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Trois outils pour remonter la piste de financements occultes

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Il existe des sites et des bases de données qui sont de véritables mines d’or pour les journalistes qui enquêtent sur le crime financier et les comptes à l’étranger – et sur les individus qui se cachent derrière. Image : Shutterstock

Il est possible de faire le lien entre des bases de données bancaires criminelles  ou suspectes et des personnalités publiques, révéler des conflits d’intérêt potentiels et remonter la piste de fonds occultes. OpenSanctions, GreyList Trace et Offshore Leaks Database peuvent vous y aider. 

Bien entendu, il existe déjà des ressources importantes reconnues qui vous aident à enquêter sur l’opacité financière, notamment le tableau de bord des enquêtes sur le blanchiment d’argent, un outil complet élaboré par AML RightSource, l’immense base de données OpenCorporates ; la base de données d’import/export Panjiva ; et Aleph, l’archive de données mondiales, créée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), qui vous permet de remonter la piste de l’argent. Mais des outils plus ciblés peuvent vous aider à résoudre des problèmes spécifiques dans le cadre d’enquêtes sur la corruption. Ces nouveaux outils peuvent, par exemple, vous permettre de trouver la pièce manquante d’un puzzle reconstitué à partir d’autres sources.  Gardez à l’esprit qu’il est important de respecter les consignes de sécurité numérique dans ce genre d’enquête. En effet, il arrive que des individus jouissant d’un grand pouvoir et disposant de fonds illicites aient recours à des méthodes pour le moins radicales pour garder secrets des détails concernant leur fortune et leurs avoirs.

OpenSanctions

Un chef d’entreprise qui apparaît dans votre enquête sur l’évitement fiscal a-t-il des liens avec un dictateur étranger ou une organisation terroriste ? Un lobbyiste qui rend visite à votre président fait-il par ailleurs l’objet de sanctions économiques ou de restrictions de déplacements ? Ou bien a-t-il des conflits d’intérêts en tant que responsable politique ? 

Une nouvelle base de données en source ouverte, OpenSanctions, propose aux journalistes un accès rapide à de telles pistes potentielles au sujet d’individus dignes d’intérêt au niveau international. Il s’agit, globalement, de personnes qui ont pu être impliquées dans des affaires de malversation affectant le grand public, et de responsables politiques très en vue (et leurs relations), sur lesquels les journalistes pourraient vouloir enquêter. Ces renseignements, une fois en leur possession, pourraient leur permettre d’élargir le champ de leur enquête ou les mettre sur la piste d’autres affaires.

OpenSanctions est aussi un outil efficace pour faire des recoupements avec des bases de données plus conséquentes ou des listes d’actionnaires, de lobbyistes et de prestataires sous contrat gouvernemental pour rechercher des sanctions existantes, d’éventuels conflits d’intérêt et autres signaux d’alerte. Attention : un grand nombre de noms figurant sur le site – les enfants de l’ancien premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, ou les petits-enfants de l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, par exemple – ne sont accusés de malversation par aucune juridiction, mais ils apparaissent pour la seule et unique raison qu’ils ont des liens avec la politique.

Le fondateur du projet, Friedrich Lindenberg, qui a auparavant dirigé l’Équipe de Données à l’OCCRP, indique que quelques mois seulement après avoir commencé à recueillir des données de manière automatisée, la base de données comprend déjà les fichiers connectés de 140 000 individus qui présentent un intérêt potentiel pour les enquêteurs, notamment 24 000 personnes sous le coup de sanctions et des dizaines de milliers d’autres qui sont “politiquement exposées”. Ces dernières sont, globalement, des personnes qui exercent un contrôle sur les finances publiques. Friedrich Lindenberg ajoute qu’OpenSanctions propose aussi des informations sur 50 000 autres individus avec lesquels ces personnes sont en relation. Des listes de noms “signaux d’alerte”, payantes et fiables, peuvent déjà être obtenues par le biais de plateformes comme LexisNexis et Refinitiv, mais Friedrich Lindenberg précise qu’OpenSanctions propose un système gratuit et facile d’utilisation pour les journalistes familiers des bases de données. Cette plateforme peut aussi être utilisée comme un simple moteur de recherche pour trouver des individus dignes d’intérêt.

Quand GIJN a entré le nom d’un homme d’affaires lié à l’ancien président de l’Afrique du sud, Jacob Zuma, dans la barre de recherche de l’outil, le système a immédiatement révélé que l’homme en question a été placé sur une liste de personnes sous le coup de sanctions financières en 2021. Le système a aussi livré les détails de récentes restrictions financières internationales concernant certains membres de sa famille.  Toutefois, Friedrich Lindenberg ajoute que c’est dans le cadre d’enquêtes transfrontalières qu’OpenSanctions sera probablement le plus utile. Dans de tels cas, les journalistes peuvent croiser les listes d’individus dont le nom figure dans OpenSanctions avec les fichiers de données concernant de grandes investigations que l’on trouve dans des outils comme DataShare (Consortium international des journalistes d’investigation, ICIJ) ou Aleph, de l’OCCRP. (Un tutoriel, assorti d’un exemple, est disponible ici.)

“Mais ce qui me paraît le plus fantastique, c’est de l’utiliser comme outil de détection”, indique Lindberg. Il compare OpenSanctions à l’agent colorant que les médecins injectent chez les patients avant un IRM, pour pouvoir mieux détecter les zones problématiques. Plus précisément, le système peut, à partir de noms inconnus dans un tableur, générer des sujets dignes d’intérêt pour les journalistes, les individus en question ayant accès aux finances publiques ou ayant été impliqués dans des délits.  “Par exemple, partons du principe qu’il y a 750 000 individus dont le nom figure dans les Panama Papers”, dit-il. “La plupart sont juste des personnalités du monde des affaires qui veulent éviter de payer des impôts, ce qui n’est généralement pas illégal.

Mais avec OpenSanctions, vous pouvez consulter ce vaste fichier de données pour identifier le petit pourcentage d’individus qui présentent un intérêt parce qu’ils doivent rendre des comptes, s’ils ont été désignés comme des personnes impliquées dans des affaires de terrorisme ou de blanchiment d’argent, s’ils font aussi de la politique, ou s’ils sont sous le coup de sanctions.”

Les journalistes qui ont des compétences en matière d’analyse de données peuvent aussi croiser leurs propres listes de personnes avec les données en utilisant des applications en source ouverte comme OpenRefine. OpenSanctions propose par ailleurs un système de notation graphique qui montre le degré de fiabilité de la correspondance entre les deux entités réalisée par l’algorithme.   “Son volume a déjà été multiplié par quatre au cours des quatre derniers mois’”, indique Friedrich Lindenberg au sujet d’OpenSanctions. “J’essaie de faire en sorte que cet outil devienne une ressource utile pour toute la profession.”

GreyList Trace

Suivre la trace des fonds illicites pour remonter jusqu’aux banques offshore, rapidement et en toute légalité, représente un défi de taille pour les journalistes d’investigation, en raison des différents obstacles techniques et du cumul de lois sur la confidentialité des données, le hameçonnage et le secret bancaire dans le monde entier.   Un nouvel algorithme breveté, mis au point au Royaume-Uni – utilisé principalement par des avocats pour retrouver des fonds occultes dans des affaires de divorce ou de contentieux – offre aux journalistes qui travaillent sur des enquêtes portant sur la corruption à grande échelle, la possibilité, certes limitée mais potentiellement exaltante, de trouver des pistes sur des fonds occultes sans enfreindre la loi ou les règles de confidentialité. GreyList Trace, une société privée spécialisée dans la localisation des avoirs, a pour vocation de “retrouver les bénéfices générés par la fraude et la corruption, qui se trouvent sur des comptes bancaires secrets, et ce de manière éthique et légale”, selon son site. Son algorithme n’accède pas illégalement aux données bancaires, et il ne cherche pas à identifier des soldes bancaires. Ce logiciel révèle en revanche les communications éventuelles entre une personne digne d’intérêt et les services des transactions de certaines banques. 

Cet exemple illustre les résultats d’une recherche fictive pour localiser des comptes bancaires liés à une adresse mail, en utilisant l’algorithme GreyList Trace.Image : GreyList Trace

Le fondateur de GreyList Trace, Bob Duffield, était auparavant journaliste d’investigation et producteur à la BBC. Il a contribué à innocenter un certain nombre de personnes qui purgeaient des peines de prison à perpétuité au Royaume-Uni. Il affirme qu’en dépit des contraintes et des règlements liés à la confidentialité des données, l’algorithme de sa société représente le seul moyen légal de détecter certains types de fonds occultes, et que les rapports qu’il produit ont été acceptés comme preuve dans le cadre de procédures judiciaires. Bob Duffield indique qu’à ce jour, aucune enquête de journalisme n’a été publiée à partir de ce nouveau système, mais qu’il peut générer des pistes cruciales pour retrouver la piste de fonds publics volés.  Il précise que le système de recherche fonctionne comme suit :

  • Un client — ou, potentiellement, une rédaction — fournit l’adresse mail d’un individu ou d’un fonctionnaire suspecté d’avoir dissimulé des avoirs financiers.
  • L’algorithme code cette adresse mail et l’envoie aux filtres des serveurs mail des 220 000 banques et succursales bancaires qui existent dans le monde — mais jamais aux banques elles-mêmes.
  • Le système évalue le temps de réaction de ces filtres au code. En effet, il peut varier si le service des transactions d’une banque a déjà traité l’email d’origine ou a mis cette adresse sur liste blanche. Puis le code s’autodétruit.
  • En l’espace de quelques semaines, l’algorithme génère un rapport sur toutes les banques susceptibles d’avoir autorisé la personne digne d’intérêt à ouvrir un compte.

Ce dernier aspect est crucial. Un résultat “positif” est seulement un indicateur fort de lien financier, et GreyList Trace n’est pas en mesure de dire si ce lien existe toujours. Par conséquent, des ressources supplémentaires pourraient se révéler nécessaires pour confirmer l’existence de comptes actifs ou pour déterminer les soldes.

“Ce qui rend cet outil si puissant, c’est le fait qu’il est conçu pour être légal,” explique Bob Duffield. “L’algorithme n’opère pas à l’intérieur du système bancaire ; il fait des déductions probabilistes à partir de la manière dont le système de filtrage qui protège les serveurs mail des banques réagit à l’algorithme.”

Bob Duffield insiste sur le fait que les rédactions ne doivent envisager de faire appel à ses services que si les méthodes traditionnelles utilisées par les journalistes révèlent déjà que des fonds occultes sont suspectés dans des affaires d’intérêt général — et pas seulement à des fins exploratoires. “Si un journaliste nous contacte en disant ‘je me demande si telle ou telle star du rock a des comptes offshore ’ – l’algorithme n’est pas fait pour cela”, dit-il, une allusion aux demandes d’aide gratuite faites par les médias. “Mais nous pourrions sans aucun doute travailler de manière ponctuelle, à titre gracieux, sur un projet important où il en va de l’intérêt général.” GreyList Trace encourage le journalisme d’intérêt public, mais Bob Duffield indique que sa société ne pourrait envisager que de manière ponctuelle de contribuer à une enquête à titre gracieux ou à un tarif préférentiel, comme le font déjà certains prestataires d’images satellite. GreyList Trace facture environ 1 350 dollars la recherche des communications bancaires liées à une adresse mail, et 1 350 dollars supplémentaires pour chaque banque détectée, le nombre maximum de banques étant fixé à trois.

Offshore Leaks Database – avec Pandora

Qui se cache réellement derrière les sociétés offshore ou les trusts hébergés dans les paradis fiscaux qui apparaissent dans votre enquête ? Quels responsables politiques cachent des conflits d’intérêts secrets dans les réseaux extrêmement complexes de certaines sociétés ? Au cours du mois qui vient de s’écouler, des informations au sujet des “ayants droit” de 15 000 sociétés et fondations offshore ont été ajoutées à la base de données déjà conséquente appelée Offshore Leaks Database, qui est alimentée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) à l’attention du grand public.

Cette archive contient aujourd’hui les noms de plus de 740 000 individus et sociétés qui se cachent derrière des structures secrètes offshore.

Des visualisations réalisées à l’aide de Neo4j permettent aux journalistes d’identifier les liens financiers en cliquant sur chaque nœud. Cet exemple, tiré de la base de données Offshore Leaks Database, met en évidence les intérêts offshore apparemment liés à une ancienne personnalité politique brésilienne. Image : Screenshot / Offshore Leaks Database

Les données représentent la première tranche consultable des Pandora Papers, qui ont mis au jour les comptes secrets offshore de 35 dirigeants mondiaux, actuels et anciens, et de plus de 100 milliardaires et célébrités dans le cadre d’une enquête collaborative publiée en octobre. En outre, des individus et des entités qui se trouvent dans ce nouveau fichier de données sont représentés dans des visualisations faciles à comprendre en utilisant l’outil Neo4j.

Ainsi, les journalistes peuvent identifier des liens d’un seul coup d’œil en cliquant sur les noeuds. Certains des 11,9 millions de documents divulgués ne peuvent pas être publiés en raison de lois sur la confidentialité — comme les dossiers bancaires et les transactions monétaires, — mais Delphine Reuter, journaliste spécialisée dans les données au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), indique que des données supplémentaires ayant trait aux Pandora Papers seront probablement publiées prochainement. Un nouveau pilier sera ainsi ajouté aux données sur l’opacité financière fournies par quatre projets d’investigation déjà inclus, notamment les Panama Papers et les Paradise Papers.

“Nous travaillons à présent à structurer des données supplémentaires issues des Pandora Papers et que nous publierons, nous l’espérons, en une seule fois au cours des prochains mois”, ajoute Delphine Reuter. L’ICIJ ne peut pas publier les données provenant de l’ensemble des 14 prestataires de services offshore dont les noms ont été divulgués dans les Pandora Papers, ajoute-t-elle, “parce que leur qualité et leur structure varient énormément”. Les données en question proviennent de deux prestataires de services : un cabinet juridique panaméen et une agence de sociétés écrans établie aux îles Vierges britanniques. 

Delphine Reuter appelle les journalistes à la prudence. En effet, comme cela a été le cas pour les quatre précédentes enquêtes constituant le fichier de données, les Pandora Papers concernent des données qui étaient exactes au moment où elles ont été récoltées. Pour trouver des données à jour, les journalistes doivent avoir accès à des sources actuelles, comme les registres des sociétés.  Elle conseille également aux journalistes de faire des essais avec différents termes quand ils font des recherches sur des sociétés — par exemple, “société anonyme“ et “SA” — et qu’ils emploient des guillemets pour rechercher les noms de personnes dignes d’intérêt. 

Vous disposez d’un outil très performant que vous souhaitez recommander aux journalistes d’investigation ? Envoyez-nous un email à hello@gijn.org.

Ressources complémentaires

Enquêter sur l’argent du crime organisé

Enquêter sur les entreprises et leurs propriétaires

Faire des recherches sur les réseaux sociaux avec CrowdTangle et Echosec


Rowan Philp est journaliste à GIJN. Auparavant, il a été reporter au Sunday Times, en Afrique du Sud. Quand il était correspondant à l’étranger, il a effectué des reportages sur l”actualité, la politique, la corruption et les conflits dans une vingtaine de pays partout dans le monde. 

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