Faire faire parler des sources nouvelles ou réticentes à s’exprimer peut être un défi.
Conseils pour faire parler des sources réticentes et fidéliser des sources nouvelles
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Dans cet article, plusieurs journalistes d’investigation chevronnés livrent leurs conseils et astuces pour faire parler une source qu’elle soit réticente à s’exprimer, nouvelle ou ayant vécu un traumatisme.
Pour chaque source qui accepte de répondre aux questions des journalistes d’investigation, il existe des dizaines de responsables, de victimes et de potentiels lanceurs d’alerte bien informés auxquels les journalistes ne s’adressent jamais.
À l’occasion de deux tables rondes dédiées à ce sujet lors de la récente conférence IRE23 à Orlando, en Floride – sommet annuel du journalisme d’investigation organisé par Investigative Reporters and Editors – des journalistes d’investigation chevronnés basés aux États-Unis ont présenté une grande variété de techniques qu’ils mettent à profit pour trouver des sources parfois inattendues et les inciter à révéler les informations dont elles disposent. Parmi ces conseils : présenter un cahier vierge aux victimes de traumatismes, rendre visite à des policiers sur leur lieu de travail secondaire, ou encore faire un repérage des issues de secours avant des entretiens impromptus avec des responsables politiques qui pourraient tenter de vous semer.
Un conseil est cependant revenu en boucle : utiliser au maximum les reportages que vous avez déjà réalisés et vos contacts existants pour convaincre de nouvelles personnes de se livrer à vous. Sans jamais perdre de vue cette foule de sources trop rarement utilisées : les introvertis.
Trouver des sources qui n’ont jamais parlé aux médias
- Demandez à vos sources de vous mettre en relation avec d’autres personnes. « À la fin de tout entretien avec un contact existant, demandez toujours : ‘A qui d’autre devrais-je m’adresser pour en savoir plus sur ce sujet ? », recommande ainsi Andie Judson, journaliste d’investigation à ABC10 à Sacramento, en Californie.
- Servez-vous de vos articles publiés comme carte de visite. « Envoyez aux personnes que vous auriez aimé interviewer les reportages dont vous êtes fiers, même si vous estimez qu’il y a peu de chance qu’elles vous répondent », poursuit Andie Judson.
- Pensez à laisser des notes manuscrites sur les voitures dans les parkings d’agences gouvernementales. Tony Kovaleski, journaliste d’investigation en chef au KMGH 7 à Denver, écrit parfois les mots « Auriez-vous quelque chose à me confier ? » sur ses cartes de visite avant de les glisser sur les pare-brises des voitures garés dans les parkings d’agences gouvernementales. « Cela peut vraiment fonctionner quand on ne dispose d’aucune source en interne », confie-t-il.
- Emportez des objets pouvant aider à briser la glace, comme un briquet ou une bouteille d’eau supplémentaire. « J’ai pris l’habitude d’amener un briquet aux procès que je couvre, parce qu’il y a des espaces extérieurs pour fumer et déjeuner, et qu’il est angoissant d’être impliqué dans une procédure judiciaire : les personnes y prenant part ont souvent envie d’une cigarette », poursuit Jesse Jones, journaliste d’investigation chevronné qui traite désormais les questions de consommation pour KIRO 7 à Seattle. Il ajoute : « Avoir une bouteille d’eau à offrir lors d’une journée particulièrement chaude peut vous ouvrir des portes. »
- Rendez visite aux policiers sur leur lieu de travail secondaire. « Les policiers comme les pompiers ont souvent un deuxième travail », explique Jesse Jones. “Informez-vous sur le sujet. Il vous sera probablement beaucoup plus aisé d’accéder à ces personnes dans le cadre de leur deuxième emploi. J’ai notamment connu un policier propriétaire d’un vignoble – je passais le voir et on parlait merlot. Cela aide à tisser des liens.”
- Contactez des retraités. “Les retraités peuvent vous mettre en relation avec des personnes pertinentes et vous expliquer comment fonctionnent les milieux qui vous intéressent”, poursuit Jesse Jones.
- Trouvez les personnalités plus « discrètes ». Les introvertis figurent rarement parmi nos sources. Les moins bavards peuvent pourtant être une mine d’informations. « Quand je me rends à un conseil municipal ou sur une scène de crime, je ne regarde pas ceux qui sont au cœur de l’action mais les personnes à la marge », explique Jesse Jones. “Soyez attentif à leurs réactions et dites bonjour à la personne qui se hérisse ou qui semble mal à l’aise lorsqu’un fonctionnaire prend la parole.” Elle pourrait avoir de bonnes raisons de réagir ainsi.
Note de l’auteur : En parlant à un couple qui avait l’air mal à l’aise lors d’un rassemblement organisé par la campagne présidentielle de John McCain en 2008, ils m’ont révélé que le cœur de leur fils décédé – l’ancien chauffeur de bus du candidat républicain – avait été transplanté chez un patient de Pennsylvanie qui était un fidèle partisan de Barack Obama mais avait juré de voter pour McCain afin de rendre hommage à son donneur d’organes. Parler aux gens « discrets » peut révéler des informations pour le moins étonnantes.
Quelques conseils pour fidéliser de nouvelles sources
Jesse Jones de KIRO a également donné des conseils pour entretenir ses relations avec de nouvelles sources, tirés de sa longue expérience de journaliste d’investigation dans les villes de Baltimore, Cincinnati et Seattle.
- Supposons que vos sources ne connaissent rien de votre travail. « Envoyez des liens vers vos reportages à vos sources et aux personnes qui, selon vous, pourraient vous aider dans la prochaine étape de votre enquête », préconise Jesse Jones. « Nous autres journalistes, on a tendance à penser que tout le monde suit notre travail, mais ce n’est vraiment pas le cas. »
- Renseignez-vous sur les heures de travail de votre source. “Pour que vos sources vous soient utiles, il faut qu’elles soient disponibles”, rappelle-t-il. « Vous devez donc impérativement vous renseigner sur leurs horaires. »
- Appelez des contacts potentiels uniquement pour leur faire part d’une information qui pourrait les intéresser – et ne demandez rien en retour. “Présentez-vous, sans donner l’impression d’être à la recherche de quelque chose”, précise-t-il. « Intéressez-vous à ce qu’ils font dans leur temps libre. »
- Appelez les personnes qui ne sont que brièvement citées dans d’autres médias. « Si vous voyez une personne citée ailleurs, n’hésitez pas à la contacter pour lui dire ‘J’ai aimé ce que vous aviez à dire, pouvez-vous m’en dire davantage ?' », conseille Jesse Jones. « Pour de nombreuses personnes, passer à la télévision ou dans d’autres médias d’information est l’événement d’une vie. » Suite à cette première expérience, elles se sont peut-être rendues compte qu’elles avaient bien d’autres connaissances à partager avec le public.
Faire parler des sources sur des sujets sensibles face caméra
Contrairement aux entretiens de responsables politiques, il n’y a aucune obligation pour les victimes d’abus sexuels ou d’autres traumatismes de partager leurs témoignages avec les journalistes. « Ils ne nous doivent rien », rappelle Jenna Bourne, journaliste d’investigation au WTSP 10 à Tampa Bay, en Floride. « Ne perdez pas cette vérité de vue lors de ces entretiens. »
- Exprimez-vous simplement, en faisant preuve d’humanité. Ne vous souciez pas de paraître professionnel dans votre reportage une fois monté ; pensez uniquement à mettre votre source à l’aise quand elle vous raconte ce qui lui est arrivé. « Abandonnez complètement votre posture de journaliste », conseille Jenna Bourne. Selon elle, il vaut mieux utiliser des mots simples du quotidien et des réponses qui montrent votre empathie avec ce genre de source. « Et bien sûr, n’oubliez jamais que vous vous adressez à des êtres humains – ne les traitez pas comme des personnages de votre reportage. »
- Expliquez votre projet. « Dites-leur pourquoi vous étudiez ce sujet et qui y a déjà pris part », conseille Jenna Bourne. « Aidez-les à comprendre comment leur contribution pourrait faire avancer les choses, sans non plus faire de promesses excessives. »
- Montrez-leur un cahier vierge. Lorsque vous parlez à des sources qui ont subi un traumatisme, montrez-leur d’emblée la première page vierge de votre bloc-notes, pour souligner qu’elles maîtrisent ce que vous y inscrirez, et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un interrogatoire. “Quand j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec une personne ayant vécu un abus sexuel dans l’enfance, je voulais qu’elle sache que mes questions dépendraient de ce qu’elle voudrait bien me dire”, explique Jenna Bourne. Ismael Estrada, producteur chevronné d’ABC News, suggère aux intervieweurs télé comme radio de mémoriser les questions clés et de ne pas avoir de cahier en main du tout. « Il suffit de jeter un coup d’œil à votre producteur à la fin pour vérifier que vous n’avez rien oublié », complète Estrada. “Il est important de garder les yeux sur le sujet et de ne pas constamment vérifier vos notes.”
- Habillez-vous simplement. Une allure trop sérieuse ou trop chic peut créer une distance entre vous et votre source. « En général, vous voulez vous habiller de manière décontractée lorsque vous écoutez quelqu’un qui a vécu quelque chose de terrible – c’est tout simplement bizarre de s’habiller trop formellement dans ce contexte-là », poursuit Jenna Bourne.
- N’ayez pas de “réaction marquée” aux révélations. “Si votre source vous révèle quelque chose d’énorme en cours d’interview, gardez-vous de réagir de manière impulsive ou émotionnelle : une réaction du type ‘Oh mon Dieu !’ est à bannir”, explique Jenna Bourne. « Restez calme et flegmatique en toute circonstance. »
Conseils pour un entretien musclé et spontané avec un responsable politique
Chris Papst, journaliste d’investigation principal du WBFF 45 dans l’État du Maryland, aux Etats-Unis, a partagé les leçons qu’il avait tirées d’une récente enquête révélant qu’aucun élève scolarisé dans 23 établissements de la ville de Baltimore n’était « compétent » en mathématiques l’an dernier. L’enquête a également montré que le ministère de l’Éducation de l’État avait rapidement expurgé les données publiques sur ces résultats embarrassants après la parution du rapport – il a donc fallu concevoir une stratégie prudente pour interviewer le discret fonctionnaire qui avait caché ces données. Puisque l’interview risquait de tourner court, voire d’être musclée, il a fallu réfléchir en amont à la meilleure manière d’organiser les questions.
- Avant toute chose : préparez votre question d’ouverture. « C’est peut-être la seule question qui obtiendra une réponse avant que le responsable ne s’enfuie, alors planifiez la formulation au mot près, et répétez-la si nécessaire », conseille Chris Papst. “Anticipez la réponse qu’on pourrait vous faire, pour relancer sans attendre avec une question claire et factuelle.”
- Prévoyez assez de questions pour un long entretien, au cas où. « La personne pourrait vous répondre : ‘D’accord, allons-nous asseoir pour en discuter' », souligne Chris Papst. « Préparez vos questions, et soyez intransigeant tout en restant poli : l’emploi de “Monsieur” ou “Madame” donne le bon ton. Ne soyez pas trop agressif, car vous risqueriez, en tant que journaliste, de faire vous-même l’actualité à la place de votre sujet.
- Renseignez-vous sur les « issues de secours » que pourrait emprunter le responsable. Si vous réalisez un reportage filmé, Chris Papst conseille au préalable de parcourir l’endroit où aura lieu l’interview afin d’y repérer les sorties et d’y positionner des caméras pour capturer toute fuite de l’intéressé.
- Prévoyez les limites d’une course-poursuite. « Au préalable, posez-vous les questions suivantes : ‘Allons-nous le suivre par cette porte ou par cet escalier ? Quelle ligne ne franchirons-nous pas ?’ Et assurez-vous que tous les membres de l’équipe connaissent ces limites. »
- Voir l’article de conseils de GIJN sur les techniques pour mener à bien des entretiens spontanés : “Comment obtenir – et réussir – un entretien musclé.”
« Les sources nous sont indispensables, elles sont l’huile dans notre moteur », résume Jesse Jones. « Ne soyez pas avares de vos cartes de visite, distribuez-les à tout le monde. »
Ressources complémentaires
15 conseils pour interviewer les victimes et témoins de drames
Comment confronter les personnes citées dans votre enquête à ce que vous comptez publier
Rowan Philp est journaliste au sein de la rédaction de GIJN. Il était précédemment grand reporter du journal sud-africain Sunday Times. En tant que correspondant étranger, il a couvert l’actualité politique, économique et militaire d’une vingtaine de pays.