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The Tuol Sleng Genocide Museum chronicles the Cambodian genocide. Located in Phnom Penh, the site is a former secondary school showing images of victims held at Security Prison 21 and killed by the Khmer Rouge regime from 1975 until its fall in 1979.

Le musée du génocide de Tuol Sleng relate le génocide cambodgien. Situé à Phnom Penh, le site est une ancienne école secondaire montrant des images de victimes détenues à la prison de sécurité 21 et tuées par le régime des Khmers rouges de 1975 jusqu’à sa chute en 1979. Image : avec l’aimable autorisation de Ron Haviv, VII.

La conviction qu’il devrait y avoir certaines limites aux guerres remonte à plusieurs siècles. Ce nouveau chapitre du Guide pour enquêter sur les crimes de guerre présente une vue d’ensemble du droit qui s’applique aux conflits armés, et des actes de guerre qui sont légaux ou non. Notamment les principes de distinction et de proportionnalité.

On pourrait croire, vu les horreurs et la destruction qu’engendre la guerre, qu’aucune loi ne s’applique dans le cas d’un conflit, et que toute tentative de réglementation de la violence peut sembler vaine. Pourtant, le fait même que nous soyons davantage horrifiés par certains actes que par d’autres est révélateur : nous pensons qu’il devrait y avoir certaines limites aux guerres. Une conviction qui remonte à plusieurs siècles, même s’il n’y a peut-être pas toujours eu de consensus sur ce que devraient être ces limites.

Notre droit moderne de la guerre trouve ses origines au XIXe siècle, lorsque certains États se sont accordés pour signer les premières conventions internationales visant à protéger les civils, les malades et les blessés au combat. De nombreux traités internationaux ont suivi, notamment les quatre Conventions de Genève de 1949, qui sont aujourd’hui les textes les plus reconnus mondialement concernant le droit de la guerre. Ces quatre documents ont été rédigés au lendemain de la Seconde guerre mondiale, qui avait incité les États à mettre par écrit les règles et les coutumes de la guerre communément admises, et à s’engager à les respecter.

Le concept de ‘crime de guerre’ a fait son apparition parallèlement à l’élaboration de ces traités, pour désigner les violations les plus graves du droit de la guerre. Les premières poursuites pénales internationales pour crimes de guerre, devant la justice, ont concerné les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo après la Seconde guerre mondiale. D’autres procès historiques ont eu lieu dans les années 1990, avec les tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, mis en place par les Nations unies.

Mais le droit de la guerre a aussi son importance en dehors des tribunaux. Il joue un rôle prépondérant pour les victimes de violence qui souhaitent que l’on reconnaisse qu’elles ont subi une injustice, même si elles ne sont pas en mesure d’engager une action en justice. Ce droit est tout aussi primordial pour les soldats impliqués dans un conflit, qui veulent s’assurer qu’ils se battent pour une cause juste, et de manière juste.

En vertu du droit international actuel, le terme ‘crime de guerre’ désigne des violations spécifiques et graves du droit international humanitaire qui entraînent une responsabilité pénale individuelle. Cependant, toutes les violations du droit de la guerre ne sont pas des crimes de guerre, et tous les décès de civils en temps de guerre ne constituent pas des crimes de guerre, ni même des violations. En outre, le droit de la guerre et les mécanismes de sa mise en oeuvre (y compris les tribunaux internationaux) dépendent des traités signés par chaque État.

L’interprétation courante du terme ‘crime de guerre’ s’est peu à peu éloignée du contexte juridique réel, mais il est toujours utile de revenir sur sa signification juridique précise, ainsi que sur les lois plus générales qui s’appliquent à la guerre, afin de garantir la crédibilité des reportages, voire pour contribuer à lutter contre l’impunité des crimes de guerre. Il est également crucial de comprendre que certains actes de guerre ont des conséquences graves, notamment en termes de pertes en vies humaines ou de blessures graves infligées à des civils, sans que l’on puisse pour autant parler de crimes de guerre. Mais il peut tout de même être important de réaliser des reportages sur ces actes de guerre, tout en reconnaissant qu’ils n’impliquent pas systématiquement une violation du droit, pour que les États impliqués soient politiquement comptables, afin de réduire au maximum les préjudices causés aux civils lors de conflits armés.

Ce chapitre présente une vue d’ensemble du droit qui s’applique aux conflits armés, et des actes qui sont légaux ou non. Il n’est pas exhaustif, et des ressources complémentaires seront proposées dans ce guide. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est une des sources qui font autorité pour l’interprétation des règles applicables dans les conflits armés, et qui proposent des ressources utiles aux journalistes qui travaillent sur les conflits armés.

Lecture à la radio, deux fois par jour, d’une liste de noms d’enfants portés disparus, fournie par le CICR, dans l’espoir de réunir les familles, à Minova, en République démocratique du Congo, le 29 janvier 2009. Un grand nombre de personnes ont pu retrouver leurs proches grâce à cette initiative. Image : Ron Haviv, VII.

Les cadres législatifs en vigueur

De manière générale, le droit suivant s’applique en cas de conflit armé :

  • Le droit international humanitaire (appelé aussi ‘droit de la guerre’ ou ‘droit des conflits armés’). Il régit les actions des États et des groupes armés non étatiques qui participent à un conflit. Cet ensemble de lois porte principalement sur la responsabilité des États (ou des groupes armés), par opposition à la responsabilité individuelle.
  • Le droit pénal international, qui régit la responsabilité pénale individuelle des auteurs de crimes internationaux (génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre), que ce soit dans le cadre de conflits armés ou non. Bien qu’ils soient étroitement liés, le droit pénal international et le droit international humanitaire représentent des cadres législatifs bien distincts.
  • Le droit international relatif aux droits humains, qui régit les obligations des États (et, dans certains cas, des acteurs non étatiques) envers les personnes se trouvant sur leur territoire et/ou relevant de leur juridiction, bien qu’il arrive que son application varie en cas de conflit armé.
  • La législation nationale propre à chaque État.
  • Les autres lois et accords internationaux entérinés par un État, bien que leur application puisse varier en cas de conflit armé.

Le droit international humanitaire ne s’applique que dans le cas de conflits armés et sur la base de critères juridiques spécifiques.

En ce qui concerne les actes de guerre, le corpus juridique le plus pertinent est le droit international humanitaire. Il ne s’applique que dans le cas d’un conflit armé et s’intéresse aux questions suivantes, entre autres : selon quels critères une cible est-elle légitime (voir le principe de distinction ci-dessous) ; quels sont les moyens et les méthodes qui peuvent être utilisés au cours des hostilités (par exemple, quelles armes sont interdites) ; et de quelle manière sont traitées les personnes aux mains des parties au conflit, notamment les détenus et les personnes qui ne participent plus aux hostilités.

Types de conflit armé

Le droit international humanitaire ne s’applique que dans le cas d’un conflit armé, et sur la base de critères juridiques spécifiques.

Il existe deux types de conflit armé :

  • Les conflits armés internationaux (‘CAI’), entre États.
  • Les conflits armés non internationaux (‘CANI’), entre des groupes armés non étatiques et un État, ou entre au moins deux groupes armés non étatiques (parfois appelés guerres civiles, conflits intra-étatiques ou internes).

La distinction est importante parce que le cadre juridique applicable varie, bien que les règles fondamentales soient les mêmes. Ce sont les parties en présence qui font toute la différence. Il arrive que certains conflits impliquent ces deux types de conflit armé, auquel cas ces situations doivent alors être analysées de manière particulière. Les situations d’occupation armée, quand un État occupe une partie ou la totalité du territoire d’un autre État, sont considérées comme des conflits armés internationaux, et des règles spécifiques régissent ces situations en vertu de traités ou du droit coutumier. L’existence d’un conflit armé – et l’applicabilité des règles relatives au droit international humanitaire qui en découle – ne sont pas toujours évidentes au début (en particulier pour les CANI), mais certaines institutions cartographient l’existence possible de conflits dans le monde.

Terminologie : En quoi ‘conflit armé’ diffère de ‘guerre’

Le droit international humanitaire s’applique dès le début de tout ‘conflit armé’. Il s’agit d’un terme juridique, distinct (mais non mutuellement exclusif) d’autres termes politiques comme le terme ‘guerre’. On peut parler du déclenchement d’une ‘guerre’ dans un sens politique (par exemple, une ‘guerre civile’, la ‘guerre contre les stupéfiants’ ou la ‘guerre contre le terrorisme’), mais cela n’implique pas automatiquement qu’il y ait un conflit armé et, partant, il n’est pas certain que le droit international humanitaire s’applique. Il existe des critères juridiques pour déterminer si nous sommes en présence d’un conflit armé :

  • Un conflit armé international est déclenché par le recours à la force armée entre États souverains (en théorie, un seul tir transfrontalier pourrait suffire).
  • Pour que l’on parle de conflit armé non international, il faut que la violence s’inscrive dans le temps et qu’elle soit intense, et que la structure du ou des groupes armés impliqués réponde à certains critères.

Toutes les lois ne s’appliquent pas à tous les États

En vertu du droit international, les États ne sont liés que par les lois qu’ils ont signées, généralement en ratifiant des traités (en les signant et en les appliquant au niveau national), ou par le droit international coutumier. La base de données de l’ONU sur les traités, la base de données de droit international humanitaire du CICR, et d’autres ressources en ligne proposent des listes et des informations qui indiquent quels États ont ratifié quels traités.

Les parties à un conflit armé sont liées par :

La légalité du déclenchement d’un conflit armé est régie par des règles distinctes du droit international (des lois sur le recours à la force entre États). Mais la façon dont un conflit a été déclenché, et la ou les raisons pour lesquelles il l’a été, n’ont aucune incidence sur les règles qui s’appliquent aux conflits armés. En résumé, le même droit international humanitaire s’applique, qu’un conflit armé ait été déclenché illégalement ou non.

Lahey, Hollanda'daki Uluslararası Ceza Mahkemesi. Resim: Shutterstock

La Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. Image : Shutterstock

Le droit de la guerre

Il existe des règles détaillées pour régir la conduite des hostilités, conformément au droit international humanitaire, et pour fournir des garanties aux personnes qui ne prennent pas (ou ne prennent plus) part aux hostilités, comme les détenus, les malades ou les blessés. Les règles présentées ci-dessous sont représentatives de certains des grands principes et des garanties principales prévues par le droit international humanitaire, mais elles ne sont pas exhaustives.

La conduite des hostilités

Les principes de distinction et de proportionnalité sont les deux règles fondamentales qui régissent la conduite des hostilités.

  • Distinction

Le principe de distinction stipule que les parties à un conflit armé sont toujours tenues de faire la distinction entre les civils et les personnes participant aux hostilités (y compris les combattants) ; et, aussi, entre les biens et infrastructures à caractère civil d’un côté, et les objectifs militaires de l’autre. Seuls les objectifs militaires et les personnes participant aux hostilités peuvent, d’un point de vue légal, être la cible d’une attaque.

Qui peut être pris pour cible ? En ce qui concerne les personnes, seuls les combattants et les personnes qui participent aux hostilités de façon directe peuvent constituer des cibles licites. Toutefois, les civils qui sont tués ou qui subissent un préjudice ne sont pas nécessairement victimes d’une attaque illicite, si toutes les règles de ciblage ont été respectées.

Prisonniers de guerre bosniaques et croates dans le camp de prisonniers de Manjaca, en Bosnie, le 22 août 1992. Toutes les parties au conflit en Bosnie avaient mis en place des camps de prisonniers où un grand nombre de personnes ont été tuées. Plusieurs commandants ont par la suite été inculpés pour crimes de guerre.

Qu’est-ce qui peut être pris pour cible ? Les objectifs militaires comprennent tous les éléments qui contribuent effectivement à l’effort militaire, que ce soit par leur localisation, leur fonction, leur utilisation ou par l’avantage militaire que leur destruction partielle ou totale procurerait au camp adverse à un moment précis. Les biens à caractère civil par nature (les bâtiments civils, les ponts et les routes, par exemple) peuvent par conséquent être considérés comme des objectifs militaires en fonction des circonstances, par exemple s’ils sont utilisés pour entreposer ou transporter du matériel militaire. Néanmoins, les deux parties au conflit sont tenues d’éviter de faire un usage militaire de certains biens à caractère civil, en particulier les infrastructures médicales (voir ci-dessous les emblèmes protégés et l’abus de confiance).

S’il existe le moindre doute concernant le caractère civil ou militaire d’une personne ou d’un bien, ils sont présumés avoir un caractère civil et ne sont pas des cibles légitimes.

En droit international humanitaire, le terme ‘combattant’ a une définition juridique spécifique, qui désigne tous les membres des forces armées d’un État (à l’exclusion du personnel médical et religieux). Les combattants sont considérés comme des objectifs militaires et peuvent donc légalement être pris pour cible, sauf s’ils sont hors de combat (par exemple, s’ils sont blessés ou malades, ou s’ils se sont rendus), et ils ont droit au statut de prisonnier de guerre s’ils ont été capturés par l’ennemi.

En droit international humanitaire, toute personne qui n’est pas un combattant est légalement considérée comme un ‘civil’. Toutefois, il arrive que les civils n’aient plus de garantie juridique en cas d’attaque s’ils prennent une part directe aux hostilités. Les circonstances de ce changement de statut peuvent faire l’objet de controverses, comme le moment à partir duquel ils ne jouissent plus de cette protection, et pour combien de temps. Les membres de groupes armés non étatiques qui participent aux hostilités peuvent être considérés comme des combattants et n’ont plus le statut de ‘civils’ pendant toute la durée de leur appartenance au groupe armé. Des termes comme ‘combattant’ ou ‘activités de combat constantes’ sont parfois utilisés pour désigner les membres de ces groupes armés.

Quelles que soient leurs actions, les combattants tout comme les civils ne peuvent jamais perdre les garanties que prévoit le droit international, par exemple le droit d’être traité avec humanité.

  • Proportionnalité

Le principe de proportionnalité stipule qu’une attaque est illicite si le préjudice qu’elle cause aux civils est beaucoup plus conséquent que l’avantage militaire escompté avant l’attaque. Par exemple, le fait de bombarder un objectif de peu de valeur, comme un camion militaire vide sur un marché très fréquenté, et de tuer de nombreux civils, ne répondrait pas aux principe de proportionnalité.

En revanche, une attaque qui fait des blessés et des morts dans la population civile, ou qui endommage des infrastructures à caractère civil, n’est pas nécessairement illicite si l’avantage militaire escompté est plus conséquent que les préjudices causés à la population civile (ce que l’on appelle parfois ‘dégâts collatéraux’ ou ‘dégâts indirects’). Ainsi, les décès de civils ne constituent pas systématiquement des crimes de guerre ou des violations du droit international humanitaire. Le principe de proportionnalité dépend de la situation connue au moment de la prise de décision et de l’attaque, et ne peut être évalué à partir d’éléments qui pourraient apparaître après les faits. Par ailleurs, ce principe repose sur un équilibre entre humanité et nécessité militaire, équilibre qu’il n’est pas possible de calculer avec exactitude. Ce qui fait qu’il est parfois particulièrement difficile de décider si cet équilibre était atteint au moment de l’attaque.

Précautions lors de l’attaque

Pour déterminer si une attaque est licite au regard du droit international humanitaire (c’est-à-dire, si elle respecte les principes de distinction et de proportionnalité), il faut que les personnes qui planifient et mènent les opérations militaires prennent les précautions nécessaires, dans la limite du possible, au moment de l’attaque. Il s’agit notamment de veiller en permanence à épargner les civils au cours des opérations militaires, de vérifier que l’objectif est bien militaire et non civil, d’annuler ou de suspendre l’attaque si la force employée risque d’être aveugle ou disproportionnée, et d’envoyer des avertissements en cas d’attaque, le cas échéant.

Ces précautions s’appliquent aussi pour protéger les civils et les biens à caractère civil contre les effets de l’attaque, par exemple en décidant de ne pas déployer de matériel ou de personnel militaire dans les zones densément peuplées.

Armes

Le droit international humanitaire réglemente aussi les moyens et les méthodes de guerre, y compris les types d’armes qui peuvent ou ne peuvent pas être utilisés. Il s’agit notamment des armes qui, par leurs caractéristiques, ne peuvent pas distinguer les cibles licites des cibles illicites, et des armes qui causent des blessures ou des souffrances inutiles. Certaines armes sont également interdites ou leur utilisation est réglementée par certains traités (par exemple, les armes biologiques et chimiques, les mines antipersonnel et les balles expansives).

Il restait entre quatre et six millions de mines antipersonnel après huit années de guerre civile au Cambodge, et ces mines font toujours des dizaines de victimes dans le pays chaque année.

Autres garanties liées au droit international humanitaire

Le droit international humanitaire prévoit des garanties pour les personnes qui ne prennent pas (ou ne prennent plus) part aux hostilités. Certains de ces principes sont résumés ici.

  • Le traitement des personnes en détention

Toute personne qui ne participe pas (ou ne participe plus) aux hostilités doit être traitée avec humanité dans tous les cas, notamment être protégée de la torture ou des traitements inhumains et/ou dégradants. Les civils détenus pour des motifs liés au conflit armé ont droit à des garanties judiciaires spécifiques relatives aux conflits armés internationaux. Les prisonniers de guerre — dont le statut n’existe que dans un contexte de conflit armé international — ont droit aux garanties détaillées dans la troisième Convention de Genève de 1949, notamment le droit à des garanties judiciaires, la garantie de ne pas servir dans les forces armées adverses et le droit de pouvoir communiquer avec le monde extérieur dans le respect de certaines règles.

  • Occupation

Le droit international humanitaire inclut des règles spécifiques qui régissent l’occupation, qui est toujours censée être de nature provisoire. Ces lois comportent les dispositions relatives à l’administration des territoires ainsi que les interdictions de déplacements forcés et de punitions collectives. Par ailleurs, les puissances d’occupation ont généralement des obligations envers les personnes sous leur contrôle selon le droit international relatif aux droits humains.

  • Utilisation abusive des emblèmes protégés

Le droit international humanitaire prévoit une garantie renforcée dans certains cas, y compris pour l’utilisation des emblèmes de la croix-rouge, du croissant-rouge et du cristal-rouge. L’utilisation protégée de ces emblèmes est cruciale pour que les règles humanitaires soient respectées en cas de conflit armé. Les parties au conflit doivent avoir la certitude que personne, y compris leurs adversaires, ne fait d’utilisation abusive de ces emblèmes, pour que la neutralité et la garantie qu’ils symbolisent continuent d’être respectées. Dénaturer un statut civil ou protégé, y compris ces emblèmes, constitue une violation du droit international humanitaire. Commettre un abus de confiance en utilisant ces garanties pour tuer, blesser ou capturer une personne, constitue un crime de guerre.

Mama Bona, bénévole du Comité international de la Croix-Rouge, lors d’une distribution de nourriture à Saké, en République démocratique du Congo, en 2009. Elle s’occupe d’orphelins et d’enfants non accompagnés depuis 1992. Elle élève quatre orphelins rwandais et est responsable de la supervision d’autres familles d’accueil. Image: Ron Haviv, VII.

Crimes de guerre

Le droit international humanitaire traite principalement de la responsabilité des parties à un conflit, comme les États et les groupes armés non étatiques. Le terme ‘crimes de guerre’ désigne un sous-ensemble de violations graves du droit international humanitaire qui entraînent une responsabilité individuelle. Mais il est important de reconnaître que toutes les violations du droit en temps de guerre ne constituent pas des crimes de guerre. De même, tous les décès de civils ne constituent pas des crimes de guerre, ou des violations du droit international.

Les violations des principes de distinction et de proportionnalité constituent des crimes de guerre, tout comme la torture, les traitements inhumain infligés aux détenus, ou encore l’utilisation abusive d’emblèmes protégés. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale dresse la liste des crimes de guerre pouvant être commis dans le cadre de conflits armés internationaux et non internationaux. Tous les pays n’ont pas ratifié le Statut de Rome, mais on considère généralement que les crimes de guerre qui figurent sur cette liste correspondent à l’interprétation d’usage de ce terme au niveau international.

Les États ont l’obligation d’enquêter sur les crimes de guerre commis par leurs forces armées et leurs ressortissants, ainsi que sur les crimes perpétrés sur leur territoire et/ou relevant de leur juridiction et, le cas échéant, de traduire les suspects en justice. Ils peuvent également décider d’enquêter et de porter tout crime de guerre devant la justice, quel que soit l’endroit où il a été commis, et indépendamment de l’identité de la personne qui l’a commis. On appelle ce principe la ‘compétence universelle’.

Génocide et crimes contre l’humanité

Le génocide et les crimes contre l’humanité constituent deux autres formes de crimes internationaux, qui sont également des concepts définis au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour juger les crimes internationaux commis au cours des années précédentes. Ces deux formes de crimes sont aujourd’hui codifiées dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. La Convention sur le génocide, qui date de 1948, est aussi considérée comme un instrument juridique de droit coutumier liant tous les États. Remarque : le génocide et les crimes contre l’humanité comportent des éléments pénaux différents de ceux des crimes de guerre :

  • Les crimes contre l’humanité doivent avoir été commis dans le cadre d’une « attaque systématique ou généralisée ».
  • Le génocide doit avoir été commis « avec l’intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
  • Les génocides et les crimes contre l’humanité peuvent avoir été commis dans le cadre d’un conflit armé ou bien indépendamment.

Ces deux types de crimes internationaux sont généralement commis à grande échelle, contrairement aux crimes de guerre, qui peuvent être commis de façon isolée. Pour déterminer s’il y a eu crimes contre l’humanité ou génocide, il faut donc identifier les grandes tendances et l’ampleur de ces crimes, et prouver qu’il y a eu une intention préalable. Les crimes de guerre sont parfois commis dans le cadre d’un génocide ou de crimes contre l’humanité.

Le camp de la mort d’Auschwitz, vu de l’entrée principale du camp, où peut lire ‘Arbeit Macht Frei’, alors que les premiers visiteurs arrivent à Oswiecim, en Pologne, un matin de 2009. Image: Ron Haviv, VII.

Autres violations du droit

Les crimes de guerre ne sont pas les seules violations du droit international humanitaire qui ont de graves conséquences. D’autres violations, comme le manque de précautions lors d’une attaque, peuvent causer des pertes en vies humaines et des blessures graves chez les civils et/ou gravement endommager des biens à caractère civil, même si une seule personne n’est pas forcément responsable de cet acte, au niveau pénal. Utiliser des emblèmes protecteurs à mauvais escient peut aussi constituer un crime de guerre si cela est fait dans le cadre d’un abus de confiance mais, dans tous les cas, cela constitue une violation du droit international humanitaire qui peut avoir des conséquences graves si elle entame la confiance dans le personnel et dans les biens à caractère médical et humanitaire. Les États ont l’obligation d’enquêter sur les violations éventuelles et de les réprimer.

‘Présumé’ ou ‘éventuel’ : comment déterminer s’il y a eu crime de guerre ou violation du droit

Les journalistes doivent garder à l’esprit que leurs enquêtes ne réussiront que rarement à prouver à elles seules qu’il y a eu violation du droit international.

Quand on observe un incident ou que l’on fait un reportage sur celui-ci, il n’est généralement pas possible de prouver qu’il y a eu crime de guerre. Tout le monde, y compris les personnes accusées de crimes de guerre, a droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence (ou au droit équivalent dans la législation nationale). C’est pourquoi seul un tribunal peut établir que des crimes de guerre ou d’autres violations du droit humanitaire sont avérés, et ce à l’issue d’une enquête rigoureuse et d’un procès. Quand on réalise un reportage sur des actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, il est juridiquement exact de parler dans ce reportage de crimes de guerre ‘présumés’ ou ‘éventuels’.

Dans la plupart des cas, pour pouvoir prouver une violation du droit international humanitaire, il faut obtenir des informations auprès des institutions militaires ou étatiques. Par exemple, il peut s’agir de rapports, de documents qui attestent de la connaissance du contexte au moment des faits, des renseignements utilisés, de la nature de la cible réellement visée, de la manière dont les préjudices escomptés concernant les civils ont été évalués et mis en balance avec l’avantage militaire direct escompté, et des précautions qui ont été prises dans la limite du possible.

Les États ont l’obligation majeure d’enquêter sur d’éventuelles violations du droit. Quand ils ne parviennent pas à le faire de manière efficace, d’autres organismes peuvent intervenir, comme la Cour pénale internationale ou certaines agences des Nations unies. La société civile, y compris les journalistes et les organisations de défense des droits humains, peut jouer un rôle prépondérant en sensibilisant la population au sujet de violations éventuelles ou présumées, et en rappelant à l’ordre les États qui n’ont pas mené à bien leurs enquêtes. Connaître la loi et en signaler toute violation éventuelle peut être force de persuasion pour inciter les États à engager une enquête. Dans de nombreux cas, les enquêtes menées par les acteurs non étatiques portent leurs fruits et les responsables doivent rendre des comptes. Néanmoins, les journalistes doivent garder à l’esprit que leurs enquêtes ne seront que rarement en mesure de prouver à elles seules une violation du droit international, et qu’il est important de ne pas compromettre d’éventuelles enquêtes futures.

Responsabilité de commandement

Le concept de responsabilité de commandement est un concept unique du droit international. Il stipule que les commandants peuvent être tenus directement responsables des actes de leurs subordonnés. Au regard du droit pénal international, cette responsabilité peut s’étendre aux supérieurs hiérarchiques civils (et pas seulement aux commandants militaires). Une telle responsabilité peut prendre deux formes :

Ce concept a été examiné dans le détail par les tribunaux pénaux internationaux. Différents éléments juridiques du concept sont nécessaires, comme s’assurer que le commandant « était au courant ou aurait dû être au courant » des crimes de guerre, et qu’il n’a pas pris les « mesures nécessaires et raisonnables » en son pouvoir.

Tribunaux pénaux internationaux, entre autres

La salle d’audience du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, un organe des Nations unies mis en place pour juger les crimes de guerre commis pendant les Guerres de Yougoslavie ainsi que leurs auteurs. Le tribunal était une cour créée pour l’occasion, qui a siégé à La Haye, aux Pays-Bas. Image: Ron Haviv, VII.

Les crimes de guerre peuvent être jugés devant différents tribunaux au niveau national et international, en fonction des traités signés par les États impliqués et de la volonté politique des États dans lesquels se trouvent les auteurs de ces crimes :

Différents tribunaux ad hoc ou hybrides ont été mis en place, pendant des périodes de transition après certains conflits, pour juger les crimes internationaux commis pendant le conflit. On citera par exemple les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les tribunaux ad hoc mis en place dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, ainsi que les tribunaux hybrides créés au Cambodge, en Sierra Leone, au Liban et au Timor oriental.

Traduit de l’anglais par Béatrice Murail.


Dr. Claire Simmons international humanitarian law University of EssexClaire Simmons est une juriste en droit international humanitaire. Elle est maître de conférences à l’Académie royale militaire de Sandhurst et membre du centre de conflits armés et de crise de l’Université d’Essex. Elle a de l’expérience dans le domaine du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans des institutions universitaires et des organisations à but non lucratif. Les opinions exprimées dans ce chapitre sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions d’entités affiliées.


Ron Haviv est un cinéaste dont le travail a été sélectionné aux Emmy Awards et un photojournaliste dont les images ont été primées. Il est aussi le cofondateur de l’agence de photos VII, spécialisée dans la couverture des conflits et dans la sensibilisation aux questions des droits humains dans le monde, et le cofondateur de la fondation à but non lucratif, VII Foundation, qui se focalise sur des projets documentaires et propose des formations gratuites au journalisme visuel.

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