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Outils de télédétection et bases de données pour enquêter sur l’environnement
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Dans cet article, GIJN a recensé les bases de données mondiales et les ressources de télédétection que les journalistes peuvent utiliser pour enquêter sur les menaces environnementales locales.
Bienvenue dans la Boîte à outils de GIJN, dans laquelle nous passons en revue les conseils et outils les plus récents à la disposition des journalistes d’investigation. Dans cette édition, nous allons découvrir des bases de données détaillées et des outils de télédétection que les reporters utilisent pour enquêter sur les menaces locales en matière d’environnement.
Parmi les ressources que nous proposons dans ce document, certaines ont été présentées dans le cadre d’un webinaire organisé par l’association Environmental Investigative Forum (EIF), un consortium de journalistes international à but non lucratif. D’autres ressources ont été dévoilées durant une seconde interview avec Alexandre Brutelle, un reporter indépendant également directeur d’EIF.
Outre une tendance croissante à la collaboration, déclare Brutelle, les perspectives sont excellentes pour ce qui est des enquêtes sur l’environnement, grâce à la disponibilité de l’imagerie spatiale et d’outils d’analyse de données de systèmes d’information géographique (SIG), de bases de données établies comme Global Forest Watch, et au partage de données provenant d’enquêtes récentes. Il cite en exemple l’archive #WildEye de crimes contre l’environnement constamment actualisée qui est publiée par le média d’investigation africain innovant Oxpeckers. Les reporters peuvent utiliser ses données sélectionnées pour suivre les affaires judiciaires, les saisies d’actifs et les arrestations liées à des opérations illégales de commerce éco responsable, qu’il s’agisse des exportations de bois de Myanmar ou du trafic illégal d’espèces sauvages en Inde.
“C’est un bon exemple d’outil très performant pour les journalistes qui enquêtent sur l’environnement, et les données proposées ont dépassé leur frontière d’origine en Afrique du Sud pour couvrir non seulement l’Asie, l’Europe, mais le monde entier”, déclare Brutelle.
Il ajoute que, depuis son inscription en France en 2020 en tant qu’organisation à but non lucratif, et malgré un budget limité, EIF compte désormais 60 membres, y compris des reporters et des experts en datalogie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, aux Balkans, aux États-Unis et en Europe.
“L’objectif d’EIF est de connecter les journalistes et les experts”, ajoute-t-il. “Nous souhaitons devenir un consortium mondial qui encourage les nouveaux outils et initiatives en matière d’enquête sur l’environnement.”
Bases de données internationales pour vérifier les antécédents des sites menacés
Lorsqu’on commence à enquêter sur une menace environnementale spécifique, qu’il s’agisse d’une nouvelle mine ou d’un déversement toxique, il est essentiel d’avoir rapidement accès aux règles de conservation de ce site, aux informations sur les enjeux environnementaux, sur l’historique de gestion du site et sur les préoccupations verbalisées par la communauté locale. Brutelle indique que les trois bases de données mondiales suivantes apportent rapidement des réponses à bon nombre de ces questions et en soulèvent d’autres.
- DOPA Explorer : “DOPA est un outil relativement simple, mais extrêmement utile. C’est un catalogue facile à utiliser de zones protégées dans le monde entier, y compris tous les types de zones humides, de réserves ornithologiques, de sites Ramsar [zones humides] et de réserves de l’UNESCO”, ajoute Brutelle. “Quand j’entends parler, par exemple, de nouvelles opérations initiées par des sociétés minières occidentales dans un pays africain, mon premier réflexe est d’en déterminer les coordonnées pour vérifier si ces opérations n’ont pas lieu dans des zones protégées signalées par les données de DOPA.” Produit par le Centre commun de recherche de la Commission européenne, non seulement DOPA (Digital Observatory for Protected Areas, Observatoire numérique pour les aires protégées) indique aux reporters les lieux sur la carte dont l’environnement est protégé par la loi, mais il place également ces règles en contexte en communiquant des détails sur les écosystèmes et espèces vulnérables dans la région. “L’observatoire est si utile qu’il propose également des informations sur d’autres problèmes de conservation dans les régions que vous observez, qu’elles abritent des espèces menacées ou des animaux sur liste rouge”, ajoute-t-il.
- Protected Planet : Les reporters peuvent utiliser DOPA Explorer avec Protected Planet, une base de données recensant 269 000 zones terrestres et marines protégées qui est utilisée par les industries polluantes et leurs chiens de garde. En tant que projet du Programme des Nations unies pour l’environnement, le site propose des évaluations de la gestion des zones protégées, des informations sur les parties prenantes au sein de la communauté et des options de téléchargement de graphiques simple pour les journalistes, explique Christina Orieschnig, une experte en télédétection chez EIF. “J’aime beaucoup ce site, car il propose de nombreux fichiers de forme que vous pouvez télécharger concernant de nombreuses aires protégées dans le monde” ajoute-t-elle.
- EJAtlas : Géré par l’Institute of Environmental Science and Technology à l’université autonome de Barcelone, Environmental Justice Atlas (EJAtlas) inclut un catalogue auquel ne cessent de s’ajouter des points névralgiques de par le monde en termes de conflits environnementaux et d’impacts sur la communauté. Grâce à des nœuds disposés sur des cartes sur lesquelles vous pouvez cliquer, l’atlas propose de brefs exposés sur des milliers de conflits environnementaux, en affichant des informations sur l’aboutissement d’actions en justice et des incidents impliquant des manifestations de la communauté, par exemple. Il inclut également des liens vers des documents, des études et des sites web de militants sur le même sujet.
Brutelle dit que l’efficacité de l’atlas est optimale lorsqu’il est utilisé par les responsables locaux comme une ressource et une base d’idées de reportage, plutôt que comme une source principale. Par exemple, alors qu’il enquêtait sur les pratiques minières excessives en Afrique du Nord, Brutelle a découvert à l’aide de l’outil que des espèces d’oiseaux en voie d’extinction avaient également été chassées illégalement par des princes royaux étrangers dans la même région. “Il suffit d’explorer cet outil pour avoir de nouvelles idées d’enquêtes” explique-t-il. “Sinon, l’outil sert plutôt de point de départ, mais il est utile pour vérifier le contexte de toute exploitation de l’environnement ou de l’historique de manifestations sur un site que vous étudiez déjà. Il peut être d’une grande aide pour enquêter sur les abus environnementaux dans des régions reculées auxquelles vous ne pouvez pas accéder.”
SkyTruth Flaring Map
Les torchages de gaz naturel qui se produisent dans des forages pétroliers et des raffineries peuvent dégager des quantités considérables de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère et servir à rejeter du gaz dont le coût de stockage est élevé. Les flammes et les concentrations de méthane résultant du processus représentent des activités polluantes que l’on peut détecter depuis l’espace. Grâce à des analyses automatisées de détails infrarouges sur des images satellite, la base de données SkyTruth Flaring Map génère des cartes en temps quasi-réel de torchages de gaz dans le monde entier. Elle produit également des cartes des volumes de torchage qui reflètent des concentrations élevées de méthane représentées par des points rouges.
Dans une enquête récente sur les dangers des projets secrets de forage de gaz “non conventionnels” dans le sud de la Tunisie, l’analyste Momchil Yordanov d’EIF, également spécialisé dans la télédétection, a essayé SkyTruth pour la première fois et rapidement identifié d’autres plates-formes gazières et entreprises énergétiques menant à bien des opérations d’extraction de gaz.
“C’est un outil très performant de détection des émissions de gaz que nous prévoyons de continuer à utiliser”, déclare Yordanov.
Brutelle ajoute que SkyTruth propose d’autres “outils très intéressants, sur le minage par exemple, mais la carte de torchage est leur outil principal.”
“La résolution est suffisante pour mesurer des sites de torchage importants” ajoute-t-il. “Dans votre pays, vous pouvez tout simplement localiser les points rouges sur les cartes, puis établir une correspondance entre le signalement de torchage et ce qui se passe sur le terrain.”
Brutelle dit que l’outil permet également de détecter d’autres processus qui génèrent du méthane. “Lorsque vous voyez le point rouge, vous pouvez vous demander pourquoi la concentration de méthane est élevée à cet endroit, s’il s’agit d’une zone protégée et si les niveaux sont supérieurs à ceux autorisés par la loi” ajoute-t-il. “Elle pourrait être liée à des décharges à ciel ouvert ou à l’incinération de déchets ou de combustibles indésirables.”
Pour en savoir plus sur le suivi des activités de torchage de gaz, consultez le document Climate Change Reporting Guide on Investigating Methane de GIJN.
Google Earth Engine
Lorsqu’on lui a demandé d’identifier son outil d’investigation préféré, Orieschnig, qui travaille chez EIF, a répondu : “Google Earth Engine, incontestablement !”
En mobilisant la puissance du cloud, Google Earth Engine peut traiter rapidement des volumes considérables de données d’imagerie spatiale. Par exemple, le projet Global Forest Change, mené par l’université du Maryland, a utilisé le système en 2013 pour traiter un volume considérable équivalent à 20 térapixels d’images du satellite Landsat de la NASA et cartographier le déclin des forêts dans le monde entier. Les chercheurs ont déclaré : “Ce qu’un seul ordinateur aurait mis 15 ans à exécuter a été réalisé en quelques jours grâce aux calculs de Google Earth Engine.”
Cet outil peut également aider les journalistes d’investigation à détecter et mesurer des changements affectant des étendues de terre et d’eau sur la surface de la planète. L’année dernière, EIF a enquêté sur les dommages provoqués par un important déversement d’eaux usées dans le lac de Varna en Bulgarie, ainsi que dans la baie voisine, un lieu de pêche et de tourisme bien connu qui est connecté à la mer Noire. L’équipe a décidé d’utiliser l’imagerie spatiale pour détecter la prolifération d’algues sur le lac, mais elle s’est rendu compte qu’elle avait besoin d’une puissance de calcul bien supérieure pour traiter les volumes considérables de données.
“J’aurais sans doute épuisé les ressources de mon ordinateur si j’avais effectué moi-même toutes ces analyses de données, donc j’ai fait appel à Google Earth Engine” déclare Orieschnig. Elle ajoute que l’API (Application Programming Interface, interface de programmation d’application), à savoir du code logiciel qui permet à un site web, à une application ou à un programme d’interagir avec une autre application, est gratuite et que les reporters “peuvent effectuer des calculs extrêmement rapidement et assez facilement dans un environnement de programmation Javascript en ligne. Vous pouvez évidemment exporter les résultats sur votre Google Drive, mais les données sont traitées sur des serveurs Google.”
Le service propose également un catalogue de données satellite prêt à l’emploi, et notamment l’équivalent de 40 ans d’images mises à jour régulièrement que vous pouvez explorer. Orieschnig explique que les reporters doivent cliquer sur l’icône “d’inscription” en haut à droite de la page d’accueil de Google Earth Engine pour demander l’autorisation d’y accéder. “Je n’ai même pas dû utiliser mon e-mail professionnel, j’ai reçu une réponse au bout de quatre jours, et c’est gratuit pour une utilisation non professionnelle”, ajoute-t-elle.
En reconnaissant que les algues absorbent la lumière à une longueur d’ondes différente de celle de l’eau “propre” environnante, Orieschnig a utilisé l’outil de données pour mesurer la prolifération sur le lac de Varna en termes de longueur d’ondes. “En exploitant ainsi les données, nous avons pu non seulement isoler les zones où l’algue était présente, mais nous en avons également déterminé la concentration, ce qui nous a été très utile”, ajoute-t-elle.
Elle déclare qu’il est habituellement possible de capturer et de mesurer des phénomènes d’une taille supérieure à celle d’un bus scolaire, qu’il s’agisse de feux de forêt, d’inondations ou de prolifération d’algues, et ce, grâce à des images satellite gratuites et libre d’accès proposées par un outil comme Sentinel Hub, à une résolution de 10 mètres. Orieschnig recommande aux reporters qui connaissent moins l’API Javascript de consulter des didacticiels via ce lien, ainsi que ce blog qui propose des conseils techniques sur l’utilisation des données géospatiales.
Pour en savoir plus sur l’utilisation de l’imagerie spatiale dans des enquêtes, et notamment sur la procédure que les journalistes doivent suivre pour demander des données aux fournisseurs de satellites, consultez le document GIJN, Guide pour trouver et utiliser des images satellites.
Étude de cas : Delta du Mékong en Asie
Environ 50 millions de personnes en Asie du Sud-Est dépendent des rivières et de la riche biodiversité du bassin inférieur du Mékong pour s’alimenter en nourriture, en énergie, mais aussi pour les transports et les échanges commerciaux. Toutefois, cette vaste région qui inclut la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam est menacée par la dégradation de l’environnement, l’urbanisation et les effets du changement climatique. Heureusement, de plus en plus de données sont disponibles sur l’environnement du delta du Mékong, ainsi que sur d’autres régions dans le monde entier. Spécialisée dans l’hydrologie et les problèmes environnementaux en Asie du Sud-Est, Orieschnig recommande aux reporters dans la région de consulter les ressources suivantes :
- Portail de données Mekong River Commission : Cette base de données regroupe et analyse des données sur l’état des voies fluviales dans la région, en se basant sur plus de 10 000 ensembles de données. “J’apprécie réellement la disponibilité de toutes les données que ce service propose sur l’hydrologie et la couverture terrestre en passant par les inondations et les pêcheries”, ajoute Orieschnig.
- Mekong Dam Monitor : Mise en place par l’organisme de recherche Stimson Center à but non lucratif, la plate-forme Mekong Dam Monitor gratuite utilise l’imagerie spatiale, l’analyse des données SIG et d’autres sources de données pour proposer des informations à jour sur les barrages et l’hydroélectricité dans la région. “Elle surveille également les opérations de projets hydroélectriques et leur mise en place en Asie du Sud-Est”, ajoute-t-elle.
- Open Development Mekong : Pour trouver des données concernant l’impact humain sur les problèmes environnementaux dans la région, Orieschnig suggère le site Open Development Cambodia, ainsi que d’autres sites spécifiques à chaque pays, et son centre de données très important. “Ils proposent de nombreuses données en accès libre sur la densité de la population et de nombreux problèmes environnementaux et sociaux”, déclare-t-elle.
Les bases de données et les ressources régionales comme la plate-forme Mekong Dam Monitor peuvent être d’une grande aide dans le cadre d’enquêtes sur l’environnement. Image : Capture d’écran
Malgré l’augmentation du nombre de ses membres et de leurs compétences, EIF est limité en termes de capacités et recherche des financements pour plusieurs initiatives. Toutefois, Brutelle dit que l’EIF espère développer sa propre boîte à outils de surveillance de l’environnement, notamment des systèmes d’intelligence artificielle pour détecter les activités de fracturation hydraulique, qu’il souhaite proposer en accès libre aux reporters.
Brutelle indique : “Nous avons déjà proposé le développement de trois outils de détection et de surveillance très performants pour les journalistes, à partir de rapports de nos membres, que nous espérons pouvoir partager.”
Ressources supplémentaires
Comment révéler des dissimulations officielles à l’aide de satellites
L’essor du journalisme d’investigation scientifique
Rowan Philp est journaliste au sein de la rédaction de GIJN. Il était auparavant reporter en chef pour le Sunday Times sud-africain. En tant que correspondant à l’étranger, il a réalisé des reportages sur l’actualité, la politique, la corruption et les conflits dans plus d’une vingtaine de pays du monde entier.