

Guide électoral à l’usage des journalistes d’investigation : Comment se préparer aux élections
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Note : Ce guide de rapport a été mis à jour et révisé pour le cycle électoral de 2024. Il a été initialement publié en 2022.
Au cours des dernières années, les journalistes d’investigation de nombreux pays ont inscrit sur les murs de leurs rédaction des termes tels que « fraude au financement des campagnes électorales », « népotisme », « conflits d’intérêts », « bourrage d’urnes et fausses déclarations », comme autant de sujets à cibler avant les élections.
Cependant, alors que les populistes, les alliés corrompus et les mouvements d’extrême droite copient les uns sur les autres leurs tactiques et exploitent les faiblesses des plateformes de réseaux sociaux et des communications téléphoniques – tandis que la violence politique et la désinformation deviennent monnaie courante –, les journalistes d’investigation doivent désormais surveiller toute une série de phénomènes anti-démocratiques supplémentaires.
Dans les mois (et même les années) précédant le vote, les journalistes d’investigation devraient également se pencher sur des éléments tels que les opérations d’influence étrangère, les relations publiques obscures, les purges des listes électorales, les deepfakes de discours, les lois visant à empêcher les électeurs de voter, l’astroturfing (ou similitantisme), les attaques de type « zéro clic » et les campagnes de diffamation initiées par l’État, où des agents du gouvernement transmettent leur surveillance secrète des politiciens ou des journalistes à des alliés des médias, comme cela s’est produit dans des pays comme la Serbie.
À l’approche du scrutin, les journalistes devraient passer à une conduite plus tactique, et être attentifs à des éléments tels que la vigilance contre la fraude électorale, les cyberattaques par déni de service, l’intimidation par les milices, les fermetures de bureaux de vote par des militants, le « doxxing » des fonctionnaires électoraux et le « swatting » (ou « filature »). (Une toute nouvelle menace électorale en 2024 : le « swatting » consiste à falsifier les rapports des services d’urgence concernant des fusillades au domicile de politiciens ou de responsables partisans afin de convoquer la police armée à ces adresses, créant ainsi des situations dangereuses et des titres de journaux potentiellement négatifs. En décembre 2023 et janvier 2024, des policiers armés ont débarqué au domicile de plusieurs politiciens et fonctionnaires importants aux États-Unis à la suite de faux signalements de militants, et les experts craignent que cette tactique ne s’étende pas seulement à l’approche des élections, mais qu’elle soit également copiée par des activistes dans d’autres démocraties à risque.
Ainsi, pour se préparer à 2024 et 2025, les journalistes doivent élargir leurs sujets d’enquête, tout en comprenant les limites juridiques existantes des scrutins ainsi que les nouvelles menaces numériques auxquelles eux-mêmes et leurs sources sont confrontés.
Les élections nationales sont censées être des compétitions crédibles et équitables pour le droit de gouverner, qui sont régies par des lois et décidées par des électeurs correctement informés. Les journalistes d’investigation doivent examiner l’écart entre ce qui devrait se passer et ce qui se passe réellement lors de ces élections, et déterminer qui est à l’origine des efforts déployés pour renverser la volonté du peuple. Toutefois, comme le souligne le chapitre d’introduction de ce guide, de nombreux pays répressifs utilisent des lois autocratiques et la menace de représailles de l’État pour organiser des élections fictives, qui n’ont aucune valeur en tant que mesure de la volonté des citoyens, mais qui sont dangereuses en tant que source de propagande et de renforcement de l’oppression.
Selon les experts, pour se préparer à enquêter sur l’écart entre ce qui devrait se passer et ce qui se passe effectivement dans les campagnes, il faut apprendre les règles et les lois qui régissent le scrutin, mettre en place des outils et des méthodes pour assurer votre sécurité mais aussi celle de vos données et de vos sources, et répertorier les tendances, les sources et les menaces qui pourraient donner lieu à des articles et à des enquêtes dignes d’intérêt.
L’un des risques inhérents à un système démocratique est qu’il est possible qu’une majorité légale de citoyens choisisse volontairement une direction autocratique, ce qui pourrait empêcher les futurs électeurs de faire des choix démocratiques. Bien qu’un tel choix soit leur droit en tant qu’électeurs, il est très peu probable qu’ils aient l’intention de se priver de leurs droits et de ceux des futurs citoyens. Il appartient donc aux journalistes d’utiliser des preuves et des sources convaincantes pour leur montrer les dangers possibles de l’autocratie et la vulnérabilité potentielle de leurs constitutions, de leurs institutions et de leurs lois. Car la véritable démocratie exige un électorat correctement informé. Un exemple : en décembre 2023, The Atlantic a consacré l’intégralité de son édition à des articles profondément documentés, rédigés par deux douzaines de journalistes expérimentés, sur l’impact qu’une deuxième administration de Donald Trump aurait probablement sur tous les aspects de la société américaine, en se fondant sur les preuves recueillies au cours de ses quatre premières années au pouvoir. Ce type d’enquête prospective donne un aperçu utile de certaines des étapes classiques que les soi-disant autocrates élus peuvent utiliser pour s’accrocher au pouvoir dans les nations démocratiques – et révèle également les limites alarmantes des lois bien intentionnées lorsque des fonctionnaires partisans sont prêts à violer leurs serments.
Selon les experts, il est important que les rédacteurs en chef, lorsqu’ils planifient les enquêtes prioritaires, identifient les « points de basculement » démocratiques des partis politiques, où soit un parti au pouvoir ne tolérera plus d’opposition critique, soit un grand parti politique renoncera tout simplement à essayer de persuader de nouveaux électeurs. Dans ce dernier cas, les partis se concentreront plutôt sur l’utilisation de tactiques contraires à l’éthique, voire illégales, pour supprimer le soutien et l’accès au vote de leurs rivaux, et sur la maximisation de leur propre participation électorale au moyen d’affirmations trompeuses et alarmantes. Cela peut se produire, par exemple, lorsqu’un parti conclut que son programme politique ne peut pas faire face à l’évolution démographique de l’électorat. Cette stratégie de non persuasion peut être particulièrement efficace lors d’élections organisées par des partis politiques plutôt que par des commissions électorales indépendantes.
Dans ce chapitre, nous mettons l’accent sur les règles et les tendances techniques que les reporters doivent connaître, comme l’évolution des procédures de vote dans les différentes régions du monde et la manière de repérer les preuves d’ingérence étrangère. Nous proposons également des conseils de sécurité et des outils pour gérer le calendrier électoral parfois très serré, ainsi qu’un cadre permettant aux journalistes de surveiller l’autoritarisme rampant dans les démocraties, y compris une liste de tactiques anti-démocratiques que les autocrates utilisent de plus en plus pour faire basculer les élections de leur côté.
Jeter les bases
Connaître les règles
Environ la moitié des pays qui organisent des élections utilisent un mode de scrutin proportionnel, où les sièges à l’assemblée sont attribués à chaque parti proportionnellement au pourcentage des voies obtenues, ce qui donne aux petits partis une plus grande chance d’être représentés. Environ un quart des démocraties utilisent un mode de scrutin où chaque circonscription n’élit qu’un seul député. L’unique siège revient donc au parti qui arrive en tête. Le dernier quart suit un mode de scrutin intermédiaire. (Cette base de données recense les différences subtiles entre ces modes de scrutin). Mais à chaque élection, les journalistes d’investigation doivent s’adapter à de nouvelles règles. Vous trouverez ci-dessous une liste de ressources pour comprendre les règles qui régissent les scrutins de votre pays :
- Renseignez-vous sur les lois et procédures électorales, les dispositions constitutionnelles et les ONG du pays où vous menez votre enquête. Consultez également cette base de données sur les scrutins dans différents États, qui est mise à jour par l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA). Cette ressource offre des données détaillées et comparatives sur les élections dans 217 pays et territoires.
- ACE Electoral Knowledge Network recueille des données électorales de plus de 200 pays, sur 11 sujets liés au mode de scrutin.
- Manuels électoraux spécifiques à chaque pays. Par exemple, le manuel complet « Dataphyte Handbook on Data-driven Election Reporting » pour le Nigeria, ou le nouveau manuel pour la couverture des élections au Zimbabwe, de la Commission des médias du Zimbabwe. Pour les jeunes reporters qui découvrent la campagne électorale en Afrique, consultez les conseils de Jamlab pour la couverture des élections.
- Open Election Data Initiative explique le fonctionnement des élections et propose quelques études de cas utiles sur le financement de campagnes électorales en Amérique latine.
- Demandez aux universitaires sur place, aux ONG prodémocratie, aux experts électoraux et aux observateurs indépendants – comme les 251 groupes énumérés ici – de vous tenir informer de toute évolution des règles qui régissent le scrutin qui vous intéresse.
- Renseignez-vous sur le dispositif de vote électronique et les fournisseurs prévus pour les prochaines élections. Bien que la base de données Verifier créée par l’organisation à but non lucratif VerifiedVotingsoit spécifique aux États-Unis, cet outil facile à rechercher contient des détails très précis sur des dispositifs commerciaux de marquage des bulletins de vote et des systèmes de vote sur Internet, ou encore l’utilisation de scanners optiques et de carnets de vote électroniques, que l’on peut retrouver dans d’autres pays.
- Renseignez-vous sur les élections passées. Cette excellente base de données mondiale recense le taux de participation aux élections nationales. En plus des archives électorales locales et des médias de référence comme LexisNexis, consultez les archives électorales d’Adam Carr, qui – bien que non exhaustives – intègrent les résultats électoraux mondiaux avec des cartes, et conserve certaines données historiques supprimées des sites Web des autorités nationales.
Connaître les arbitres
- Renseignez-vous sur les responsables électoraux – leur autorité, leur organisation – sur des sites comme Electoral Management Design Database, d’International IDEA. On y trouve des données sur les commissions électorales, les mandats, certains fonctionnaires et les mécanismes de nomination.
- Consacrez du temps au début du cycle électoral à identifier deux ou trois fonctionnaires électoraux clés, à tisser des liens avec eux et à obtenir leur numéro de téléphone. Les journalistes politiques chevronnés soulignent qu’il est difficile de joindre les responsables électoraux pendant la semaine électorale, lorsqu’ils sont submergés de travail, à moins qu’ils ne vous connaissent déjà. Ce sont des sources cruciales pour comprendre à la fois les règles et les problèmes du scrutin.
- Configurez des listes de comptes Twitter de fonctionnaires électoraux. Lors de l’élection américaine de 2020, la journaliste de First Draft, Diara Townes, a compilé une liste de flux Twitter pour 47 des 50 secrétaires d’État, qui sont les principaux responsables de la bonne tenue des élections aux Etats-Unis. Cette ressource permet aux journalistes de suivre en temps réel les préoccupations et les décisions de ces fonctionnaires. Les experts recommandent également de créer des listes Twitter de journalistes politiques bien informés, en particulier ceux des provinces ou des États concernés. Par exemple, lors de cette même élection américaine, le Washington Post a compilé une liste Twitter des principaux journalistes politiques à suivre dans chaque État.
- Passez en revue les normes internationales sur la couverture des élections, notamment en ce qui concerne les discours de haine et la réglementation des médias, dans le guide Médias et élections du Programme des Nations Unies pour le développement.
Examiner de près les recrutements effectués au début de la campagne
De plus en plus souvent, les partis politiques populistes ou leurs alliés de campagne – ou les pouvoirs autocratiques étrangers – engagent des agences de relations publiques « obscures » au début des cycles électoraux et les chargent de salir la réputation des militants et des fonctionnaires qui soutiennent le parti rival. Les journalistes ont découvert que certaines de ces agences offrent des contrats lucratifs à des influenceurs de médias sociaux pour répandre des insinuations et des ragots – et affirment que la source de financement de ces campagnes est souvent une bonne cible pour les journalistes d’investigation. Dans le chapitre qu’il a rédigé pour le « Reporter’s Guide to Investigating Digital Threats » pour GIJN, le journaliste guatémaltèque Luis Assardo a noté que certaines agences de relations publiques dans le monde ont répondu à ce marché en créant leurs propres usines à trolls professionnels sur les médias sociaux à des fins électorales, comme l’a révélé une enquête d’El Pais sur les dernières élections présidentielles au Mexique : « Aux Philippines, il est courant que les campagnes engagent des agences de marketing spécialisées dans l’utilisation de trolls pour diffuser de la propagande et attaquer l’opposition« , a ajouté Luis Assardo. Il a également conseillé aux journalistes de se méfier de l’apparence de soutien populaire à de fausses narrations électorales, car cela pourrait être le résultat artificiel de tactiques d' »astroturfing », qui associent souvent plusieurs faux comptes pour créer l’illusion d’une large crédulité.
Conseil : Luis Assardo recommande d’utiliser des « outils d’écoute » tels que Brandwatch, Meltwater, Brand24 et Talkwalker pour identifier les campagnes de trolls en suivant des hashtags et des mots-clés spécifiques.
Pratiquer des techniques de recherche avancées dès le début du cycle de campagne
Une recherche en ligne efficace sera essentielle lors de la période critique des dernières semaines des élections. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, il est essentiel de connaître les principales techniques de recherche en ligne (des raccourcis puissants qui ne nécessitent pas de compétences informatiques avancées) dès le début des cycles électoraux. Une ressource concise que les journalistes expérimentés recommandent est la fiche de conseils de GIJN sur les techniques de recherche avancées, rédigée par Paul Myers, de la BBC, qui propose le genre de conseils de recherche qui aideront presque tous les projets de recherche en ligne. Pour aller plus loin dans les ressources open source pour les enquêtes électorales et les recherches sur les médias sociaux, consultez le nouveau guide complet de recherche en ligne du GIJN, rédigé par Henk van Ess.
Sécurité des journalistes d’investigation en période électorale
Les journalistes qui publient la vérité sur les élections peuvent être ciblés par des individus qui ne souhaitent pas que sortent ces informations. Les sources peuvent également faire l’objet d’attaques. Une bonne hygiène numérique et des précautions de sécurité intelligentes sont essentielles. Voici quelques habitudes à prendre :
- Activez le « mode verrouillage » sur votre iPhone. Dans son discours d’ouverture de la 13e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23), Ron Deibert, fondateur et directeur de l’unité de recherche sur la cybersécurité Citizen Lab à l’université de Toronto, a décrit une multitude de menaces de surveillance secrètes auxquelles les journalistes indépendants du monde entier sont aujourd’hui confrontés. Ron Deibert a prévenu que les nouvelles technologies de piratage « zéro clic », telles que Pegasus, peuvent pirater les téléphones des journalistes sans aucune action de leur part – et sans laisser de traces – et accéder non seulement à leurs communications, mais aussi aux caméras et aux microphones de leurs téléphones. Malgré la nature sombre des menaces, il a tout de même recommandé aux journalistes équipés d’iPhones d’activer le « mode verrouillage », car aucune infection par Pegasus n’a encore été enregistrée sur des téléphones fonctionnant avec ce mode de sécurité.
- Connaître, dénoncer et se défendre contre le harcèlement sexiste rampant. La récente étude de cas de l’International Center for Journalists (ICFJ) sur la campagne de harcèlement choquante et continue contre la journaliste indienne Rana Ayyub – de l’abus islamophobe aux menaces de mort et de viol – illustre la menace de violence en ligne à laquelle sont de plus en plus confrontés les reporters politiques s’identifiant à des femmes. Dans le cas de Rana Ayyub, il s’agissait de poursuites judiciaires forgées de toutes pièces par le parti au pouvoir en Inde, d’une surveillance physique et d’une campagne de harcèlement coordonnée sur Twitter. Le rapport de l’ICFJ établit notamment des parallèles effrayants avec la persécution de la fondatrice de Rappler et lauréate du prix Nobel de la paix, Maria Ressa, aux Philippines, soutenue par l’État, et avertit que les autocrates partagent désormais un « cahier de tactiques » pour attaquer les femmes journalistes indépendantes. Une enquête importante menée par le Guardian a montré comment la loi elle-même est utilisée comme arme contre les femmes journalistes dans des pays comme l’Inde. Les auteurs de l’ICFJ ont noté que le cas d’Ayyub était « emblématique du ciblage des femmes journalistes dans le pays ». Ces attaques se caractérisent par des « lynchs » numériques qui s’alignent sur le parti nationaliste hindou au pouvoir en Inde. Ces attaques sont invariablement ouvertement misogynes et teintées de désinformation ».
- Outre le rapport de l’UNESCO sur la crise – « The Chilling : Que peuvent faire de plus les organes de presse pour lutter contre la violence en ligne liée au genre ? – les femmes reporters peuvent trouver des dizaines de ressources pour atténuer ces menaces dans le chapitre sur la sécurité du guide pour les femmes journalistes de GIJN. GIJN a également compilé une page de ressources générales de guides de sécurité et d’organisations qui fournissent de l’aide aux journalistes en danger.
- Tableau de bord de la cybersécurité. Consultez ce site, qui recense des gestionnaires de mots de passe, des systèmes de protection contre les logiciels malveillants et des outils de cryptage gratuits ou bon marché, qui vous seront particulièrement utiles pour faire face aux menaces liées aux élections. Le guide de sécurité numérique de GIJN propose des conseils adaptés à différents niveaux de compétence.
- Utilisez le cryptage sur vos appareils. Il existe de nombreuses options à la fois gratuites et excellentes. La plupart des experts recommandent Signal pour communiquer, Protonmail pour envoyer des documents par courriel, la poste pour les documents papier et VeraCrypt pour les appareils qui risqueraient d’être confisqués.
- Surveillance physique. Si vous pensez que vous ou vos sources êtes suivis dans vos déplacements par des agents de campagnes politiques, des groupuscules ou des extrémistes, tenez compte des conseils et des étapes énoncés dans cet article de GIJN. Cependant, si vous pensez être suivi par la police ou des agents de renseignement de l’État, consultez des avocats ou organisations à but non lucratif spécialisés dans les droits de l’Homme, comme Citizen Lab ou Electronic Frontier Foundation. Si vous craignez une perquisition, vous pourrez mettre en œuvre les conseils réunis par GIJN dans cet article.
- Conseils pour rester en sécurité tout en couvrant les élections. Consultez les conseils mis à jour du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Ce guide comprend notamment une liste de contrôle de sécurité pour les journalistes, ainsi que des fiches de conseils sur le travail dans des communautés hostiles et sur la préparation à une coupure des communications et d’Internet. Le groupe a également publié un guide de sécurité à l’occasion des élections de 2021 au Mexique qui reste pertinent en 2024.
- Sécurité physique lors des manifestations politiques. Découvrez la boîte à outils complète du CPJ sur les décisions à prendre pour assurer sa sécurité lors d’événements politiques – du choix des vêtements aux risques de COVID-19 et de gaz lacrymogènes.
- Sécurité numérique lors d’émeutes et de manifestations électorales. Consultez le guide de PEN America pour protéger vos appareils et vos données lors d’événements présentant un risque de surveillance, d’arrestation et de confiscation de téléphones par les autorités.
- Google Voice. Le harcèlement par des militants de tel ou tel bord politique ou par des extrémistes représente une menace particulière lors des élections, en particulier pour les femmes journalistes. Envisagez donc de créer un compte Google Voice gratuit et sécurisé, si cet outil est disponible dans votre pays. Il s’agit d’un service téléphonique de voix sur IP (VoIP), qui peut fusionner plusieurs numéros de téléphone en un seul et ainsi dissimuler vos coordonnées. Ce service propose également une messagerie vocale consultable.
Outils pour gérer les défis liés au calendrier électoral et au flot d’informations
Les élections se caractérisent à la fois par leurs nombreuses échéances – de l’inscription des électeurs au dépôt des candidatures et au jour de l’élection lui-même – ainsi que par les énormes volumes d’information qu’elles charrient. Voici quelques outils qui vous aideront à rester serein.
- Utilisez les alertes Klaxon. Les journalistes n’ont pas le temps de vérifier toutes les modifications sur les dizaines de sites Web liés aux élections – qu’il s’agisse de sites officiels ou des sites des partis. Essayez donc l’application en sources ouvertes Klaxon. Créé par le média américain The Marshall Project, cet outil vous tient automatiquement informé des modifications de contenu sur les sites – et les parties de site – que vous aurez sélectionnés. L’outil communique avec vous par e-mail, sur Discord ou encore sur Slack.
- Archiver le plus possible. Étant donné que les pages Web partisanes sont régulièrement supprimées – et que l’existence de ces contenus est souvent niée à partir du moment où ils font l’objet de critiques – utilisez le plugin Hunch.ly pour archiver automatiquement vos propres recherches en ligne. Et utilisez Wayback Machine pour mettre au jour les pages Web modifiées ou supprimées que vous n’avez peut-être pas eu l’occasion de consulter. Voir le guide des dernières fonctionnalités de cet outil dans cet article de GIJN.
- Envisagez la retranscription automatique de vos interviews. Essayez Trint ou, pour une somme modique, Otter, pour retranscrire vos interviews électorales. Bien que ces entreprises déclarent que les enregistrements et les transcriptions sont sécurisés et ne sont jamais partagés avec des tiers, il vaut la peine de consulter ce récent article sur la sécurité des données détenues par ces services. Selon Jane Lytvynenko, experte en désinformation, les captures d’écran ne sont pas toujours reconnues en tant que preuves, elle encourage plutôt les journalistes à utiliser cet outil d’archivage automatique. « Les captures d’écran peuvent être facilement manipulées, elles ne préservent pas les métadonnées de la page et elles ne sont pas toujours reconnues par les tribunaux », note-t-elle.
- Plan reporting around election violence threats. Local human rights groups and election monitors are often good sources for flagging potential conflict flashpoints, and diligent social media keyword searches have revealed plots of violence at rallies. Lytvynenko says searches of the Telegram platform — finding channels via Google with search strings like site:t.me (plus keywords), and analyzing them with tgstat.com — are particularly useful for flagging planned intimidation incidents in many countries. Also, check out the Electoral Risk Management Tool, developed by International IDEA.
- Recherchez des groupes de discussion sur les réseaux sociaux sur le thème des élections. Pour les groupes Facebook, essayez cette séquence dans la recherche Google : site:facebook.com/groups « mot-clé ».
- Surveillez les échanges de la police. Suivez en temps réel ces canaux de communication officiels pour détecter d’éventuelles violences électorales aux États-Unis et au Canada, à proximité des lieux où se déroulent les élections, grâce à des applications de scanner radio pour la police et les services médicaux d’urgence telles que Broadcastify, OpenMHZ ou 5-0 Radio Pro.
- Configurez une feuille de calcul pour les recherches booléennes électorales. Nancy Watzman, journaliste-consultante pour le projet “La cybersécurité en démocratie” de l’Université de New York, conseille de dresser une liste de mots inhabituels, partisans ou xénophobes que vous pourrez rencontrer tout au long du cycle électoral. Elle recommande aux journalistes de les écrire dans une feuille de calcul, qu’ils peuvent ensuite extraire pour les combinaisons de recherche booléenne avant l’élection. Les termes booléens aident à concentrer les recherches Google sur les résultats dont vous avez vraiment besoin. (Watzman a utilisé une telle feuille de calcul pour rechercher les menaces qui ont suivi l’émeute du 6 janvier 2021 au Capitole américain.)
- Faites-vous connaitre des lanceurs d’alerte électoraux. Les journalistes d’investigation insistent sur le fait qu’il est essentiel de disposer d’un historique de reportages politiques de qualité, courageux et non partisans de la course de chevaux pour attirer les fuites et les informations provenant de l’intérieur de la campagne. Bien sûr, les allégations manipulées d’actes répréhensibles émanant de campagnes rivales ne manquent pas, mais les allégations émanant du personnel des campagnes ou des forces de l’ordre sont généralement à l’origine de certains des plus grands reportages électoraux.
Tendances électorales à surveiller
En plus des problèmes locaux qui se posent au cours de chaque cycle électoral, il y a des tendances internationales que les journalistes d’investigation se doivent de surveiller de près. Ces tendances découlent de changements démographiques, de nouvelles technologies ou de menaces numériques, ainsi que du fait que les gouvernements et les autorités électorales s’observent et se copient entre eux. Ces tendances pourraient générer de nouveaux contrats et des dépenses publiques, des menaces potentielles pour l’intégrité du vote, ou encore de la confusion chez les électeurs, quand bien même les évolutions étaient censées renforcer la démocratie.
La plus dangereuse de ces tendances est peut-être le « manuel des autocrates » : de plus en plus de dirigeants autoritaires copient les tactiques électorales répressives de leurs pairs. (Nous explorons ces tactiques ci-dessous.)
Cependant, David Levine, spécialiste de l’intégrité électorale à l’Alliance pour la sécurisation de la démocratie, et Sam van der Staak, chef du programme Europe à l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA), soulignent d’autres tendances notables :
- Monopole des médias politiques. Les experts mettent en garde contre une forte tendance à l’appropriation des médias – en particulier des chaines de télévision – par des politiques, des oligarques et les alliés commerciaux des autocrates, ce qui conduit à une couverture électorale asymétrique et à des attaques contre les médias indépendants. Sam van der Staak souligne une nouvelle loi en Pologne interdisant que des médias du pays soient détenus par des propriétaires non-européens, et encourage les journalistes d’autres pays à vérifier si leurs députés ne viennent pas à répliquer ce genre de mesure. « On sait encore trop peu de choses sur qui détient les médias », dit-il. « Ce que l’on sait déjà, c’est que de grands intérêts politiques rachètent les chaînes de télévision, et que les lois sont si strictes que ceux qui combattent les biais éditoriaux devant les tribunaux ne gagnent ces procès que bien des années après, quand l’élection est terminée depuis longtemps ». Sam van der Staak ajoute : « En Europe de l’Est et dans l’ensemble des Balkans occidentaux, vous voyez que la plupart des chaînes sont devenues extrêmement politisées, et appartiennent soit directement à des politiciens, soit à des entreprises offshore. » Conseil : Consultez cette nouvelle base de données sur les liens entre la propriété des médias et les entités politiques, qui concerne 40 pays.
- Interférence étrangère. Consultez Authoritarian Interference Tracker, site créé par l’Alliance for Securing Democracy, qui détaille et cartographie les cas de financement illicites de campagne, de cyberattaques et de désinformation depuis l’étranger contre 40 pays, et ce depuis l’an 2000. Vous pouvez également vérifier ces données avec Foreign Interference Attribution Tracker, créé par DFRLab, qui se concentre sur l’ingérence étrangère dans l’élection américaine de 2020, et évalue son impact. Renseignez-vous sur les outils qui voient le jour dans chaque pays en amont d’un scrutin – comme ce tableau de bord électoral français qui a été lancé un mois avant les élections françaises d’avril 2022.
- « Agents de l’étranger ». Il convient toutefois de noter qu’un nombre croissant de pays, de la Russie à la Hongrie en passant par l’Azerbaïdjan et l’Inde, ont également commencé à utiliser les termes « agent de l’étranger » et « ingérence étrangère » comme des termes de propagande ou ont interdit le financement étranger de la presse afin de réprimer les médias indépendants et de décourager les reportages critiques et d’investigation.
- Retour des systèmes de vote manuels en Occident. Selon David Levine, les récents efforts d’ingérence et de piratage de la Russie ont incité plusieurs pays développés, dont les Pays-Bas, à reconsidérer la sécurité des élections numériques et à revenir au vote manuel.
- Une infrastructure électorale de plus en plus numérique dans les jeunes démocraties. Sam van der Staak affirme que dans de nombreuses démocraties plus jeunes et dans les anciens pays du bloc communiste, les systèmes automatisés ont le vent en poupe. « Dans certains pays d’Europe centrale et orientale, les gens font d’avantage confiance à l’électronique qu’aux fonctionnaires, parce qu’ils se méfient des institutions », explique-t-il. Bien que certains systèmes soient solides, Sam van der Staak affirme que de nombreux systèmes électoraux électroniques et numériques peuvent faire l’objet de manipulations, et que les entreprises décrochent parfois ces contrats en distribuant des pots-de-vin. Selon lui, les pays qui adoptent des systèmes d’identification biométrique pour compenser le fait que peu de gens ont un passeport ou un permis de conduire sont particulièrement exposés à ce risque de corruption, en raison des coûts d’approvisionnement élevés de ces technologies. « En tant que journaliste, on peut s’interroger sur l’attribution de ces contrats », note-t-il. « On peut y dénicher des affaires très graves. »
- Voter en dehors d’un bureau de vote. Depuis 2020, la pandémie de COVID-19 a remis en cause la manière dont se tiennent habituellement les scrutins dans plusieurs pays. Par conséquent, de nouvelles dispositions, y compris le vote par correspondance, électronique ou par procuration, et des mécanismes de vote destinés aux populations de la diaspora, sont de plus en plus répandus. « Des pays adoptent ces nouvelles façons de voter parce que les nouvelles technologies le permettent, mais les journalistes et les observateurs ont plus de mal à enquêter sur ce genre de scrutin », analyse Sam van der Staak. La Moldavie, la Bulgarie, la Lituanie et d’autres États d’Europe de l’Est envisagent un vote plus électronique, tandis que l’Albanie fait partie des pays qui envisage le vote en ligne pour les citoyens résidant hors du pays.
- Des gouvernements utilisent la confidentialité des données comme prétexte pour cacher l’identité des donateurs. Sam van der Staak affirme que certains politiques et législateurs non-européens utilisent les règles européennes qui régissent la protection des données individuelles comme prétexte pour rendre opaque le financement de leurs campagnes. « La protection des données a une réputation positive, mais ce que je vois dans certains pays en dehors de l’UE, c’est qu’ils l’utilisent comme excuse pour cacher l’identité des donateurs les plus importants. Ils disent : ‘Nous ne pouvons pas divulguer les noms des donateurs à cause de la confidentialité des données' », explique-t-il. « Ils modifient d’ailleurs certaines dispositions du droit européen, le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en fonction de leurs objectifs personnels. Les journalistes peuvent vérifier ce que je dis. »
- Attaques par déni de service (DOS) sur les sites officiels des élections. Les cyberattaques simples par déni de service, qui paralysent les sites Web en submergeant leurs serveurs, sont de plus en plus souvent employées par ceux qui souhaitent saboter leurs ennemis politiques. Ces attaques peuvent notamment servir à perturber l’accès de certains électeurs aux sites d’inscription avant les dates limites d’inscription. Sam van der Staak conseille aux journalistes de suivre l’impact de ces attaques sur l’intégrité du scrutin. « Nous avons tendance à ne penser qu’au risque d’un piratage russe, mais la forme la plus courante de cyberingérence est une attaque Dos sur le site Web des commissions électorales », affirme-t-il. « C’est souvent fait pour montrer que les institutions ne sont pas dignes de confiance. Les gens risquent alors de s’interroger sur la légitimité de l’élection dans son ensemble. Plus on s’approche du jour de l’élection, plus l’impact de ces attaques sera important. » Il ajoute : « Les cyberattaques sophistiquées pourraient tout aussi bien venir de groupes criminels – c’est ce que craint, par exemple, la commission électorale au Mexique – ou d’un pirate informatique de 16 ans qui veut montrer à quel point il est intelligent. »
Comment repérer les méthodes préférées des autocrates
Alors que la fin d’une démocratie était autrefois facile à identifier – suite à un coup d’État militaire ou des édits interdisant la tenue d’élections libres – le glissement vers l’autocratie est plus difficile à reconnaître aujourd’hui. L’érosion des institutions démocratiques se cache le plus souvent derrière une façade juridique ou la mise en place d’un État d’urgence. L’État réduit au maximum les violences électorales, ou en impute la responsabilité à d’autres acteurs.
Les chercheurs ont constaté que les autocrates élus s’inspirent des méthodes de leurs pairs, et parfois même partagent les mêmes ressources et les mêmes conseillers. Par exemple, le magazine Foreign Policy a récemment montré comment les lois du Nicaragua sur la cybersécurité et les « agents étrangers » « semblent être des copies conformes » des lois répressives promulguées par le gouvernement du président russe Vladimir Poutine en Russie en 2012.
Selon le politologue hongrois András Bíró-Nagy, Viktor Orban a remporté sa quatrième élection consécutive en avril 2022 grâce à une combinaison de stratégies éprouvées : effrayer les électeurs peu éduqués en brandissant le spectre d’ennemis publics ; marginaliser les partis d’opposition grâce à une couverture médiatique biaisée et des réglementations favorables au pouvoir en place ; et distribuer de l’argent public de manière totalement déraisonnable dans les mois qui précèdent l’élection.
Les nouveaux autocrates délaissent les tactiques autrefois employées – comme le bourrage des urnes et la répression violente des partisans de l’opposition – au profit d’autres méthodes. Ainsi, en 2008, les agents du parti de Robert Mugabe au Zimbabwe ont découvert, trop tard, qu’ils ne pouvaient pas bourrer les urnes assez rapidement dans les circonscriptions clés pour remporter le premier tour de l’élection présidentielle. S’en est suivie une répression brutale de l’opposition pour s’assurer d’une « victoire » au deuxième tour du scrutin – des méthodes condamnées par la communauté internationale. Avant l’élection de 2013, Robert Mugabe a adopté de nouvelles stratégies pour gagner les élections malgré le rejet de son peuple. Les journalistes doivent surveiller et anticiper ces tentatives de manipulation des élections au fur et à mesure qu’elles se présentent.
Voir le rapport « Authoritarian Playbook » de l’organisation non partisane Protect Democracy, qui comprend des conseils sur « la manière dont les journalistes peuvent contextualiser et couvrir les menaces autoritaires en les distinguant de la politique habituelle », ainsi que des études de cas concernant l’Inde, le Nicaragua, la Hongrie, l’Argentine, les Philippines et les États-Unis.
Watch out for these tactics:
Contrôler les médias. En Hongrie, le nouveau gouvernement de Viktor Orban a rapidement créé un Conseil des médias pour encourager l’autocensure et sanctionner lourdement les reportages critiques envers son action. En Serbie, les oligarques et les alliés du président autocratique ont racheté presque toutes les chaines de télévision commerciales, qui ont ensuite bénéficié de subventions publiques. Ces médias se font désormais l’écho des médias du service public.
Conseil : Consultez les bases de données sur les propriétaires des médias le plus tôt possible, et alliez-vous avec d’autres rédactions dignes de confiance pour vous défendre devant les tribunaux si besoin.
- Accuser sans relâche la presse ou l’opposition de crimes électoraux. De nombreux candidats autoritaires réagissent à des accusations fondées à leur encontre – qu’il s’agisse de corruption de campagne ou de fautes personnelles – en retournant ces accusations contre leurs contempteurs, sans toutefois fournir aucune preuve de ce qu’ils avancent. Leurs partisans relaient alors ces accusations sur les réseaux sociaux, de telle sorte que le public ne sait plus qui croire.
Conseil : Utilisez des visualisations pour montrer la chronologie de ces évènements et l’absence de preuves contre vous, et poursuivez votre enquête sans relâche.
- Déléguer aux gangs la violence liée aux élections, puis détourner le regard. Il fut un temps où la plupart des autocrates mobilisaient les forces de l’ordre pour attaquer directement les libertés. Selon le rédacteur en chef de KRIK, Stevan Dojčinović, les « nouveaux autocrates » font l’inverse : ils interdisent aux services de l’État d’intervenir et font appel à des entreprises privées et à des gangs de rue qui leur sont fidèles pour faire ce sale travail à leur place.
Conseil : utilisez des outils de reconnaissance faciale et la recherche d’image inversée pour montrer que ces voyous ont été en relation avec les responsables de la campagne – mais faites attention à votre sécurité personnelle lorsque vous menez ce genre d’enquête.
- Déléguer aux gangs la violence liée aux élections, puis détourner le regard. Il fut un temps où la plupart des autocrates mobilisaient les forces de l’ordre pour attaquer directement les libertés. Selon le rédacteur en chef de KRIK, Stevan Dojčinović, les « nouveaux autocrates » font l’inverse : ils interdisent aux services de l’État d’intervenir et font appel à des entreprises privées et à des gangs de rue qui leur sont fidèles pour faire ce sale travail à leur place.
Conseil : utilisez des outils de reconnaissance faciale et la recherche d’image inversée pour montrer que ces voyous ont été en relation avec les responsables de la campagne – mais faites attention à votre sécurité personnelle lorsque vous menez ce genre d’enquête.
- Alimenter les craintes autour de problèmes sociaux mineurs, puis blâmer les minorités ou les autres partis politiques. Les parties démagogiques s’appuient sur la peur, à tel point qu’ils n’ont même plus besoin de faire campagne sur des propositions précises.
Conseil : Évitez de couvrir la politique politicienne et les sondages sur des questions secondaires qui visent à diviser la population, concentrez-vous plutôt sur les programmes, et en particulier sur la désinformation et les propositions qui affectent la vie des électeurs.
- Marginaliser ou discréditer les médias indépendants. La loi russe sur les « agents étrangers » de 2012 – qui exige des ONG et des organes de presse ayant un soutien international qu’ils se déclarent “agents étrangers”, ce qui revient à dire qu’ils sont des espions au service d’États étrangers – a été copiée par d’autres régimes autoritaires.
Conseil : Encouragez la solidarité entre médias indépendants et assurez-vous que vos révélations soient reprises par les médias indépendants des pays voisins.
- Réformer le droit pour consolider son pouvoir. Les chercheurs Andrea Pirro et Ben Stanley ont montrécomment les gouvernements polonais comme hongrois ont consolidé leur pouvoir. Ils ont d’abord instauré des réformes démagogiques sur des considérations secondaires d’ordre moral ou historique. Ils ont ensuite défendu des politiques qui renforcent le pouvoir de l’exécutif et violent l’esprit des lois existantes, sous prétexte de rupture avec « la politique du passé ». Enfin, ces gouvernements ont promulgué de nouvelles lois qui enfreignent les normes constitutionnelles et internationales, afin de s’assurer qu’ils puissent rester au pouvoir.
Conseil : n’abandonnez pas votre mission de service public. La situation a beau être grave, il faut continuer à enquêter sur ces évolutions, comme si vous viviez encore en démocratie. Intéressez-vous notamment aux accords secrets passés entre l’exécutif et le parlement.
- Dissoudre les instances d’enquête indépendantes qui pourraient mettre au jour la corruption au sommet de l’État. Les nouveaux autocrates réduisent la force de frappe des autorités indépendantes susceptibles d’enquêter sur leurs agissements, notamment les procureurs spéciaux, et redéploient leur personnel dans des départements contrôlés par l’exécutif, comme la police. En 2009, Jacob Zuma, alors président de l’Afrique du Sud, a effrontément dissous l’unité d’élite des Scorpions qui avait mené une enquête sur des soupçons de corruption le concernant à l’époque où il était encore vice-président. Jacob Zuma a créé une nouvelle unité, bien moins féroce et chargé principalement d’enquêter sur le crime organisé.
Conseil : essayez de trouver des lanceurs d’alerte au sein de ces autorités indépendantes. Ils pourraient vous donner des pistes pour continuer les enquêtes qu’ils ne sont plus en mesure de mener.
- Installer des alliés à des postes clés au sein de l’institution judiciaire. Les autocrates utilisent ces alliés pour, par exemple, organiser des élections aux pires moments pour l’inscription des électeurs de l’opposition.
Conseil : Enquêter sur les juges et les liens qu’ils entretiennent avec les responsables gouvernementaux peut faire de vous une cible du harcèlement policier et de décisions judiciaires punitives. Cela dit, des journalistes courageux de médias indépendants comme Slidstvo.info ont montré que c’était faisable. Notons par ailleurs que les condamnations passées peuvent faire l’objet de recherches par mot-clé, et que des recherches sur les réseaux sociaux ou par imagerie inversée peuvent mettre au jour certains connivences entre politiques et magistrats.
- Installer des alliés au sein de commissions électorales soi-disant « indépendantes ». En 2013 a été nommé à la tête de l’organe de gestion des élections du Zimbabwe un ancien politique du parti au pouvoir ZANU-PF.
Conseil : Vérifiez les règles de nomination de votre commission électorale dans cette base de données.
- Exploiter les craintes que suscite l’idée d’un “grand remplacement” en réécrivant l’histoire, en ciblant les étrangers et en fondant dans un même moule identité nationale et identité religieuse. Voilà trois des sept formes de désinformation électorale décrites dans le projet « Democracy Undone » (Défaire la démocratie) par les journalistes de GroundTruth. Ces journalistes ont documenté les méthodes communes aux dirigeants nationalistes indiens, brésiliens, hongrois, polonais, colombiens, italiens et américains. Les partisans de ces partis politiques ont par ailleurs largement amplifié cette désinformation sur les réseaux sociaux.
Conseil : Soulignez les bienfaits de la diversité et de l’immigration, ainsi que les origines étrangères des dirigeants de ces partis xénophobes.
- Crier à la fraude, ou au complot étranger, en cas de désaveu par les urnes. Comme l’a souligné la Columbia Journalism Review en 2020, les journalistes se doivent de contextualiser les petites erreurs dans le décompte des voies. Ces erreurs n’ont rien d’anormal et ne peuvent en elles seules remettre en cause l’intégralité du scrutin. « Certains politiques essaient de convaincre le public que chaque petite erreur démontre que le système tout entier est truqué. Il est normal que des erreurs surviennent un jour d’élection ; il y a des machines qui ne fonctionnent pas, des bureaux de vote qui connaissent des coupures de courant ou ouvrent tard, des listes électorales qui sont mal livrées. »
« La démocratie est à un point d’inflexion assez critique », selon David Levine de l’Alliance pour la sécurisation de la démocratie. « Les journalistes ont des questions importantes à poser, même quand les scrutins se déroulent correctement – en particulier sur la question de savoir si les électeurs ont accès à des informations fiables afin de faire des choix éclairés. »
Si vous connaissez un nouvel outil ou une nouvelle base de données qui pourrait s’avérer utile aux journalistes qui couvrent les élections, faites-nous en part à l’adresse hello@gijn.org
Rowan Philp est journaliste au sein de la rédaction de GIJN. Il a été grand reporter du Sunday Times sud-africain. En tant que correspondant étranger, il a couvert l’actualité politique, économique et militaire d’une vingtaine de pays.