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Enquêter en sollicitant la participation du public

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De nombreux citoyens sont prêts à se porter volontaires pour aider les journalistes à enquêter. Mettre à profit ces bonnes volontés permet de fidéliser votre lectorat et d’élargir votre audience. 

Alice Brennan, productrice exécutive de l’émission australienne ABC Background Briefing, est convaincue de l’intérêt du crowdsourcing. Selon elle, cet outil est des plus utiles pour réaliser des enquêtes innovantes sur des sujets trop rarement traités dans les médias. Les enquêtes participatives permettent également aux journalistes de combler leurs lacunes et de résoudre des énigmes qu’ils n’arrivaient pas à démêler seul.

« En tant que journalistes, nous sommes de plus en plus conscients du fait que nous ne représentons pas tout le monde. Notre public et notre communauté sont en réalité une source de connaissances précieuse qu’il est bon de conjuguer avec nos propres compétences d’investigation », selon Alice Brennan, qui s’exprimait lors d’un panel organisé dans le cadre de la 12e Conférence internationale de journalisme d’investigation (#GIJC21).

En partageant leurs expériences personnelles, les intervenants ont pu montrer en quoi une approche participative a amélioré la qualité de leurs enquêtes, voire les a rendues possibles.

Ouvrir son enquête 

La prise d’assaut du Capitole des États-Unis par une foule d’émeutiers le 6 janvier dernier a choqué les téléspectateurs du monde entier. Des vidéos et photos prises sur les lieux ont vite inondé les réseaux sociaux. En voyant défiler ces images en temps réel, des journalistes de Bellingcat – un média à but non lucratif basé aux Pays-Bas et spécialisé dans le journalisme en sources ouvertes – se sont rendu compte qu’ils avaient affaire à un moment historique. Ils ont alors recueilli toutes les données disponibles en ligne – les images prises par les casseurs et publiées entre autres sur Twitter, Facebook et YouTube – afin d’identifier les émeutiers, explique Giancarlo Fiorella, journaliste d’investigation au sein de Bellingcat.

Plusieurs vidéos montrent le moment où un policier a tiré sur Ashli Babbitt au Capitole des États-Unis, à Washington, le 6 janvier 2021. Capture d’écran de la chaîne YouTube de Bellingcat.

« C’est un événement majeur qui a produit une foule de preuves visuelles », rappelle-t-il. « Nous voulions donc conserver autant d’informations que possibles, pour faciliter nos propres enquêtes mais aussi le travail des chercheurs dans 10 ou 20 ans. Nous voulions conserver ces images afin d’y avoir accès même si elles venaient à être supprimées. »

Les journalistes de Bellingcat ont demandé sur Twitter à ce qu’on leur envoie toute image de l’émeute du Capitole disponible en ligne. Ils ont créé une feuille de calcul Google alimentée par un formulaire Google. Pour y contribuer, il suffisait de cliquer sur un lien, de remplir le formulaire et de partager des liens vers des preuves visuelles de l’évènement. Les journalistes ont reçu plus de 650 réponses de personnes souhaitant les aider. Après avoir passé en revue les contributions des internautes, ils ont publié deux enquêtes.

L’un, The Journey of Ashli Babbitt (Le Parcours d’Ashli Babbitt), porte sur la mort d’Ashli Babbitt, une femme abattue par la police à l’intérieur du Capitole alors qu’elle tentait de passer par une fenêtre brisée menant à une salle où de nombreux membres du Congrès étaient abrités. À l’aide de vidéos et de photos partagées par les internautes, Bellingcat a retracé ses pas à l’intérieur du Capitole.

« Grâce aux différents angles de vue et moments filmés, nous avons pu révéler qu’elle était entrée dans le bâtiment à tel moment par telle fenêtre et qu’elle avait emprunté tel chemin avant d’être finalement abattue », explique Giancarlo Fiorella.

Il ajoute que son équipe a été impressionnée par l’expertise et les connaissances des personnes disposées à aider Bellingcat dans son enquête. Il suffit de leur tendre la main, résume-t-il.

Il poursuit : « Je pense qu’il est bon de s’interroger sur la participation de ces personnes à nos travaux, notamment à travers les questions suivantes : comment pouvons-nous aider le public à nous venir en aide ? Comment pouvons-nous mettre à profit les personnes souhaitant se porter volontaires pour participer à nos enquêtes ? D’autres médias pourraient également réfléchir à la meilleure manière d’organiser des enquêtes participatives. »

Créer l’information

Après avoir vu un reportage sur les décès de sans-abris dans une ville au Royaume-Uni, Maeve McClenaghan du média londonien Bureau of Investigative Journalism s’est interrogée sur le nombre de décès à l’échelle nationale. Elle a cherché à obtenir ces données auprès de l’administration, mais a vite déchanté.

« En m’adressant à tous ceux qui pourraient avoir accès à ces données, j’ai découvert que personne ne les avait », confie-t-elle. « La police m’a conseillé de m’adresser aux hôpitaux, les hôpitaux aux médecins légistes, les médecins légistes aux conseillers municipaux, les conseillers municipaux au gouvernement. Tous pensaient que la collecte de ces données était gérée par une autre structure. »

Quelques articles tirés du projet « Sans abri » du Bureau of Investigative Journalism. Capture d’écran

Lorsque les journalistes du Bureau se sont rendu compte que personne n’avait recueilli ces données, ils ont décidé de s’en charger eux-mêmes en lançant le projet “Homelessness” (Sans domicile fixe), visant à comptabiliser les décès de sans-abris. Ils ont ensuite cherché à faire connaître leur enquête au plus grand nombre.

« Se sont manifestées 1 000 personnes souhaitant participer à nos recherches… parmi lesquels des journalistes locaux et des journalistes citoyens, mais aussi de simples citoyens que le sujet intéressait et qui voulaient apporter leur pierre à l’édifice », se souvient-elle. « Nous leur avons dit : ‘Faites-nous parvenir toutes les informations dont vous disposez sur les décès de sans-abri.' »

Le Bureau a alors créer un formulaire Google où chaque participant pouvait inscrire son nom et ses coordonnées, ainsi que des informations sur un défunt, notamment le lieu et la date (même approximative) du décès, l’âge estimé et toute information relative à la famille, pour vérification. Les informations recueillies ont également été transmises à des experts et des organisations locales d’aide aux sans-abris pour vérification. 18 mois plus tard, la base de données comptait près de 800 cas, précise Maeve McClenaghan.

Le succès de leur base de données participative a incité l’Office for National Statistics, la principale agence de statistiques officielles du Royaume-Uni, à demander à accéder aux données afin d’affiner sa propre méthodologie. « Ils ont ainsi pu commencer à produire des statistiques officielles inspirées des méthodes que nous avions mis en œuvre dans notre base de données », se félicite-t-elle.

Selon Maeve McClenaghan, l’absence de données officielles ne devrait pas décourager les journalistes. Les journalistes devraient plutôt s’interroger sur l’aide que pourrait leur apporter le grand public dans la collecte de ces données.

Soyez à l’écoute de votre public

L’un des avantages des enquêtes participatives est qu’elles reflètent les préoccupations et les expériences du public. Celui-ci s’intéresse donc forcément à votre travail, explique Clare Blumer, responsable des enquêtes numériques au sein de l’Australian Broadcast Corporation. Elle ajoute que si le projet est bien conçu et largement distribué, il permet aux journalistes d’accéder à des communautés très diverses voire difficiles à atteindre.

Pour concevoir correctement une enquête participative, il faut d’abord sélectionner un bon sujet. « Il y a certaines caractéristiques qui nous semblent importantes dans le choix du sujet « , confie Clare Blumer. « Par exemple, beaucoup de personnes sont-elles concernées ? De nombreuses personnes font-elles face à un risque de violences physiques ? Est-ce un problème d’ordre psychologique ? N’y a-t-il pas d’autre moyen d’obtenir les données ? Y a-t-il un groupe de personnes particulièrement intéressé par cette thématique? »

Un projet type a été l’enquête d’ABC sur les soins prodigués aux personnes âgées. Cette enquête au long cours, qui aura duré trois ans, a révélé des mauvais traitements et un manque de personnel dans des maisons de retraite un peu partout en Australie. L’enquête a eu un impact avant même que les reportages ne soient diffusés : le gouvernement a lancé une commission officielle pour étudier la question un jour avant la mise en ligne du premier reportage.

L’équipe d’ABC a cartographié une communauté composée de milliers de personnes touchées par ce problème – des résidents, le personnel des centres de soins et les gestionnaires de ces établissements. Leurs enquête ont en fin de compte été visionnées des millions de fois sur différents supports et ont servi d’inspiration à une série en deux volets sur “Four Corners”, la principale émission de journalisme d’investigation en Australie, ainsi que de nombreux autres articles et reportages télévisés.

« Nos enquêtes ont suscité un intérêt croissant, à mesure que ce sujet faisait l’actualité nationale et que la colère grandissait », se souvient Clare Blumer. « La série a provoqué une évolution importante des politiques publiques et des fonds alloués. »

Cela dit, tous les sujets ne méritent pas un traitement participatif. Selon Flip Prior, responsable du développement de contenus chez ABC, il faut prendre en compte certains critères, notamment le besoin ou non d’enquêter discrètement, lorsque l’on décide de lancer une enquête participative. « De toute évidence, des projets qui nécessitent de la discrétion ne peuvent pas faire l’objet d’une telle pratique, qui est transparente par nature », précise-t-il.

Clare Blumer retient de ce projet comme d’autres que le crowdsourcing consiste à écouter les préoccupations du public, plutôt que de lui expliquer quels sujets importent. Les reportages participatifs permettent également de recueillir une foule d’informations. « C’est un excellent moyen d’obtenir rapidement des données et des anecdotes, un travail qui pourrait autrement durer des mois », selon elle. « Cela permet également de générer de nouvelles idées et de traiter l’information de manière différente, ainsi que de mettre au jour des situations insoupçonnées. »

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