a été posée sur la sécurité. 

Cinq ans plus tard, le grand public a découvert les failles des dispositifs médicaux grâce à l’enquête Implant Files du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), inspirée par les travaux de Jet Schouten. L’enquête collaborative sur les « implant files » menée par l’ICIJ a révélé que les autorités sanitaires ne parviennent pas à protéger les patients contre les dispositifs médicaux. Ces derniers sont liés à plus de 83 000 décès et plus de 1,7 million de personnes ont été blessées à cause des dispositifs médicaux au cours de la dernière décennie. L’ICIJ a publié une base de données internationale accessible au public sur les dispositifs médicaux qui recense des produits retirés, des alertes de sécurité et des avis de sécurité sur le terrain, des données tirées de sources publiques ainsi que des réponses à des demandes d’accès à l’information.

L’enquête collaborative d’ICIJ a impliqué 36 pays, plus de 250 journalistes et data journalistes travaillant dans 58 médias. Depuis la publication de l’enquête Implant Files, les agences réglementaires du monde entier se sont engagées à améliorer la surveillance des dispositifs médicaux.

Pour en savoir plus sur le projet d’ICIJ et les outils que l’équipe internationale a utilisés et développés, consultez Everything You Need to Know About the Implant Files (Tout ce que vous devez savoir sur les Implant Files) et Lessons from Inside the Implant Files (Les leçons des Implants Files). La base de données et les outils mentionnés sont de bonnes ressources pour les journalistes enquêtant sur des sujets connexes.

Conseil 2 : Traquez des signaux d’alerte

Au cours du processus d’homologation, les sociétés pharmaceutiques recourent à différentes techniques pour obtenir une décision favorable. Les stratégies marketing et la médicalisation croissante sont employées pour interférer dans le processus d’homologation. Voici trois stratégies qu’elles utilisent :

Lorsque vous examinez de plus près le processus d’homologation d’un médicament, concentrez-vous sur les aspects clés qui détermineront le marché du produit, en commençant par son « indication ». L’indication décrit la ou les conditions pour lesquelles un produit pharmaceutique (médicament, test, vaccin) doit être utilisé. S’il s’agit d’une indication homologuée, cela signifie que les autorités réglementaires ont examiné les preuves soumises par le fabricant pour le traitement ou la prévention d’une affection ou d’une maladie, et qu’elles ont autorisé l’entreprise à commercialiser le produit pour cet usage spécifique. L’élargissement de l’indication est une pratique courante pour élargir le marché d’un produit, et cela se produit souvent étape par étape, l’industrie soumettant de nouvelles données aux régulateurs.

Continuez à creuser et regardez la définition de la maladie ; comment le risque lié à son évolution est-il décrit et documenté ; la conception des essais cliniques (critères de jugement, critères d’exclusion/inclusion) ; les données d’efficacité et de sécurité ; et comment les résultats de l’étude sont présentés. Si vous êtes nouveau dans le domaine de la santé, vous devrez pendant un certain temps compter largement sur l’aide de scientifiques indépendants pour analyser les preuves. Avec le temps, cependant, comme tout journaliste d’investigation dans la santé peut en témoigner, vous serez de plus en plus en mesure de repérer les signaux d’alerte et d’évaluer les preuves de manière indépendante. L’examen que vous ferez de ces différents éléments peut mettre en évidence que des conclusions erronées ont été tirées sur le rapport bénéfice/risque d’un produit et vous donner une idée de la manière dont les choses se sont passées.

Les bases de données où les essais cliniques ont été enregistrés

En 2005, le Comité international des éditeurs de revues médicales a annoncé que pour que leurs études soient publiées, les « sponsors » qui paient pour les essais cliniques devraient inscrire les essais cliniques dans un registre avant de démarrer ces derniers.

Beaucoup de revues publieront uniquement les résultats d’essais dont le protocole a été préenregistré. Il existe actuellement 24 registres (nationaux, régionaux et internationaux ; voici la liste). Le portail de recherche des essais cliniques de l’OMS donne accès à une base de données centrale contenant des ensembles de données fournis par 17 registres, avec des liens vers les dossiers originaux complets.

Certaines entreprises gèrent leurs propres registres, comme GlaxoSmithKline et Eli Lilly. ClinicalTrials.gov a été le premier registre en ligne de ce type et reste le plus grand et le plus utilisé. Les National Institutes of Health des États-Unis et la FDA ont collaboré pour développer le site, qui a été mis à la disposition du public en février 2000. Si vous envisagez une enquête sur une classe spécifique de médicaments ou sur un médicament donné, cela vaut la peine de commencer par ClinicalTrials.gov.

Nous examinerons cela plus en détail dans la section suivante, mais lorsque vous recherchez des bases de données d’essais cliniques, examinez de plus près :

  • Le design.
  • Le nombre de participants à l’essai.
  • Les critères d’inclusion / exclusion des patients de l’étude.
  • Les centres de recherche impliqués.
  • L’historique des changements.
  • Si l’essai est toujours en cours.
  • Si les résultats ont été publiés.
  • Les critères de jugement : primaire, secondaire, combiné, de substitution. Il est essentiel de comprendre le concept des critères de jugement si vous souhaitez vous pencher sur des sujets relevant de la santé et du domaine médical. Selon les Principles of Translational Science in Medicine (Principes de la science translationnelle en médecine), « les critères de jugement cliniques sont des mesures ou des analyses distinctes des caractéristiques de la maladie observées dans une étude ou un essai clinique qui reflètent l’effet d’une intervention thérapeutique ». Les critères de jugement peuvent être « durs » (objectifs) ou « soft » (subjectifs). Dans certains cas, des critères de substitution sont utilisés plutôt que des critères importants du point de vue clinique (voir page 14).

Comparer les études cliniques inscrites dans les registres avec les résultats de ces mêmes études publiés par la suite dans une revue scientifique et/ou soumises aux agences de réglementation vous permet de repérer des changements dans le design de ces essais. Comme nous l’avons déjà mentionné, les études ne finissent pas toujours par être publiées par des revues académiques. La non-publication et les modifications du design des études sont souvent des signaux d’alerte intéressants ; ils peuvent indiquer que certains résultats problématiques n’ont pas été rendus publics.

Le processus d’homologation est ponctué par des réunions des comités consultatifs et leurs procès-verbaux peuvent être révélateurs, car les agences réglementaires identifient souvent des problèmes potentiels et posent des questions intéressantes et parfois incommodes à l’industrie. Ces procès-verbaux et documents connexes vous fourniront des informations précieuses sur les problèmes et les tensions autour du processus d’homologation. Les sites web de la FDA, de l’EMA et de l’OMS sont une mine d’informations et de pistes possibles.

Pour en savoir plus sur le rôle de l’OMS dans la réglementation pharmaceutique dans le monde, voir Drug Regulation : History, Present and Future (La réglementation pharmaceutique: histoire, présent et avenir). L’OMS gère également la liste des médicaments essentiels et la liste des diagnostics essentiels, définis par l’agence comme « des documents d’orientation de base aidant les pays à hiérarchiser les produits de santé essentiels qui devraient être largement disponibles et abordables dans l’ensemble des systèmes de santé« . Ces deux documents et les lignes directrices qu’ils fournissent ont un impact important au niveau du marché pharmaceutique mondial.

Conseil 3 : Obtenez les données non publiées

Il se peut que tous les documents ne figurent pas dans le dossier public visible, mais en principe, ils peuvent être obtenus auprès de la FDA et de l’EMA via une demande d’accès à l’information ou FOI (Freedom of Information). Chaque fois que vous faites une telle demande, vous contribuez peut-être au bien commun car certaines demandes peuvent être rendues publiques sur le site de l’agence. 

Avec iFOIA, une plateforme de données développée par Reporters Committee for Freedom of the Press (Comité des journalistes pour la liberté de la presse), les utilisateurs enregistrés peuvent créer, envoyer, gérer et partager des demandes d’accès à l’information faites aux Etats-Unis. Vous trouverez de nombreux conseils et ressources sur l’accès aux documents publics dans le Guide international de la liberté d’information de GIJN. Pensez aussi à utiliser la loi sud-africaine sur la promotion de l’accès à l’information ou PAIA (Promotion of Access of Information Act) qui s’applique également aux organismes privés. Bien que l’industrie résiste aux demandes de divulgation complète au motif qu’elles pourraient porter préjudice aux droits de propriété intellectuelle en révélant des secrets industriels, si votre enquête se concentre sur une entreprise dont le siège est en Afrique du Sud, une demande PAIA vaut la peine d’être tentée.

Si vous décidez de déposer une demande d’accès à l’information auprès de la FDA, pensez à demander l’accès à la correspondance par courrier électronique et aux documents techniques tels que les plans d’analyse de données statistiques des études cliniques (Data Analysis Plan ou DAP).

En 2011, Catherine Riva et Serena Tinari, les auteures de ce guide, ont obtenu le DAP soumis par Merck afin d’obtenir l’homologation du vaccin Gardasil contre le HPV (papillomavirus humain). Comme nous l’avons relevé dans la revue BMJ Evidence-Based Medicine, ces documents montraient qu’un ajustement méthodologique important avait été introduit au cours des essais de phase III, où une analyse pré-spécifiée avait été remplacée par un indicateur de valeur inférieure. Cette pratique appelée « outcome switching » (permutation de critère de jugement) est controversée et constitue un problème potentiel dans les rapports d’études cliniques, car elle peut fausser les preuves.

Un exemple des conséquences potentielles d’un outcome switching est mentionné dans cet article de 2018 d’Enago Academy sur la paroxétine, un antidépresseur, avec des liens vers les études originales. Le New York Times a également abordé la question dans un article de Benedict Carey en 2015.

Pour en savoir plus sur cette pratique problématique, bien que relativement courante, jetez un coup d’œil au projet COMPARE qui a été réalisé par une équipe d’universitaires, d’étudiants en médecine et de programmeurs basés au CEBM (Center for Evidence-Based Medecine) de l’Université d’Oxford.

Les données d’études cliniques non publiées peuvent être importantes pour évaluer le profil bénéfice/risque réel d’un médicament. Mais obtenir les données et effectuer une évaluation peut être difficile, même pour des scientifiques expérimentés. Voir, par exemple, Strategies for obtaining unpublished drug trial data: a qualitative interview study (Stratégies pour obtenir des données non publiées sur les essais de médicaments : une étude qualitative par entretiens). Notez, par exemple, que la FDA n’est légalement autorisée ni à confirmer ni à nier l’existence d’une étude en réponse à une demande d’accès à l’information. Récemment, des universitaires et des journalistes d’investigation ont uni leurs forces pour localiser des ensembles de données manquantes ou incomplètes.

Un exemple de cette initiative est la Tamiflu campaign (campagne Tamiflu) du British Medical Journal, visant à faire pression sur les sociétés pharmaceutiques pour qu’elles publient les données des essais cliniques de deux médicaments antigrippaux stockés dans le monde. Pour mieux comprendre pourquoi le manque de transparence est important et pour trouver d’excellentes ressources relatives aux affaires peu couvertes par les médias, consultez : Restoring Invisible & Abandoned Trials Initiative, AllTrials et TranspariMED.

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Couvrir une élection : conseils par – et pour – des femmes journalistes

À l’occasion de la Journée internationale de la femme et d’une année 2024 potentiellement tumultueuse sur le plan électoral (quatre milliards de personnes dans plus de 50 pays sont appelées à voter cette année), GIJN s’est entretenu avec des femmes journalistes d’investigation du monde entier pour connaître leurs meilleures pratiques en matière de couverture des élections.