Paramètres d'accessibilité

taille du texte

Options de couleurs

monochrome couleurs discrètes sombre

Outils de lecture

isolement règle

Ressource

» Guide

Thématiques

Introduction au journalisme d’investigation : les collaborations

Lire cet article en

danPour les journalistes d’investigation, les avantages de la collaboration peuvent être considérables et optimiser la visibilité de leur enquête, accentuer son impact éventuel et renforcer la protection.

À l’heure actuelle, on remarque, dans le domaine du journalisme d’investigation, que les collaborations, dans le cadre desquelles au moins deux organes de presse d’un même pays ou de pays différents travaillent ensemble sur une même enquête ou sur une enquête en lien avec la leur, semblent être monnaie courante.

Pour les journalistes d’investigation, les avantages de la collaboration peuvent être considérables et optimiser la visibilité de leur enquête, accentuer son impact éventuel et renforcer la protection des journalistes qui travaillent dans des conditions difficiles.

Et pourtant, chaque collaboration est unique. Deux rédactions basées dans la même ville qui collaborent sur une enquête ponctuelle auront sans doute besoin d’outils et d’un plan d’attaque différents de ceux qui permettront de mener à bien un projet collaboratif d’un an impliquant 100 journalistes dans 20 pays sur plusieurs fuseaux horaires et dans plusieurs langues, et qui nécessite la connaissance de l’éthique et des pratiques professionnelles.

Quelles que soient l’envergure ou la nature de la collaboration, vous devez impérativement la planifier afin de déterminer clairement les rôles clés, et travailler en toute transparence et équitablement avec vos partenaires.

Ce chapitre propose des conseils et des études de cas sur des collaborations dans le domaine du journalisme d’investigation.

Demandez-vous pourquoi vous voulez collaborer et choisissez vos partenaires avec discernement

Préparez-vous et assurez-vous que la collaboration apporte de la valeur à l’enquête. Ne vous laissez pas tenter par une collaboration uniquement parce que c’est une mode. Nous reconnaissons nous-mêmes qu’il vaut mieux mener certaines enquêtes seuls. Faites une liste des avantages et des inconvénients de la collaboration. Est-ce que votre éventuel partenaire peut obtenir des documents ou effectuer des interviews dans des langues étrangères, alors que vous ne le pouvez pas ? Est-ce que votre partenaire a des compétences spécifiques, ou en matière de données, qui complètent les vôtres et sont essentielles à l’enquête ? Est-ce que l’enquête est trop dangereuse, ou trop complexe, pour que vous vous chargiez seul de la réaliser et de la publier ?

Une des décisions les plus importantes que vous devrez prendre si vous envisagez une collaboration, sera le choix des personnes que vous inviterez au sein de l’équipe. Lorsque vous sélectionnez des partenaires individuellement, évaluez globalement la personne et pas uniquement les travaux reconnus publiquement du ou de la journaliste ou ses compétences en matière d’investigation. Demandez à des collègues auxquels vous faites confiance de vous parler de leur collaboration avec la personne que vous envisagez d’intégrer à votre équipe. Est-ce que ce ou cette journaliste a l’esprit d’équipe ? Cette personne peut-elle communiquer efficacement au sein d’un groupe hétéroclite ? Comment réagit-t-elle dans des situations stressantes ? Comment se comporte-t-elle avec des collègues de rédactions de plus petite taille ? Si la collaboration implique non seulement une personne, mais une équipe d’un organe de presse, soyez tout aussi exigeant avec le ou la responsable de l’équipe.

Lorsque vous êtes invité à collaborer avec une équipe, méfiez-vous. L’organisation vous invite-t-elle à participer pleinement à son enquête alors qu’elle recherche en fait un collaborateur chargé uniquement de collecter des documents, d’organiser des interviews, ou d’autres tâches de ce type ? Ou est-elle prête à partager des informations, son expérience ou des documents liés à l’enquête ? Est-ce que l’organisation vous invite à servir de “façade”, en vous demandant de vous joindre à son équipe, non en tant que partenaire ayant de l’influence, mais tout simplement pour que la collaboration semble plus importante, plus compétente, d’envergure plus internationale, etc. ?

N’oubliez pas que vous n’avez rien à gagner en vous associant à une personne brillante, mais qui n’en fait qu’à sa tête. La vie est bien trop courte.

Déterminez le mode de communication et de partage des informations

Une collaboration nécessite souvent des outils ou des plateformes au moins pour les trois raisons suivantes : communiquer, partager des documents et gérer le projet.

N’oubliez pas que les ressources des divers partenaires peuvent varier. Votre organisation pourra être équipée de réseaux Wi-Fi et électrique fiables et faire appel à des professionnels chargés du fact-checking. Ce ne sera pas nécessairement le cas de la rédaction de votre partenaire. Certains journalistes d’investigation parmi les meilleurs n’ont pas un accès permanent à des ordinateurs ou à internet.

Les outils peuvent être élémentaires ou chers, mais dans ce cas, plus sûrs.

Communication

Nous pensons que chaque journaliste devrait utiliser Signal, une application gratuite qui vous permet de communiquer avec vos partenaires en toute sécurité. Vous pouvez transmettre à l’équipe entière de nouvelles informations concernant une enquête via un groupe de discussion (par exemple, “Je viens de terminer mon interview avec Mme X”) ou alors faire part de vos disponibilités (“J’ai un rendez-vous chez le médecin et ne pourrai pas assister à la réunion de ce matin. Pouvons-nous la repousser ?”)

Toutefois, nous ne recommandons pas Signal pour les groupes importants de journalistes, les rédacteurs en chef et d’autres membres de l’équipe qui ne participent pas activement à l’enquête. Personne ne souhaite être constamment interrompu par des messages. Si vous travaillez sur un projet plus important qui nécessite l’envoi régulier de messages, envisagez l’adoption d’un outil de gestion de projet (dont nous parlerons ci-dessous).

Si vous devez protéger la confidentialité de certains échanges, envisagez l’utilisation d’e-mails chiffrés. Mailvelope est un programme gratuit que vous pouvez facilement intégrer à votre compte Gmail. Si vous disposez des ressources nécessaires, vous pouvez également envisager l’achat d’une solution, comme GPG Suite, par exemple.

Pour faciliter des discussions plus approfondies ou la communication au sein d’un groupe, vous pouvez utiliser des outils gratuits ou payants pour les réunions en direct. Tout comme Zoom, Google Meet est un logiciel efficace. Si vous devez sécuriser les échanges, vous pouvez utiliser GoToMeeting ou Jitsi.

Déterminez la fréquence des appels et leur utilité. D’après notre expérience, il est toujours utile d’instaurer un sentiment d’appartenance via des appels réguliers (hebdomadaires, bimensuels) pour informer les membres de l’équipe. Si vous organisez un appel, préparez l’ordre du jour et animez la réunion de manière efficace. Une réunion mal organisée risque d’anéantir l’esprit de collaboration.

Partage de documents et d’autres informations

Si les données (documents, transcriptions d’interviews, etc.) que vous utilisez dans le cadre d’une collaboration ne sont pas extrêmement confidentielles, Google Drive peut vous aider à organiser votre travail. Vous pouvez créer des dossiers portant le nom des types de documents (“Transcriptions”, “Photos”, “Documents à publier”, “Ébauches d’enquêtes”, “Enquêtes finales après le fact-checking”) et partager ces dossiers avec les membres de la collaboration ou uniquement avec les personnes devant pouvoir y accéder.

Rappel concernant la sécurité : Il arrive que certaines informations soient confidentielles dans un pays, mais pas dans un autre. Par exemple, un journaliste du pays A peut être arrêté parce qu’il est en possession d’un document concernant le président du pays, mais un reporter du pays B peut se procurer ce document sans aucun risque.

Si vous devez faire appel à des technologies plus sophistiquées, vous pouvez utiliser des outils payants comme Confluence qui est adapté aux espaces de travail distants, Document Cloud qui assure la gestion des documents et des ressources et Airtable, une plateforme de création d’applications.

Pour pouvoir utiliser ces outils, les journalistes et rédacteurs en chef devront sans doute apprendre à les utiliser. Selon la complexité de votre enquête, les données dont vous disposez et l’expérience de chaque personne impliquée, l’utilisation de tels outils pourra être très bénéfique ou alors une perte de temps et la source de problèmes.

La plateforme Aleph en sources ouvertes, gérée par le projet Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), peut vous aider à stocker et à analyser des documents. Datashare a été créé par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et permet de stocker et d’analyser des documents en local (sur votre ordinateur personnel), hors ligne et sur des serveurs.

Parmi les plateformes de communication et de gestion de documents susmentionnées, nombre de plateformes semblables vous aideront à gérer globalement la collaboration.

Aleph, une plateforme en sources ouvertes développée par l’OCCRP, permet de stocker et d’analyser des documents, puis aide les journalistes à suivre la “piste de l’argent” en leur donnant accès à des archives de bases de données et à des documents de recherche. Image : Capture d’écran, OCCRP

Identifiez ce que vous êtes prêt, ou non, à faire et à partager

Certaines collaborations fructueuses ont failli ne pas durer à la suite de malentendus, ou de moments de colère, à propos d’informations que les partenaires sont supposés partager.

Il arrive qu’un journaliste soit prêt à partager toutes les informations qu’il a, y compris les transcriptions d’interviews, des documents confidentiels, des photos et des ébauches incomplètes. D’autres journalistes ne seront pas enclins à partager toutes ces informations ou auront des raisons de ne pas pouvoir le faire. (Par exemple, certains photographes n’autorisent la publication de leurs photos que par leur employeur direct.)

Certaines règles sont figées. D’autres sont négociables. Il arrive qu’après avoir refusé d’effectuer certaines opérations, des rédactions et des journalistes acceptent avec plaisir de faire ce qui leur est demandé une fois que le coordinateur du projet leur a expliqué pourquoi le partage d’informations est bénéfique pour tous.

Établissez dès que possible des règles clés, flexibles ou non, avec les partenaires (voir l’exemple de contrat de collaboration, ci-dessous).

Plus vous ferez preuve de générosité et d’ouverture dans le cadre d’une collaboration, plus les autres partenaires seront prêts à vous aider et à faire avancer vos recherches. De cette façon, vous créez un climat propice à la collaboration pour les projets à venir.

Désignez le responsable chargé de la collaboration et déterminez le rôle de chaque participant

Quelle que soit l’ampleur de la collaboration, nous vous conseillons de désigner une personne chargée d’en assurer la gestion. Cette personne devra également résoudre les éventuels conflits (voir ci-dessous).

Il peut s’agir d’un rédacteur en chef ou d’une personne occupant déjà un poste à responsabilités, ou alors d’un des principaux journalistes travaillant sur le projet. Dans tous les cas, veillez à ce que la personne désignée comprenne que le rôle qu’elle va assumer implique souvent des tâches ingrates, notamment l’organisation des réunions, la préparation des ordres du jour, la relance des partenaires inactifs, les demandes de financement et les conversations difficiles concernant les délais et les éventuels problèmes juridiques.

Selon l’ampleur de la collaboration et les compétences, ainsi que les langues, nécessaires, votre projet peut également inclure des responsables régionaux ou des responsables d’une enquête spécifique. Par exemple, l’ICIJ a sollicité l’aide de coordinateurs de partenariats en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Europe pour satisfaire aux besoins spécifiques des journalistes dans ces régions.

Les responsables de la collaboration contribuent en grande partie à la réussite des enquêtes communes. Ils doivent faire preuve d’intelligence émotionnelle et de compétences en matière d’organisation, d’une connaissance approfondie des documents de l’enquête, et être capables de communiquer facilement en franchissant les barrières culturelles. Faites preuve de bienveillance et de réceptivité à l’égard des responsables de la collaboration, car ils font un travail difficile.

D’après notre expérience, il est préférable d’impliquer plusieurs personnes de l’organe de presse de chaque partenaire dans la planification, les enquêtes et l’édition. Il est arrivé qu’un journaliste accepte de participer à un projet sans jamais en parler à son rédacteur en chef. Lorsque ce dernier fut informé de la collaboration après coup, il n’a pas apprécié et a retiré le journaliste du projet. Avant d’accepter de collaborer avec une équipe, veillez à obtenir le soutien et l’accord de votre rédacteur en chef.

Sélection de la couverture récente par GIJN de collaborations dans le cadre d’enquêtes et d’initiatives innovantes pour des projets transfrontaliers. Image : Capture d’écran, GIJN

Choisissez une date de publication

Récemment, de nombreuses enquêtes bien menées ont impliqué des partenaires acceptant de publier simultanément leur première enquête. Une telle coordination permet de toucher un plus large public.

Communiquez clairement la date à laquelle vous souhaitez que toutes les enquêtes soient publiées, mais soyez prêt à la modifier. Anticipez les imprévus surtout si vous travaillez avec des partenaires dans d’autres pays. Il est possible que le jour que vous proposez soit celui d’une fête religieuse ou d’une élection locale, qui ne conviendrait donc pas à votre partenaire.

Si la collaboration implique plusieurs enquêtes, parlez-en avec vos partenaires. Outre la première enquête, prévoyez-vous la publication coordonnée d’autres enquêtes, vidéos ou contenus ? Ou alors est-ce que les rédactions des partenaires peuvent publier quand elles le souhaitent après le lancement officiel du projet ? Là encore, discutez de ces points en amont pour éviter toute surprise.

Bien évidemment, certaines collaborations fructueuses peuvent également partir du principe que le lancement est plus flexible. Il nous a toujours semblé utile de nous entendre sur une date de “lancement”, mais, quelle que soit votre décision, communiquez avec vos partenaires et convenez avec eux, dès le début, d’une date de publication, en précisant la cadence, que ce soit individuellement ou conjointement.

Membres du réseau Ocean Reporting Network du Pulitzer Center dans le port de Barcelone. L’équipe s’est rassemblée en avril 2024 pour discuter de ses enquêtes et pour participer à la conférence Ocean Decade de 2024. Image : Offerte par le Pulitzer Center

Discutez des questions financières et juridiques

Parmi les désaccords les plus pénibles, ceux qui concernent des questions financières ou juridiques sont les pires.

Veillez à définir les attentes au début de la collaboration. Si votre collaboration regroupe des rédactions dotées de ressources et des rédactions aux ressources insuffisantes, est-ce que l’on s’attend à ce que les frais de déplacement, de photocopie, de récupération de documents, et même le temps des journalistes des rédactions aux ressources moindres, soient payés par celles qui en ont davantage ?

Qui rédige et envoie des lettre de demande de commentaires ? Est-ce que tous les partenaires envoient les mêmes demandes de commentaires ou est-ce que certains partenaires, ou tous, envoient les leurs ? Comment les réponses à ces lettres sont-elles partagées ?

N’oubliez pas qu’il existe de grandes différences culturelles dans ces domaines. Dans certains pays, les journalistes doivent envoyer des questions détaillées des semaines avant la publication et dans d’autres, pour des raisons légitimes de sécurité, ils attendent pour demander des commentaires. Discutez en groupe des réponses aux questions “qui, quand, comment et pourquoi ?”

Si les avocats des partenaires passent les enquêtes en revue avant la publication, est-ce que ceux d’une rédaction doivent communiquer avec ceux d’une autre rédaction pour s’assurer qu’ils sont sur la même longueur d’onde ?

Validez la collaboration par écrit

Après vous être entendus sur les règles de base (comme celles présentées plus haut), confirmez les directives par écrit.

Le “contrat de collaboration” le plus simple est une liste d’obligations que tous les partenaires s’engagent à respecter, à savoir communiquer, partager les enquêtes, respecter la confidentialité, etc., mais également ne pas publier avant les autres, etc. Dans la plupart des cas, ce document n’est pas un contrat juridiquement contraignant, bien que certaines rédactions plus importantes qui emploient des avocats préfèrent cette option. Nous vous conseillons de rédiger un contrat simple et amical. Une collaboration doit être une initiative positive et pas une menace.

Voici un exemple de contrat élémentaire :

CONTRAT DE COLLABORATION

Ce contrat entre A, B et C (les “partenaires”) entre en vigueur le [INSÉRER LA DATE DU CONTRAT]. Ce contrat régit le travail collaboratif effectué dans le cadre d’un projet d’enquête sur [INSÉRER UNE BRÈVE DESCRIPTION DE L’ENQUÊTE].

Ce document vise à s’assurer que tous les partenaires acceptent de partager les enquêtes et tout autre contenu (vidéos, images), de créditer les auteurs respectifs comme il convient dans toutes les publications et de respecter les embargos de publication dont il a été convenu.

Les partenaires s’engagent à :

  1. communiquer en toute transparence et fréquemment en transmettant aux équipes les conclusions et développement importants ;
  2. partager les informations, données, vidéos, photos, analyses, transcriptions d’interviews et, si possible, les contacts pertinents ;
  3. respecter la confidentialité en s’abstenant de partager des enquêtes, des données ou d’autres informations obtenues ou créées dans le cadre de ce projet par d’autres intervenants, sans demander l’accord de ceux qui les ont obtenues ;
  4. créditer intégralement et de manière évidente les autres partenaires dans toutes les publications [nous recommandons de choisir la langue préférée pour décrire la collaboration dans les enquêtes] ;
  5. conserver chacun leur totale indépendance éditoriale et à assurer l’entière responsabilité des enquêtes et autres contenus qu’ils publient, s’il s’agit d’enquêtes distinctes ;
  6. ne rien publier individuellement qui ait trait à cette collaboration avant le [INSÉRER ICI LE JOUR ET L’HEURE DE LA PUBLICATION].

[SIGNATURE DE CHAQUE PARTENAIRE AU NOM DE SON AGENCE DE PRESSE]

L’objectif d’un contrat de collaboration n’est pas de couvrir toutes les éventualités possibles, mais d’établir des règles élémentaires d’engagement. Parmi les exemples ci-dessus, certains peuvent ne pas s’appliquer à votre prochaine enquête. Vous souhaiterez presque certainement ajouter d’autres points.

Essayez d’envisager toute éventualité, puis acceptez que c’est impossible.

Gérez les conflits en amont

Dans le cadre de presque toutes les collaborations fructueuses (et certainement dans toutes les mauvaises), il y a des conflits. Désignez un coordinateur de projet (voir ci-dessus) pour faciliter la collaboration. À cette fin, mettez également en place un contrat de collaboration auquel vous pouvez faire référence dans des cas précis.

Autant que possible, essayez d’anticiper les risques. Les possibilités sont infinies, mais voici quelques exemples de nos expériences :

  • Si vous traitez des documents fournis par un lanceur d’alerte, une source ou un expert bien connu, identifiez clairement les personnes autorisées, ou non, à les contacter. (Personne ne souhaite être contacté par 20 journalistes qui posent la même question !)
  • Si vous devez travailler avec des fichiers sensibles, déterminez rapidement comment vous allez les sécuriser et les partager, et faites-le savoir à l’équipe.
  • Demandez à tous les journalistes impliqués dans le projet de confirmer qu’ils acceptent (ou non) d’être identifiés par leur nom au moment de la publication. Pour des raisons de sécurité, certains journalistes ne devraient pas être nommés.
  • Si un partenaire souhaite publier un communiqué de presse ou une publication Instagram sur l’enquête, confirmez clairement qu’ils seront révisés par le responsable de la collaboration et que vous conviendrez d’une date de publication de ces informations.

Si cela pose problème, essayez de ne pas vous emballer. Vous et vos partenaires ferez des erreurs. D’après notre expérience, ces erreurs souvent sans grande importance seront notamment liées à la publication quelques heures trop tôt d’une vidéo de présentation, à des désaccords sur le moment de demander des commentaires à la personne faisant l’objet de l’enquête et à des questions énervantes posées par les avocats d’un des partenaires.

Le cas échéant, discutez des problèmes avec les personnes qui participent au projet via le moyen de communication de votre choix (une conversation en personne ou un appel via Signal/Zoom, par exemple, qui permettront de résoudre plus rapidement le problème qu’une foule d’échanges d’e-mails ou de SMS). N’oubliez pas non plus qu’un problème apparemment insurmontable sur le moment sera sans doute plus facile à résoudre une fois la collaboration établie.

Conseil de professionnel : Réglez les conflits rapidement et de manière proactive et, comme on le dit, laissez votre égo à la porte.

Études de cas

Les exemples ci-dessous illustrent le travail collaboratif d’équipes de journalistes pour produire des enquêtes impossibles à réaliser sans collaboration. Qu’ils aient à leur actif de nombreuses années d’expérience dans la collaboration journalistique ou qu’ils fassent équipe avec d’autres journalistes pour la première fois, les journalistes ont des tuyaux et des conseils pratiques à vous donner.

Shadow Diplomats

Image: Screenshot, ICIJ

Des journalistes ont créé une base de données unique en son genre des malversations de consuls honoraires, en exposant un système, en grande partie non réglementé, de diplomates bénévoles qui travaillent à partir de leurs pays d’origine pour promouvoir les intérêts de gouvernements étrangers.

L’ICIJ et ProPublica ont accepté de publier les mêmes enquêtes, co-rédigées par des journalistes des deux rédactions. Plus de 100 journalistes d’autres pays et organes de presse ont publié leurs propres enquêtes en exploitant partiellement la base de données à laquelle tous les partenaires pouvaient accéder. À la suite de l’enquête, huit pays ont pris des mesures et révoqué des consuls honoraires ou annoncé des réformes.

Conseil : Centralisez le fact-checking des données et partagez les résultats. L’ICIJ et ProPublica ont validé chaque entrée de la base de données pour que les partenaires puissent exploiter ces informations en toute confiance et consacrer leur temps et leur énergie à rédiger des articles qui intéressaient leurs lecteurs.

Losing Paradise

Image: Screenshot, Pulitzer Center

Les journalistes d’investigation du Pulitzer Center, Karol Ilagan et Andrew Lehren, spécialisés dans les forêts tropicales ont conjugué les forces de leurs organes de presse, le Philippine Center for Investigative Journalism (PCIJ) et NBC News, pour mettre au jour la chaîne d’approvisionnement qui alimente les batteries de véhicules américains en nickel extrait de mines situées dans des forêts tropicales aux Philippines.

Les journalistes ont utilisé des données, des images satellite et des méthodes d’enquête traditionnelles pour suivre la piste du nickel, pas à pas, des forêts tropicales menacées de l’île de Palawan aux Philippines, jusqu’au Japon et aux États-Unis, où ce métal très demandé est utilisé par Tesla, Toyota et d’autres constructeurs automobiles.

Conseil : Lorsque vous remontez à la source des chaînes d’approvisionnement et d’autres lieux, vous devez impérativement avoir des compétences linguistiques et en matière de recherche. Ilagan a retrouvé des documents aux Philippines et a mené une enquête sur le terrain à Palawan, alors que Lehren a mis à profit sa longue expérience pour remonter aux chaînes d’approvisionnement qui menaient au marché américain et analyser des documents commerciaux obscurs. Comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, aucune information sur les chaînes d’approvisionnement n’était disponible aux Philippines. Les journalistes ont pu établir un lien entre les Philippines et les États-Unis, via le Japon qui se charge des opérations de traitement pour produire ce métal. Les organes de presse et les publics de Lehren et Ilagan se sont également complétés, et ils ont publié simultanément leurs enquêtes aux Philippines et aux États-Unis dans des médias audiovisuels et numériques.

Smoking for the State: How China Became Addicted to Its Tobacco Monopoly

Des journalistes travaillant pour The Examination, une rédaction à but non lucratif qui enquête sur les corporations et les problèmes liés à la santé publique, et Initium Media, un organe de presse en langue chinoise basé à Singapour, ainsi que les partenaires allemands Paper Trail Media et Der Spiegel, ont collaboré dans le cadre de cette enquête sur China National Tobacco Corporation, une entité gouvernementale et l’un des principaux responsables de maladies et de décès dans le monde entier.

Les journalistes ont obtenu des documents exclusifs et ont passé au crible des registres de sociétés et des traductions obscures qui ont révélé les efforts déployés depuis deux décennies par les autorités chinoises pour saper un traité international historique, et laisser son peuple fumer. Les journalistes ont pris des risques considérables pour mener leur enquête en Chine et exposer une société dont la valeur se chiffrait à plusieurs milliards de dollars.

Conseil : “Ne prolongez pas éternellement les discussions concernant le partenariat” déclare Jason McClure, un journaliste pour The Examination. “Il n’y a rien de mal à être franc et à dire à un partenaire éventuel que vous attendez de lui une réponse rapide et que, si vous ne l’obtenez pas à une date X, vous supposerez qu’il n’est pas intéressé et passerez à autre chose.”

L’immobilier de luxe attire l’argent douteux

Le cap Ferrat se trouve dans le Sud de la France, où de nombreuses entreprises basées dans des paradis fiscaux possèdent des propriétés. Image : Shutterstock

Des journalistes et reporters indépendants travaillant pour Le Nouvel Observateur et Bellingcat ont exposé presque 200 contrats immobiliers douteux en France conclus par des personnes influentes liées à des autocrates, à des abus des droits humains et à des affaires de corruption.

Les journalistes ont utilisé des données publiques pour étayer leur enquête, ce que les autorités françaises ne semblaient pas avoir fait, malgré les avertissements d’organisations internationales signalant que le secteur de l’immobilier représentait un risque majeur de blanchiment d’argent.

Conseil : “Définissez clairement les rôles et choisissez des personnes motivées par le projet”, déclare Emmanuel Freudenthal, journaliste principal dans le cadre de ce projet. “Nous savions tous quelle était notre tâche, mais nous étions également prêt à en assumer de nouvelles.”


Will Fitzgibbon est un journaliste et le coordinateur de partenariats internationaux pour The Examination, une rédaction à but non lucratif qui enquête sur les malversations des entreprises, les maladies et les décès. Will travaillait auparavant pour l’ICIJ en tant que journaliste et coordinateur de partenariats en Afrique et au Moyen-Orient. Il a joué un rôle essentiel dans le cadre d’enquêtes, telles que les Panama Papers et les Pandora Papers.

Marina Walker Guevara est la rédactrice en chef du Pulitzer Center, une organisation à but non lucratif qui soutient le journalisme en profondeur et l’engagement civique dans le monde entier. Elle a assuré la gestion de collaborations journalistiques parmi les plus ambitieuses, notamment dans le cadre des Panama Papers et des Paradise Papers.

 

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International

Republier gratuitement nos articles, en ligne ou en version imprimée, sous une licence Creative Commons.

Republier cet article

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International


Material from GIJN’s website is generally available for republication under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International license. Images usually are published under a different license, so we advise you to use alternatives or contact us regarding permission. Here are our full terms for republication. You must credit the author, link to the original story, and name GIJN as the first publisher. For any queries or to send us a courtesy republication note, write to hello@gijn.org.

Lire la suite

Actualités et analyses Débuter dans le journalisme d'investigation

Exposer la corruption au Malawi : 10 questions à Golden Matonga

#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cette interview « 10 questions à », Benon Herbert Oluka, responsable Afrique subsaharienne de GIJN, s’entretient avec Golden Matonga, responsable des enquêtes de la Plateforme pour le journalisme d’investigation – Malawi, au sujet de sa carrière dans la lutte contre la corruption.