Image: Shutterstock
Comment enquêter sur le trafic d’armes
Lire cet article en
Les dépenses militaires mondiales ont atteint près de 2.000 milliards de dollars en 2020. Comment enquêter sur ce sujet opaque ? Traque d’avions, base de données, archives de transport, bilans financiers… Voici une série de conseils pour enquêter sur le trafic d’armes.
Lorsque le réalisateur Andrew Niccol s’est mis à acheter des accessoires pour le film « Lord of War », sorti en 2005, il a été surpris d’apprendre que l’acquisition d’armes réelles revenait moins cher et était plus aisée que l’acquisition d’armes factices. Il a donc fini par acheter 3 000 vraies Kalachnikov et louer de vrais chars, a-t-il expliqué lors de la tournée de presse du film. Cela a pourtant fini par lui coûter cher. Bien qu’il ait détruit certaines des armes en Afrique du Sud pour empêcher qu’elles ne servent à nouveau, des exigences budgétaires l’ont obligé à vendre le reste. A perte, l’excès d’offre sur le marché de l’armement l’ayant obligé à baisser leur prix de moitié à la revente.
Librement inspiré de l’histoire de vrais marchands d’armes, dont le russe Viktor Bout, « Lord of War » s’ouvre sur le parcours d’une balle, de sa fabrication à son utilisation en zone de guerre en passant par son transport. Le film montre les caisses de munitions, les meurtres, le milices, les terroristes et les chefs de guerre à travers le monde – le dictateur libérien Charles Taylor y est le client et Viktor Bout le vendeur – afin de révéler un réseau à la fois complexe et opaque où s’entremêlent gouvernements, lobbyistes, marchands d’armes, financiers, agents de renseignement, transporteurs et messagers.
Depuis les chutes de Bout et Taylor – le premier a été condamné à 25 ans de prison aux États-Unis suite à une opération d’infiltration, le second à 50 ans de prison suite à un procès pour crimes de guerre à La Haye – les dépenses militaires mondiales n’ont cessé d’augmenter, pour atteindre près de 2.000 milliards de dollars en 2020. Les quatre pays les plus dépensiers en matière d’armement – les États-Unis, la Chine, la Russie et le Royaume-Uni – figurent également parmi les plus gros fournisseurs d’armes au monde. On retrouve dans le marché mondial des armes le même genre d’échanges commerciaux et financiers, les mêmes modèles commerciaux, qu’au sein du crime organisé transnational et des zones de guerre.
En effet, les lois nationales qui régissent le commerce des armes sont inégales, contradictoires, influencées par des dirigeants corrompus et truffées de lacunes. Les enquêtes à ce sujet sont rendues d’autant plus difficiles par le secret maritime et aérien, qui dissimule le transport d’armes ; les sociétés écrans qui protègent concessionnaires comme opérateurs ; des pays voisins qui servent de conduits ; et un système de troc qui permet d’échanger une marchandise illicite, comme l’ivoire, contre une autre.
Tant que les documents semblent en règle, les marchandises faisant l’objet d’un trafic peuvent être transportées au vu et au su de tous, à moins que les douaniers, ou d’autres autorités compétentes, n’aient de bonnes raisons de s’en saisir et de les fouiller. Un responsable sud-africain stationné dans un aéroport privé m’a d’ailleurs confié : « Nous touchons très peu d’argent, nous n’avons rien … nous ne sommes pas en situation de nous confronter à des criminels et d’en faire des ennemis. »
Contrairement au trafic de drogues ou d’êtres humains qui est interdit partout, le secret financier, le trafic d’armes et les crimes contre l’environnement, comme le trafic de bois ou le braconnage d’espèces sauvages, peuvent passer entre les mailles du filet. Tout dépend du secret qui leur est accordé dans différents régimes juridiques, ainsi que de leur accès au système financier et au secteur du transport.
L’incarcération de Viktor Bout, par exemple, n’a pas empêché son réseau de continuer à fournir des armes au Soudan comme à la Syrie en utilisant des administrateurs sud-africains et russes, des sociétés écrans mauriciennes et de faux permis aériens pour acquérir une flotte d’avions armés. Certaines de ces compagnies aériennes seraient toujours opérationnelles à Maurice, proposant des vols en « jet privé « .
Les avions commerciaux peuvent éteindre leurs transpondeurs lorsqu’ils se trouvent dans l’espace aérien international, les rendant invisibles aux yeux des contrôleurs aériens. Mais la flotte de petits avions dont dispose Viktor Bout – en particulier les modèles plus anciens sans système GPS intégré – est pratiquement indétectable par les radars même à l’intérieur de territoires nationaux. A l’époque, le gouvernement de Maurice n’a réagi aux accusations de méfaits qu’en publiant quelques communiqués de presse.
Les gouvernements qui vendent des armes ou subventionnent leurs industries privées, ainsi que les paradis fiscaux qui permettent l’externalisation de ces activités, permettent de maintenir la plupart des informations pertinentes hors du domaine public.
Les journalistes d’investigation sont souvent les premiers à identifier des activités illicites ou corrompues liées au trafic d’armes, qu’elles concernent des conflits en cours ou à venir, le crime organisé, la corruption ou l’exploitation des ressources naturelles.
Portée mondiale
L’industrie de l’armement est soumise à une législation internationale moins contraignante et plus difficile à faire appliquer que les filières de la banane ou du soja. Certains experts en ont déduit que le secteur représentait au moins 40 % de la corruption mondiale connue.
Seuls 10 pays fournissent 90 % de l’approvisionnement mondial en armes. Ces dernières années, près de 40 % de l’approvisionnement mondial recensé provenait des États-Unis. Environ la moitié des exportations d’armes américaines sont allées au Moyen-Orient, principalement à l’Arabie saoudite, le plus grand importateur d’armes au monde.
Leurs relations diplomatiques et la pression de leurs pairs encouragent les États à rendre compte des importations et exportations d’armes annuelles. Le Traité sur le commerce des armes (TCA) adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies crée un cadre multilatéral pour limiter le commerce de l’armement et l’utilisation d’armes dans des conflits, des violations des droits humains et des actes de terrorisme. Mais alors même que le traité a été ratifié par plus de 100 pays, les principaux pays exportateurs d’armes comme les États-Unis et la Russie ne l’ont pas signé – et même certains de ceux qui l’ont ratifié, comme la Chine, n’ont pas fourni de rapports annuels.
Dans la pratique, ces déclarations n’incluent jamais de données corroborantes, se limitant à une série de chiffres impossibles à vérifier. En outre, même dans les pays qui rendent compte de leur commerce d’armes, une personnalité politique haut placée peut faciliter des activités illégales dans un cadre juridique. Et parmi les nations qui disposent de loi régissant le commerce des armes, les définitions juridiques de ce qui constitue une activité illégale sont parfois vagues ou contradictoires.
Les fautes, difficiles à détecter, dans des transactions apparemment légitimes incluent : les contrats ou cargos qui contiennent plus de produits que ceux répertoriés, les modifications des formats des rapports d’entreprise qui génèrent des incohérences d’une année sur l’autre, et les différences entre pays dans le classement des armes. Cela complique la compréhension de la production, de la prolifération et de la justification du commerce des armes ainsi que de la dette, des trocs et des compromis qui l’accompagnent.
Comment donc aller au bout de vos enquêtes en tirant parti des données publiques ?
Une affaire privée
À moins qu’un pays ne fasse l’objet d’un embargo ou de sanctions, le commerce d’armes internationale est une affaire privée soumise à peu de règles et de contrôles. Avant de commencer votre enquête, prenez connaissance du fonctionnement basique d’une transaction dans le secteur de l’armement :
- Un Etat importateur publie des appels d’offres ou sollicite des fournisseurs de manière plus discrète. Il peut aussi avoir subi des pressions de la part d’entreprises et de gouvernements étrangers qui cherchent à lui vendre des armes.
- L’Etat exportateur autorise la vente d’armes à l’étranger, ainsi que de services et de systèmes technologiques, à l’importateur. (L’autorisation est accordée selon des règles différentes dans chaque pays.)
- Les armes peuvent être fabriquées et vendues soit par des entreprises privées soit par des entités détenues ou contrôlées par l’Etat.
- Remarque : les armes fournies peuvent finir par être fabriquées et vendues par l’Etat exportateur lui-même (en tant que « vente d’équipements militaires destinés à l’étranger ») ou par le secteur privé de la défense du pays en question (auquel cas on parle d’un accord « commercial »).
La plupart des pays exportateurs subventionnent et protègent leur secteur privé de la défense, qu’ils considèrent comme un élément essentiel de la sécurité nationale ainsi qu’un outil pour forger des alliances géopolitiques. Les certificats destinés aux acquéreurs – soit les principaux documents signés par l’Etat importateur – détaillent les marchandises achetées et déclarent que les armes ne seront utilisées qu’à certaines fins, telles que « des formations ou encore des opérations de lutte contre le terrorisme et de maintien de la sécurité et de la stabilité « . Ces certificats sont là pour empêcher que les armes servent à violer des droits de l’homme ou soient revendues ou « donner » à des États voyous ou des organisations criminelles.
De nombreuses armes, en particulier les armes légères, finissent pourtant entre les mains d’autres individus. L’embargo sur les armes que les Nations Unies ont imposé à la Libye, par exemple, n’a pas endigué l’afflux d’armes vers ce pays. Les faux pavillons, le secret des entreprises et le transport via des paradis fiscaux tels que les Bahamas, le Libéria et les îles Marshall ont permis aux pays d’importer des équipements interdits, en violation de l’embargo. Des sociétés écrans ont permis à la Libye d’acquérir des véhicules militaires blindés, des armes et des bombes auprès de fournisseurs installés aux Émirats arabes unis (EAU) et de sociétés de sécurité privées russes.
Les Etats importateurs ne règlent pas toujours en espèces. Le financement commercial joue souvent un rôle.
De l’or soudanais a été exporté depuis Jebel Amir, l’une des plus grandes mines d’or d’Afrique, dans la région tourmentée du Darfour, vers les Émirats arabes unis. En échange, des sociétés écrans constituées dans ce pays du Golfe ont fourni des véhicules blindés de transport de troupes et d’autres matériels.
Les enquêtes sur le trafic d’armes montrent bien que l’accès facile aux armes est une aubaine pour le crime organisé et pour les gouvernements autoritaires, et qu’il perpétue les conflits armés. En 2020, alors que la pandémie de Covid-19 nuisait aux économies et aux budgets nationaux, l’Afrique du Sud, sous la pression de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, a assoupli ses protocoles concernant les certificats des acquéreurs. Au lieu d’inspections sur la légitimité des transferts, les accords seraient désormais soumis à des « procédures diplomatiques » moins rigoureuses.
Un certain nombre d’éléments permettent pourtant aux journalistes d’investigation d’identifier, de vérifier et de corroborer des informations concernant le trafic d’armes. Cela peut être fait en retraçant le parcours du marchand d’armes et des systèmes qu’il a mis en place pour exécuter ses transactions. Même lorsque les trafiquants d’armes changent leurs habitudes afin de mieux dissimuler leurs agissements, ils créent inévitablement de nouvelles habitudes.
Études de cas
Marchand de mort
L’homme d’affaires russe Viktor Bout était peut-être le plus grand trafiquant d’armes au monde. On a dit de lui qu’il était « le facteur le plus efficace au monde » pour ses livraisons de marchandises en tout genre, mais en particulier d’armes illicites. La liste complète de ses clients dans la filière de l’armement est difficile à dresser. Sa société, qui changeait de nom et déménageait fréquemment, comptait parmi ses clients Ahmed Shah Massoud, chef de l’Alliance du Nord en Afghanistan, mais aussi les talibans, ennemis de Massoud. Il a vendu des armes au gouvernement de l’Angola ainsi qu’aux rebelles
cherchant à le renverser. Il a affrété un avion pour sauver Mobutu Sese Seko, dictateur du Zaïre, et a fait de même pour les rebelles qui le combattaient. Il a collaboré entre autres avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le tristement célèbre dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
C’est le commerce d’armes illégale qui a rendu Viktor Bout célèbre, mais il a également œuvré dans le transport de marchandises parfaitement légitimes. Sa société a ainsi effectué des centaines de transports pour le compte de l’ONU comme d’organisations humanitaires. Il a fait des affaires avec des gouvernements occidentaux, dont le Royaume-Uni et les États-Unis. Le Pentagone et ses sous-traitants lui ont versé des millions de dollars pour qu’il contribue aux efforts de reconstruction d’après-guerre.
A partir d’entretiens avec des diplomates, des individus qui ont suivi de près les activités de Viktor Bout, certains de ses proches et Bout lui-même, Douglas Farah et Stephen Braun ont écrit un livre à son sujet : « Merchant of Death : Money, Guns, Planes, and the Man Who Makes Guerre possible » (« Le Marchand de mort : de l’argent, des armes, des avions et l’homme qui rend les guerres possibles »).
Traquer des avions à partir de leur numéro de dérive
Les données de l’aviation – y compris les codes inscrits sur la dérive des avions (ou leurs numéros d’immatriculation) – peuvent révéler beaucoup de choses. Prenez la République du Congo (qu’on appelle aussi Congo-Brazzaville) : le pays n’a signalé aucune importation d’armes depuis plus de 30 ans, et puisqu’il n’y a pas d’embargo sur les armes contre ce pays, il n’est pas tenu de déclarer ses contrats d’armement par un organisme international tel que l’ONU. Des preuves indiquent pourtant que plus de 500 tonnes d’armes ont été récemment importées d’Azerbaïdjan, et que des transferts importants ont eu lieu avant les élections de 2016 et 2021. Ces caches d’armes ont ensuite servi à mater la dissidence post-électorale, comme l’a révélé notre enquête pour l’OCCRP. La plupart des armes, y compris les obus de mortier, les missiles, les grenades et les mitrailleuses de pointe, ont été soit fabriquées soit achetées par le gouvernement azéri en Bulgarie et en Serbie.
Des documents nous apprennent que le gouvernement saoudien est cité comme « parrain » de certains accords de vente. Le parrainage de l’Arabie saoudite reflète l’entrée de la République du Congo, productrice de pétrole, dans le cartel de l’OPEP, qui contrôle les quatre cinquièmes de l’approvisionnement mondial en pétrole et est dominé par les Saoudiens. L’Azerbaïdjan et la République du Congo fonctionnent comme des dictatures familiales, tandis que l’Arabie saoudite est contrôlée par une monarchie dynastique. Le suivi des avions a révélé comment les armes ont d’abord été transportées par l’armée de l’air azerbaïdjanaise, puis à partir de 2017 par une compagnie aérienne privée, Silk Way Airlines. En tant que société privée, Silk Way, qui entretient des liens étroits avec la famille qui dirige l’Azerbaïdjan, a probablement moins attiré l’attention que son homologue militaire.
L’intermédiaire nigérien
Au Niger, l’un des pays les plus pauvres au monde, près d’un milliard de dollars a été dépensé pour l’achat d’armes entre 2011 et 2019, dont au moins 137 millions de dollars semblent avoir été détournés par des fonctionnaires corrompus grâce à des ventes d’armes au volume gonflé artificiellement. En 2016, le ministère nigérien de la Défense a acheté deux hélicoptères militaires de transport et d’assaut à la société russe Rosoboronexport, l’organisation étatique en charge de l’exportation de matériel militaire. L’accord de vente, qui comprenait des frais exorbitants pour l’entretien et les munitions, a coûté au Niger 54,8 millions de dollars – soit environ 19,7 millions de dollars en trop qui n’a fait l’objet d’aucune justification. Le gouvernement russe a reçu le paiement par l’intermédiaire d’une succursale de VTB, une banque détenue majoritairement par l’Etat russe.
Le ministère de la Défense du Niger a accordé une procuration au seul intermédiaire Aboubacar Hima, lui permettant de faire passer les ventes par ses propres sociétés écrans et de manipuler les accords de manière à saper ou à contourner la législation et les comités de surveillance. Il a également servi d’agent à des sociétés russes, ukrainiennes et même chinoises sur ces mêmes accords, contrôlant efficacement la circulation d’informations entre les différentes parties. Aboubacar Hima était alors recherché par le gouvernement d’un autre pays d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, dont il était citoyen, et avait déjà témoigné dans des affaires judiciaires américaines liées au trafic d’armes illégal.
Des documents judiciaires, des brochures commerciales et des sites internet d’entreprise peuvent également vous informer sur les prix du marché des armes. Même les adresses IP des noms de domaine peuvent fournir de précieux indices.
Conseils et outils
Comme toute autre transaction de marchandises, les armes doivent être commandées, fabriquées, documentées, achetées, vendues ou échangées, et transportées de l’expéditeur au destinataire. Pensez donc à rechercher les éléments suivants :
Les registres d’armes : Le Registre des armes classiques des Nations Unies (UNROCA) a été créé en 1991 pour documenter le commerce officiel des armes entre nations à partir de déclarations facultatives. Ces déclarations sont accessibles au public et peuvent révéler le manque de transparence d’un gouvernement lorsqu’il n’a pas rendu public des ventes d’armes par ailleurs déclarées par ses homologues. Le registre comprend les armes plus légères telles que les mitrailleuses lourdes et les lance-roquettes ainsi que les équipements militaires plus lourds tels que les véhicules blindés, les hélicoptères d’attaque et les missiles à plus longue portée. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) est également une bonne source d’informations : l’institut publie des rapports pays, des données sur les dépenses militaires, les transferts d’armes et les embargos sur les armes, et recense même les aides militaires entre nations.
Archives de transport : les bases de données d’aviation tels que FlightRadar24 et FlightAware peuvent fournir des informations sur les avions, dont le code de dérive, le pays d’immatriculation et l’activité récente, tandis que les forums d’aviation comme r/aviation de Reddit ou Airliners.net fournissent des informations inédites observées par les pilotes et les équipes techniques autour du monde. N’oubliez pas de consulter également le manuel de GIJN « Comment utiliser la traque d’avions pour enquêter » et la plateforme de suivi des vols Icarus de C4ADS. Pour le transport maritime, commencez par lire le manuel « Comment traquer les navires de commerce ? » de GIJN puis consultez les ensembles de données Marine Traffic, Import Genius et Panjiva pour obtenir des informations sur les itinéraires, les produits, les expéditeurs, les destinataires, les dates et les adresses. Comme les avions, les navires doivent être immatriculés dans un pays et appartenir à un Etat, une entreprise ou une personne. Dans le transport maritime doivent vous alerter les juridictions fiscales spécialisées dans le secret maritime et aérien, notamment les îles Marshall, les Bermudes et le Libéria, qui accordent une protection juridique à ces registres et les ont commercialisé.
Structures d’entreprise : Après avoir identifié les propriétaires et les gestionnaires de ces entreprises à l’aide de bases de données, intéressez-vous à leur superstructure juridique et financière : l’objet de l’entreprise, les pays où elle est implantée, les sociétés qui lui sont liées ou associées, et son activité professionnelle. Il est par ailleurs essentiel de comparer l’origine des avoirs et des recettes, quels impôts, quelles pertes et quels bénéfices ont été déclarés, et où, ainsi que l’infrastructure financière de l’entreprise et si un litige en cours pourrait forcer la société à partager certains documents. Pour cela, il faut parcourir les informations qui sont déjà dans le domaine public, notamment les dossiers judiciaires et fiscaux, et se familiariser avec le cadre juridique de chaque pays concerné.
Pour nous journalistes, la question la plus importante est de savoir pourquoi les armes génèrent autant d’injustices dans le monde qui nous entoure. L’accès aux armes aide des régimes autoritaires, notamment en République du Congo, au Gabon et en Guinée équatoriale, à se maintenir au pouvoir. L’accès aux armes permet également aux cartels du crime organisé de saper les démocraties et de tenir les sociétés en otage, que ce soit par le trafic de drogues, d’espèces sauvages ou d’êtres humains. Jusqu’à ce que ces liens soient établis et mis sur la place publique, ce problème continuera d’être traité de manière isolée et ne sera pas vu comme le problème global qu’il est.
Lectures complémentaires
Comment traquer les navires de commerce
Comment utiliser la traque d’avions pour enquêter
Comment couvrir les conflits armés avec le journalisme de données
Sélection des meilleures enquêtes francophones de 2019
Khadija Sharife est une journaliste d’investigation primée. Celle qui travaille au sein du média OCCRP depuis 2017 en est désormais la responsable Afrique. Elle a par ailleurs dirigé la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique et a enquêté sur l’exploitation forestière illégale à Madagascar, la corruption en Angola et le commerce de matières premières qui alimente le trafic d’armes en Côte d’Ivoire. Elle a obtenu une bourse Poynter de l’université de Yale en 2021.