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Cinq conseils d’Edwy Plenel pour construire un média d’intérêt public

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Journaliste politique français et ancien rédacteur en chef du Monde, Edwy Plenel est co-fondateur et président du site d’investigation indépendant en ligne Mediapart qui compte plus de 200.000 abonnés payants et est devenu en quelques années l’un des piliers du paysage médiatique en France. Edwy Plenel est intervenu lors de la session plénière sur les autocrates, les oligarques et les kleptocrates, lors de notre 12e Conférence internationale sur le journalisme d’investigation (# GIJC21). Il donne dans cet article cinq recommandations pour construire un média d’intérêt public durable.

1. Défendre la valeur de l’information

Quand Mediapart s’est lancé en 2008, personne ne pensait que l’information générale puisse être payante sur internet. Tout le monde croyait que le numérique imposait la gratuité de l’info. En acceptant cela, les médias ont accepté une destruction de la valeur de l’information au profit du divertissement, qui a pris la forme du règne des opinions, du « blabla », des clashs, des polémiques, des talk shows, des prises de position partisanes.

Nous, nous défendons l’idée que l’information est un travail et qu’elle a une valeur. Nous défendons que nos informations sont utiles, crédibles, originales et inédites et que si les lecteurs ont confiance dans ces informations et dans leur indépendance, ils peuvent nous soutenir en s’abonnant. Pour moi, un journalisme d’intérêt public, c’est la construction d’un lien de confiance qui défend la valeur de l’information.

Une information a de la valeur, donc il faut la soutenir : par l’abonnement ou par des dons. Je pense que c’est un modèle applicable dans d’autres parties du monde. En Afrique, par exemple, il y a aujourd’hui des modes de paiement directement sur les abonnements des téléphones, on peut imaginer des modes de souscriptions de solidarité. De nombreuses petites radios locales dans les langues locales y ont d’ailleurs recours.

Il ne faut pas renoncer. Quand nous nous sommes lancés en France il y a plus de dix ans, personne ne pensait que le modèle payant fonctionnerait. Tout le monde disait : « Plenel est fou, ça ne marchera jamais, l’information est gratuite sur internet ». Aujourd’hui, nous sommes une entreprise de presse totalement rentable, qui a un taux de rentabilité supérieur à tous les autres médias en France, sans publicité, sans subvention. Nous vivons uniquement du soutien de nos abonnés. C’est la même voie qu’il faut emprunter, en s’adaptant aux contextes locaux.

2. Construire un lien solide et horizontal avec les lecteurs

Notre logo s’inspire d’une gravure du XIXe siècle, qui est celle d’un crieur de journal, qui crie dans la rue pour inciter les gens à acheter le journal. En choisissant ce logo alors que nous sommes un média en ligne, nous avons voulu montrer que c’est cette tradition qui doit être défendue, en usant de toutes les armes qu’offrent les réseaux sociaux etGIJC21, Mediapart logo qu’offrent la circulation horizontale que permet le numérique. Il faut aller chercher les abonnés ou les souscripteurs en « criant » les nouvelles et en ayant un lien participatif avec ce public. La révolution numérique, c’est que nous ne sommes plus au dessus de ce lectorat, nous ne les regardons plus par en haut. Nous sommes dans une relation beaucoup moins verticale et les lecteurs peuvent nous questionner.

C’est pour ça que Mediapart s’est construit sur deux jambes : un journal payant et un club participatif en accès libre. Si vous soutenez Mediapart, Mediapart vous offre une tribune pour relayer vos engagements, vos combats, vos alertes, et discuter, interpeller le journal. Je crois que cette originalité là est aussi une force, qui a permis de fidéliser nos lecteurs.

Cette fidélisation suppose des métiers spécifiques. Il ne suffit pas de faire uniquement du journalisme pour que les lecteurs soient là. Il faut aussi des gens qui fidélisent les lecteurs, qui aillent les chercher et qui comprennent, s’ils se désabonnent, pourquoi ils abandonnent. Nous devons faire ce travail de marketing, mais en oubliant pas que nous ne vendons pas des cravates, des frigidaires ou des chaussures, nous vendons des marchandises très particulières, utiles à la démocratie et au débat public. Des marchandises fragiles, rares et nécessaires. Et c’est ce que nous devons expliquer, promouvoir et défendre.

Notre journal a 120 salariés à temps plein mais seuls la moitié sont des journalistes. Les autres sont des informaticiens ou s’occupent de la communication, du marketing, de la gestion ou de la relation avec les abonnés. Mais tous sont dans la même culture d’une industrie de contenu, un contenu qui a une valeur professionnelle et démocratique. Et c’est ce contenu qui crée une entreprise indépendante, capable de créer des emplois et de résister aux attaques. 

3. Traiter tous les sujets avec le prisme de l’intérêt public

Pour choisir nos enquêtes, notre seul critère est l’intérêt public. Par exemple, nous ne couvrons pas le sport mais nous avons enquêté sur les football leaks et montré comment un sport aussi populaire que le football a pu être corrompu par l’argent. Nous avons provoqué le #Metoo français dans le monde politique, et au cinéma.

Être démocrate, c’est être radical car c’est prendre à la racine ce qu’est la démocratie, et pour moi c’est une culture qui repose avant tout sur l’égalité. Si on prend au sérieux cette question de l’égalité, les questions que l’on peut traiter sont très diverses : la question des inégalités dans la hiérarchie sociale, des inégalités liées à l’origine, au sexe ou au genre, à la croyance ou à la religion. Pour moi, l’intérêt public est le seul agenda valable d’un journal digne de ce nom. 

4. Accepter la frustration

Notre métier, c’est d’être à la fois Sisyphe et Cassandre. Un journal, c’est une université populaire. Comment fait-on pour faire avancer une société ? Ce n’est pas en lui disant : je vous apporte la solution. Car c’est à la société d’apporter la solution. Notre travail est de faire réfléchir la société. Comme un professeur qui donne un devoir à ses élèves. Vous allez vous prendre la tête et vous allez progresser en essayant de résoudre ce problème. Nous, les journalistes, nous faisons pareil : nous mettons le problème sur la table. Et c’est en ce sens que nous sommes Cassandre. Nous apportons une mauvaise nouvelle. Mais on dit que cette mauvaise nouvelle, si nous l’affrontons, permettra de faire une meilleure démocratie.

C’est là que Cassandre se retrouve comme Sisyphe, qui porte son rocher en haut d’une colline, et dont le rocher retombe perpétuellement. De ce point de vue, nous sommes souvent un peu tristes et déçus. Permettez moi de citer un activiste du Burkina Faso, d’un mouvement qui s’appelle le « Balai citoyen », dont les révélations ont fait tomber le régime autoritaire de Monsieur Compaoré. Il m’a dit : « Vous, les journalistes, vous levez les lièvres, mais c’est à la société de les attraper ».

Nous sommes très heureux quand la société se saisit de nos enquêtes pour réagir. Mais il y a une limite à notre action : nous faisons ce que nous avons à faire mais ce n’est pas nous qui sommes maîtres du fait que la société soit au rendez-vous ou non. C’est pour ça que nous devons parfois accepter une certaine tristesse et accepter que nous ne sommes pas des directeurs de conscience, mais des acteurs de la vie démocratique. Et la vie démocratique, ce n’est pas nous qui allons la déterminer à nous seul. 

5. Formation continue et intelligence collective 

Notre époque est une époque virulente et violente, une époque de régression démocratique où les intérêts politiques, économiques, ne supportent pas l’indépendance. Comment résister ? La réponse, c’est le collectif. Il faut se méfier du héros solitaire. Le journaliste n’est pas un héros solitaire, et s’il en devient un, il y a le risque qu’il devienne le héros de sa propre histoire, qu’il fasse les questions et les réponses et qu’il soit dans une sorte d’hubris personnel, y compris pour la bonne cause.

La seule garantie de la résistance, c’est la solidarité collective : c’est le fait de ne pas être seul. A Mediapart, c’est ce qui a fait notre force. Face à des épreuves, des calomnies, des campagnes de dénigrement, nous n’agissons pas aveuglément, nous discutons, nous réfléchissons collectivement, nous nous interrogeons parfois et nous demandons si nous avons bien fait ou mal fait les choses. Mais nous avons toujours affronté cela dans le cadre d’une démarche collective. Je crois que quand on fait ce métier risqué dans une démarche d’enquête et de révélation, la première personne qui doit vous aider, c’est la personne qui va relire ce que vous avez écrit, c’est votre collègue. C’est la vérification collective qui va vous protéger.

À Mediapart, avons des processus de relecture entre collègues et par des personnes qui valident la copie au niveau supérieur, des correcteurs qui travaillent sur la compréhension et l’accessibilité des textes. Nous faisons des formations internes deux fois par an sur le droit de la presse, sur le harcèlement ou les violences sexuelles, après avoir publié les enquêtes qui ont provoqué le #MeToo français. Un journal doit être en interne ce qu’il prétend être à l’intérieur. Et ça, c’est une formation continue. Une des beautés de ce métier, c’est que nous sommes des autodidactes permanents. Dans le journalisme, on est toujours amené à apprendre, on ne peut pas dire une fois pour toute : “je sais”. Nous sommes toujours amenés à apprendre.

Propos recueillis par l’éditrice francophone de GIJN Marthe Rubio.

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