Paramètres d'accessibilité

taille du texte

Options de couleurs

monochrome couleurs discrètes sombre

Outils de lecture

isolement règle

Image: Screenshot

Dans cet article, OCCRP donne dix conseils pour identifier les résidences de luxe et les méga-yachts appartenant aux oligarques et aux hauts fonctionnaires considérés comme les plus proches du président Vladimir Poutine. Ces techniques peuvent être utiles dans d’autres contextes géographiques ou politiques.

Depuis le début de l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie, les gouvernements des deux côtés de l’Atlantique mettent les bouchées doubles pour identifier les résidences de luxe et les méga-yachts appartenant aux oligarques et aux hauts fonctionnaires considérés comme les plus proches du président Vladimir Poutine. 

Les premières sanctions ont été prises en 2014, quand la Russie a annexé la Crimée et occupé certaines parties de la région du Donbass. De nouvelles sanctions sont maintenant appliquées, dans le but de faire pression sur le Kremlin en frappant au portefeuille des personnalités qui comptent parmi les plus riches et les plus influentes de l’élite russe. 

Vous souhaitez participer à cette traque mondiale ? GIJN a demandé au consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) de partager avec nous dix astuces et techniques pour enquêter sur les richesses détenues à l’étranger par les Russes fortunés qui ont des relations politiques. Pour démarrer, il vous suffit d’avoir un ordinateur portable et une bonne dose de ténacité. 

1. Identifiez vos cibles

Vous devez d’abord identifier la personne dont vous recherchez les avoirs. 

La liste Navalny 35 comprend les noms de 35 oligarques et responsables qu’Alexeï Navalny et sa fondation anti-corruption, FBK, ont identifiés comme des cibles clés de sanctions et de gel d’avoirs. On y trouve par exemple les noms d’Oleg Deripaska, un oligarque lié au Kremlin dont la résidence de luxe à Londres a récemment été occupée par des manifestants, et de Viktor Zolotov, anciennement principal garde du corps de Vladimir Poutine et aujourd’hui directeur de la Garde nationale de la Russie. Un grand nombre d’individus figurant sur la liste possèdent des avoirs considérables hors de Russie, et certains de ces biens ont déjà été gelés, comme ce palais flottant estimé à 600 millions de dollars. 

Les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni disposent tous de programmes de sanctions comprenant l’interdiction de voyager et le gel d’avoirs qui frappent des ressortissants russes, notamment ceux qui font l’objet de sanctions suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et à l’annexion par celle-ci de la Crimée en 2014, ou encore au motif de violations des droits humains. Certaines organisations ont créé des traqueurs de sanctions, comme Sanctions Explorer (C4ADS), qui rend la recherche plus aisée en associant des données provenant de différentes sources gouvernementales. Il y aussi l’outil live sanctions monitoring (Correctiv), qui se concentre uniquement sur les actions ayant trait à la Russie. Ces listes peuvent être consultées pour identifier les proches de Vladimir Poutine qui sont sous le coup de sanctions comme Dmitri Peskov, porte-parole de Poutine et “chef de la propagande” de la Russie, ou Yevgeny Prigozhin, dont l’armée privée de mercenaires a apporté un appui à la campagne violente menée par Poutine en Syrie, et qui serait à nouveau en train de combattre, en Ukraine cette fois-ci. 

All the Kremlin's Men

Image : Capture d’écran

Parmi les médias d’investigation qui traquent depuis des années les personnalités proches de Vladimir Poutine, on compte l’OCCRP et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). L’édition russe de Forbes publie une Rich List annuelle de ressortissants russes, et les quotidiens économiques et financiers que sont le Financial Times et le Wall Street Journal ont commencé à traquer les riches oligarques et les membres du cercle rapproché de Poutine depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

Un grand nombre d’ouvrages ont répertorié les intimes du régime kleptocrate de Poutine et ont désigné plusieurs responsables et oligarques qui méritent une enquête. Putin’s People (“Les Hommes de Poutine”), de Catherine Belton ; All the Kremlin’s Men (“Les Hommes du Kremlin”), de Mikhail Zygar ; et Putin’s Kleptocracy (“La Kleptocratie de Poutine”), de Karen Dawisha constituent un excellent point de départ.

2. Définissez les avoirs et les aires géographiques

Que recherchez-vous et dans quelle zone, a priori ? Ce sont les premières questions que vous devez vous poser. Cela vous aidera à restreindre considérablement votre champ de  recherche.

Peuvent correspondre à un avoir : un bien foncier comme une résidence ou un appartement de luxe ; des actions ou des trusts ; des navires ou des véhicules comme un méga-yacht, un avion privé ou une voiture ; des actifs financiers (titres de créance, obligations) ; les objets de luxe comme les œuvres d’art et les bijoux ; les espèces, les comptes en banque et les avoirs en crypto-monnaie ; et bien d’autres encore. Certains de ces avoirs sont intrinsèquement plus visibles et plus faciles à localiser que d’autres. Tous peuvent attirer les riches, mais essayez de savoir si votre cible s’intéresse à quelque chose en particulier, par exemple aux pur-sang, qui peuvent représenter d’importants portefeuilles d’actifs. 

Où cet avoir peut-il se trouver? Les oligarques russes privilégient les pays qui offrent la possibilité de mener un grand train de vie et où l’état de droit est garanti, ce qui a fait de New York, de Londres et de Paris des villes attractives pour l’acquisition de biens immobiliers. D’autres destinations comme Monaco, Dubaï et le Monténégro sont également prisées en raison de leur réglementation laxiste et de la clémence de leur climat. Essayez de savoir si votre cible entretient des liens étroits avec un pays particulier : ce doit être le point de départ de votre recherche. 

Les avoirs des oligarques qui se trouvent en Europe, par exemple, sont souvent détenus par l’intermédiaire de personnes morales immatriculées dans des juridictions financières opaques comme les îles Vierges britanniques, le Liechtenstein et le Panama. Essayez de repérer les zones à faible transparence comme celles qui figurent dans l’Indice de l’opacité financière du Réseau pour la justice fiscale, ainsi que les sociétés immatriculées dans l’Etat de Delaware (Etats-Unis) ou à l’île de Nevis (Caraïbes), qui proposent des options financières opaques supplémentaires. Les structures internationales d’avoirs offshore à plusieurs niveaux peuvent être onéreuses, et les oligarques emploient des juristes spécialisés et des professionnels des services fiduciaires pour les gérer. Il est fort probable que de telles structures ont été créées pour protéger les avoirs de grande valeur.

Financial Secrecy Index

Les oligarques cherchent souvent à dissimuler leurs avoirs en faisant inscrire leurs droits de propriété par l’intermédiaire de personnes morales situées dans des paradis fiscaux offshore. Image : Capture d’écran (Réseau pour la justice fiscale)

3. Accédez aux données 

Si les résidences de luxe et les méga-yachts sont les avoirs auxquels vous vous intéressez, les titres de propriété officiels sont les preuves que vous devez obtenir. Ces données peuvent être publiques ou privées, gratuites ou payantes, disponibles en ligne ou sur place uniquement : on observe de grandes disparités en fonction du type d’avoir, du pays et même de la région. La qualité des renseignements varie aussi énormément. En règle générale, la plupart des pays autorisent l’accès aux données officielles concernant les biens immobiliers et les sociétés, sous une forme ou une autre.

Immobilier : Vous pouvez rechercher librement les noms des propriétaires de biens fonciers à New York et à Miami. En Suisse, certains cantons comme celui de Genève indiquent qui possède un bien donné, mais vous ne pouvez pas faire de recherche par propriétaire : vous devez fournir une adresse. En France, il vous faut au préalable obtenir le numéro de la parcelle auprès du cadastre officiel puis vous adresser à l’administration pour demander des renseignements au sujet du propriétaire. En Autriche, en Italie et au Royaume-Uni, vous devez effectuer un paiement, mais, en Allemagne, vous risquez d’avoir du mal à obtenir des données sur les biens immobiliers si vous ne faites pas la preuve de “motifs légitimes”.

Les permis de construire peuvent aussi être une source de données importante, et on y a souvent accès gratuitement. Les demandes de permis pour la remise à neuf de biens immobiliers de luxe, à Londres, appartenant à la famille et aux collaborateurs du président de l’Azerbaïdjan, ont révélé des projets de piscines en sous-sol et de home cinémas. 

Quand vous enquêtez sur des biens immobiliers, une fois que vous avez obtenu des titres de propriété, l’idéal est de vous rendre sur place. En effet, une visite peut vous mettre sur la piste d’avoirs supplémentaires, comme des véhicules stationnant dans la propriété. Pensez à utiliser des outils en ligne comme Google Maps ou Google Earth pour vous familiariser auparavant avec les lieux, et méfiez-vous des gardiens. 

Sociétés : Pour ce qui est des données relatives aux sociétés, elles varient tout autant. Alors que le Royaume-Uni et le Luxembourg fournissent gracieusement des renseignements détaillés au sujet des sociétés (notamment sur la propriété effective), l’Autriche et l’Allemagne proposent un service payant. Aux Etats-Unis, les sociétés à responsabilité limitée sont généralement tenues de fournir très peu de renseignements, ce qui fait qu’il est difficile de savoir à qui elles appartiennent, et des pays comme le Belize sont volontairement opaques. Beaucoup de sociétés écrans mises au jour par des lanceurs d’alerte peuvent être retrouvées dans la base de données Offshore Leaks de l’ICIJ. La plateforme Aleph de l’OCCRP est aussi une véritable mine de renseignements sur les sociétés immatriculées dans des dizaines de pays. OpenCorporates propose des données sur les sociétés, données qui sont recueillies dans un grand nombre de pays. Des alternatives payantes comme Orbis et Sayari offrent une couverture exhaustive dans le monde entier. Les archives des tribunaux portant sur les contentieux commerciaux peuvent receler des renseignements sur les actifs d’une société donnée ; n’hésitez pas à vérifier si votre cible apparaît dans des affaires consignées par exemple dans la base de données juridiques américaine PACER (Accès public aux archives numériques des tribunaux) ou si elle est répertoriée par Court Listener et par HM Courts and Tribunals Service (Service des cours et des tribunaux de Sa Majesté) au Royaume-Uni. Si votre cible est impliquée dans le transport maritime ou dans le négoce des matières premières, vous pouvez trouver des données sur les envois internationaux en consultant d’excellentes bases de données comme Import Genius et Panjiva.

Navires : Les renseignements sur les propriétaires de navires (pour les grands yachts, il s’agit presque toujours d’une personne morale) sont disponibles gratuitement sur des sites comme Equasis ou dans des bases de données payantes telles que LexisNexis ou Orbis. Un bateau peut être détenu par une société des îles Vierges britanniques, par exemple, mais s’il est immatriculé dans une autre juridiction, comme les îles Caïman, c’est là que vous devez faire vos recherches (en l’occurrence, le Registre d’immatriculation des navires des îles Caïman) pour obtenir la confirmation officielle du nom du propriétaire. Les déplacements des bateaux peuvent être suivis grâce à des sites comme Marine Traffic et VesselFinder. Il vous faudra connaître le nom du navire avant de commencer à recueillir des données, ainsi que son numéro OMI ou son numéro MMSI, en particulier en cas de changement de nom du bateau. C’est ce qui s’est passé pour le St. Princess Olga : son propriétaire, Igor Setchine, l’a renommé après avoir divorcé d’avec son épouse, Olga.

Russian Oligarch Jets Twitter account

Le compte Twitter Russian Oligarch Jets (“Jets des oligarques russes”). Image : Capture d’écran.

Avions : Il est possible de suivre les déplacements des avions grâce à des sites comme Flightradar24. Les aérodromes où ils atterrissent et d’où ils décollent peuvent vous mettre sur la piste d’une résidence de vacances à proximité. L’élément d’identification le plus visible d’un avion est son marquage de queue, mais un avion peut changer de “nom” et, dans ce cas, son numéro de série (qui, lui, est invariable) est crucial pour identifier son nouveau marquage de queue et pour continuer à suivre ses trajets. Icarus.flights est un nouvel outil très pratique pour traquer les avions. Russian Oligarchs Jets (“Jets des oligarques russes”), un bot Twitter, suit en temps réel les déplacements des avions des oligarques russes. Les renseignements relatifs aux propriétaires d’avions immatriculés à l’Ile de Man, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis sont disponibles en ligne gratuitement, même si vous découvrirez immanquablement que le propriétaire est une société offshore. Il vous faudra alors mener une enquête pour déterminer à qui elle appartient. 

Avoirs financiers : Des régulateurs comme la Commission des titres et de la bourse aux Etats-Unis fournissent des données relatives aux holdings d’investissement et donnent souvent les noms de personnalités morales spécifiques et de leurs bénéficiaires. Vous pouvez aussi identifier les moyens d’investir offshore par le biais de la base de données Offshore Leaks de l’ICIJ, qui associe des données issues des Panama Papers, des Pandora Papers et d’autres fuites importantes au sujet de sociétés offshore. Des données similaires à propos de sociétés et d’instruments de placement sont répertoriées sur la plateforme Aleph, de l’OCCRP.

Il ne s’agit là que de quelques exemples de ressources qui peuvent vous être utiles dans le cadre d’une enquête visant à localiser des avoirs. Il n’existe pas de méthode universelle, et les journalistes doivent remonter la piste de l’argent, notamment par-delà les frontières. Certaines organisations ont publié des manuels qui présentent les ressources disponibles dans différents pays et qui vous seront utiles pour remonter une piste financière. Le Catalogue des bases de données pour les recherches, de l’OCCRP, est un bon point de départ, et le Guide numérique pour traquer la corruption, rédigé par le fondateur de l’OCCRP, Paul Radu, propose des éclairages précieux. La société suisse i-intelligence a aussi publié un guide des outils en source ouverte très détaillé.

4. Créez une base de données pour répertorier les avoirs

Créez une base de données pour répertorier les renseignements sur les avoirs que vous identifiez. Cette étape est cruciale. Veillez à ce que cette base de donnée soit bien organisée, mettez-la à jour régulièrement et renseignez autant de paramètres que possible : noms, adresses, directeurs, valeurs des avoirs, dates d’acquisition ou de vente, numéros d’immatriculation des sociétés, dates de naissance, etc. Créez des feuilles distinctes pour les sociétés, les biens immobiliers et les personnes. Créez des hyperliens vers des pièces à conviction qui retracent des chaînes de propriété. A mesure que votre enquête progresse, votre base de données sera une référence essentielle et vous pourrez aussi faire des recoupements avec d’autres données pour identifier de nouveaux avoirs (voir ci-dessous).

5. Identifiez les membres de la famille et les collaborateurs connus 

Avant de vous mettre à rechercher les avoirs de vos cibles, vous devez tout d’abord identifier leurs épouses, maîtresses, enfants, parents, frères et sœurs, fidèles collaborateurs et partenaires commerciaux, et découvrir leurs éléments d’identification personnels comme leurs dates de naissance. Les oligarques et les hauts fonctionnaires mettent fréquemment leurs avoirs aux noms de membres de leur famille ou de proches collaborateurs pour protéger leur vie privée et garantir leur protection juridique — et c’est là que vous allez peut-être tomber sur l’argenterie de famille. 

Saodat Narzieva

L’enquête de l’OCCRP, Suisse Secrets, s’est intéressée à la richesse inexpliquée de Saodat Narziyeva, la sœur du milliardaire Alicher Ousmanov. Image : Capture d’écran

Prenez le cas de Saodat Narziyeva, une gynécologue ouzbèque qui détenait des comptes dans une banque suisse, Credit Suisse, et disposait au bas mot de 1,8 milliards de francs suisses (1,7 milliards d’euros), une fortune inimaginable pour une médecin. L’explication la plus plausible tient à sa relation avec son frère, le milliardaire russo-ouzbèque Alicher Ousmanov. Prenons aussi l’exemple de Polina Kovaleva, une jeune femme très glamour qui a acheté un appartement de luxe à Londres pour 4,4 millions de livres sterling (5,2 millions d’euros), sans emprunter d’argent, et ce à l’âge de seulement 21 ans. Le compagnon de sa mère n’est autre que Sergeï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Russie.

Sergeï Roldouguine, un violoncelliste professionnel russe, ami d’enfance de Vladimir Poutine, a été associé à des opérations financières portant sur 1,8 milliards d’euros et impliquant des comptes offshore et des virements suspects. Le nom de Graham Bonham-Carter (un cousin de l’actrice Helena Bonham-Carter) apparaît dans des documents officiels au sujet d’un bien immobilier de luxe au Royaume-Uni d’une valeur de 25 millions de livres sterling (29,5 millions d’euros). Les comptes en banque de Graham Bonham-Carter au Royaume-Uni ont été gelés début mars quand les autorités ont soupçonné que des dépôts d’un montant total de 110 000 livres sterling (quelque 130 000 euros) étaient liés à l’oligarque Oleg Deripaska, visé par des sanctions prises par les Etats-Unis.

Rechercher les membres de la famille et les proches collaborateurs d’un milliardaire permet parfois de révéler sa fortune réelle. Les réseaux sociaux peuvent aussi jouer un rôle prépondérant. Il n’est pas rare que les enfants ou d’autres proches des oligarques russes révèlent des avoirs par inadvertance

Ajoutez une feuille intitulée “personnes” à votre base de données de référence et commencez à répertorier les membres de la famille et les proches collaborateurs de vos cibles. Notez leurs dates de naissance, leurs adresses et leurs nationalités. S’ils détiennent des avoirs sans commune mesure avec leur fortune connue ou leur âge, il se pourrait qu’ils n’en soient pas les véritables bénéficiaires. 

6. Repérez les translittérations du russe

Les noms russes sont fréquemment écrits de différentes manières dans les langues qui utilisent l’alphabet latin. Google gère bien Alexeï/Alexey, mais un grand nombre de bases de données spécialisées requièrent une orthographe exacte, ce qui signifie qu’un résultat important pourrait vous échapper si vous tapez un nom dans le moteur de recherche et qu’une ou deux lettres ne correspondent pas.

Prenez par exemple Companies House, le registre britannique des sociétés. Si vous tapez “Filipp Adonyev”, le nom du fils de l’oligarque russe des télécoms, Sergeï Adonyev, vous découvrirez qu’une personne de ce nom dirige une société britannique appelée Pad Film Limited. Mais si vous tapez “Filip Adoniev”, vous ne trouverez rien.

Dans certains documents officiels, le patronyme “Abramovich” est orthographié “Abramovič”. Autre exemple : “Sergeï Kiriyenko”, “Sergey Kiriyenko”, “Sergeï Kirienko” et “Sergey Kirienko” sont toutes des translittérations acceptables de “Сергей Кириенко”, un haut responsable du gouvernement de Vladimir Poutine sanctionné par le Trésor américain en 2021. L’une de ces versions a pu être intégrée dans une base de données que vous interrogez, mais il vous est impossible de savoir laquelle. 

Il est donc indispensable de compiler toutes les translittérations possibles d’un nom russe avant d’entamer vos recherches, puis de toutes les rechercher de manière systématique. Vérifiez auprès d’une personne de langue maternelle russe qu’aucune translittération ne vous a échappé, et conservez la liste des versions que vous avez utilisées dans vos recherches.

7. Vérifiez les déclarations de patrimoine des hauts fonctionnaires russes

Les hauts fonctionnaires russes sont tenus de remplir des déclarations de patrimoine. Il s’agit en principe d’une mesure de lutte contre la corruption, mais ces déclarations peuvent aussi vous fournir des indices et des points de départ importants pour vos enquêtes. Les divergences entre le patrimoine déclaré et le patrimoine réel sont aussi de bonnes pistes à explorer pour les journalistes.

En 2012, le vice-premier ministre à l’époque, Igor Chouvalov, a déclaré des biens immobiliers en Autriche, au Royaume-Uni et aux Emirats arabes unis. Aucune autre indication n’a été fournie au sujet de leur emplacement ou de leur valeur, mais tous ces biens immobiliers ont été déclarés comme étant habités par des locataires. Grâce à ces points de départ, des journalistes d’investigation ont identifié plus tard un château sur le lac d’Attersee, en Autriche, un appartement dans le quartier de Westminster, à Londres, et une villa à Palm Jumeirah, à Dubaï, d’une valeur totale de dizaines de millions de dollars. Ces propriétés sont aux noms de membres de la famille, ce qui soulève des questions au sujet des “locations” qui ont été déclarées. 

Igor Shuvalov's posh London apartment

Des journalistes d’investigation ont localisé l’appartement de luxe (en rouge) de l’ancien vice-premier ministre russe, Igor Chouvalov, dans le quartier de Westminster, à Londres. Image : Capture d’écran.

Les déclarations de patrimoine sont publiées par différents ministères et il n’existe pas de base de données centralisée. Toutefois, la branche russe de Transparency International a créé une base de données consultable, Declarator.org, qui répertorie les déclarations de différents ministères et propose des liens vers les sources d’origine des données.

8. Utilisez des outils de visualisation de données 

La visualisation de données peut vous être extrêmement utile quand il s’agit de représenter des structures d’avoirs complexes, et l’infographie peut vous aider à mémoriser certaines données et à repérer des tendances. 

La plateforme de données d’investigation d’OCCRP, Aleph, propose un outil appelé Network Diagram qui permet aux utilisateurs de télécharger des données dans des graphiques reliant des personnes, des sociétés, des avoirs et autres entités. Ces données peuvent aussi être recoupées avec d’autres fichiers de données d’Aleph. Les journalistes peuvent ainsi remonter la piste de l’argent et identifier d’autres avoirs associés à la cible.

Linkurious est un logiciel que l’ICIJ utilise pour représenter des liens dans le cadre de vastes enquêtes comme celle des Panama Papers.

9. Apprenez à parcourir des documents efficacement

Vous avez découvert une société en lien avec votre cible ? Excellent ! Il vous faut à présent lire les 50 documents que la société a classés depuis son immatriculation, il y a 15 ans. Vous devez aussi faire de même pour plusieurs autres sociétés et pour les biens immobiliers que vous avez trouvés. Or il y a fort à parier que vous ne disposez pas du temps nécessaire. 

Heureusement, vous pouvez les lire en diagonale. Une grande partie des textes qui constituent les rapports annuels et autres dossiers reprennent des formules générales que les sociétés reproduisent à l’envi. Les pépites que vous recherchez sont les données uniques consignées qui sont propres à la société ; il s’agit généralement de noms, de dates et de chiffres. Apprenez à les repérer rapidement et prenez l’habitude de faire abstraction des textes.

10. Demandez des données

Il est possible que les autorités d’un pays soient prêtes à vous communiquer des données qui n’ont pas encore été rendues publiques. Dans d’autres pays, vous pourrez faire une demande d’accès à l’information, mais cela impliquera généralement un long délai et il n’est pas garanti que l’information clé que vous recherchez n’aura pas été supprimée. Sinon, vous pouvez tout simplement demander cette information.

Au Luxembourg, la Direction de l’aviation civile a récemment autorisé l’accès à une base de données actualisée d’avions civils immatriculés dans le pays — des données non publiées sur son site — et ce, sur simple demande. Cette base de données comprend les marquages de queue, les numéros de série, les noms des propriétaires déclarés et d’autres éléments d’identification des avions, notamment ceux qu’utilisent de hauts fonctionnaires russes. De telles données peuvent vous aider à boucler votre enquête ou à compléter des enquêtes antérieures.

Prenez par exemple le jet privé de l’ancien vice-premier ministre Igor Chouvalov, un Bombardier Global Express, qui a fait l’objet d’un reportage réalisé en 2016 par Alexeï Navalny, qui tenait un blog anti-corruption à l’époque. Son immatriculation à l’Ile de Man est arrivée à expiration en 2018 et il a alors été immatriculé au Luxembourg. Les données fournies par le Luxembourg révèlent qu’il s’agit du même modèle d’avion, avec le même numéro de série, mais avec un marquage de queue différent. Cela prouve qu’un nouveau nom a été attribué à l’avion, ce qui le rend difficile à identifier. Mais si l’on procède à un recoupement entre ce nouveau marquage de queue et les données de vol récentes, on découvre que l’avion a effectué des vols à Salzbourg, dans les environs d’un château que possèderait Chouvalov, ce qui permet de supposer qu’il en serait toujours propriétaire. Ces données révèlent aussi que l’avion est désormais au nom d’une autre personne. 

Il peut valoir la peine de vous déplacer en personne au greffe du tribunal, au registre des sociétés ou au registre aéronautique pour demander des documents. Comme l’exemple ci-dessus le laisse penser, la quantité de données aujourd’hui disponible en ligne est considérable et elle augmente en permanence, mais certaines institutions ont du retard et le fait de vous rendre sur place vous permettra parfois d’avoir accès à des documents supplémentaires, plus anciens, qui ne sont pas encore répertoriés sur les plateformes numériques.

Ressources complémentaires

Enquêter sur les activités de la Russie autour du monde

Bellingcat’s Grozev on Investigating Russia’s Invasion of Ukraine

Journalism Resources for Tracking Events in Ukraine


Tom Stocks profile pictureTom Stocks est enquêteur au consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Il enquête sur le blanchiment d’argent, la corruption et les patrimoines offshore. Il a participé à de grandes enquêtes internationales comme les Pandora Papers, Suisse Secrets et les fichiers FinCEN (Réseau de lutte contre la criminalité financière, du Trésor américain). Avant de faire du journalisme, il a travaillé sur des enquêtes pour identifier des avoirs dans le cadre de contentieux commerciaux. Il a étudié le russe à l’université. 

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International

Republier gratuitement nos articles, en ligne ou en version imprimée, sous une licence Creative Commons.

Republier cet article

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International


Material from GIJN’s website is generally available for republication under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International license. Images usually are published under a different license, so we advise you to use alternatives or contact us regarding permission. Here are our full terms for republication. You must credit the author, link to the original story, and name GIJN as the first publisher. For any queries or to send us a courtesy republication note, write to hello@gijn.org.

Lire la suite

Actualités et analyses Méthodologie Outils et conseils pour enquêter Recherche Techniques d'enquête

Astuces pour rapidement vérifier les antécédents d’un inconnu, en urgence

Les projets d’enquête sont souvent comparés à des marathons. Mais, de temps en temps, les reporters doivent faire un sprint. Retour d’expériences de journalistes d’investigation qui, lors d’une session de la conférence sur le journalisme d’investigation en Amérique du Nord IRE23, ont partagé des conseils sur comment vérifier les antécédents de personnes peu connues, dans un délai très court.