

Guide d’enquête sur les combustibles fossiles – Le lobbying
Lire cet article en
- La relation extrêmement proche de TotalEnergies avec le ministère français des affaires étrangères, révélée par Le Monde. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait pourtant affirmé devant le Sénat que TotalEnergies ne bénéficiait “d’aucun traitement de faveur particulier”.
- The oil bosses raising significant funds for Trump’s reelection bid, per The Washington Post and Financial Times. The oil executives named in the stories declined to comment.
- Comment des patrons des sociétés pétrolières ont levé des fonds importants pour la campagne de réélection de Trump, une information du Washington Post et du Financial Times. Les cadres de l’industrie pétrolière désignés nommément dans les reportages se sont refusés à tout commentaire.
- Une campagne de lobbying “secrète” menée par le géant minier et pétrolier, Vedanta, pour affaiblir les réglementations environnementales en Inde, révélée par OCCRP et The Hindu. Vedanta a indiqué avoir noué un dialogue avec le gouvernement dans le cadre des démarches entreprises par le conglomérat pour faire en sorte que l’Inde ait une plus grande indépendance énergétique.
- Comment une campagne de lobbying de 10 millions de dollars menée par Occidental Petroleum a permis à la firme pétrolière d’obtenir des centaines de millions de dollars de subventions pour le piégeage du carbone, une enquête réalisée par Bloomberg. Occidental Petroleum s’est refusé à tout commentaire sur ces révélations.
- Le lobbying d’ExxonMobil contre un train de mesures fondamentales du gouvernement Biden pour lutter contre le changement climatique, ainsi que les tactiques de lobbying employées par la firme, révélés par Unearthed et Channel 4 News. Exxon a affirmé que son lobbying concernait les augmentations de taxes qui ont contribué à financer les infrastructures décidées par le gouvernement Biden.
- Comment les compagnies pétrolières ont aboli le financement de la recherche sur les algues, un élément clé des efforts déployés récemment pour convaincre les décideurs et le grand public que les entreprises veulent vraiment lutter contre le changement climatique, une révélation de Drilled et du Guardian. Exxon a affirmé avoir investi 350 millions de dollars pendant les 12 années qu’elle a passées à travailler sur les biocarburants à base d’algues.
Ce chapitre est divisé en deux parties. La première porte sur le lobbying direct — quand les sociétés cherchent à avoir une influence directe sur les décideurs en faisant des dons et en ayant recours à la persuasion. La seconde a trait au lobbying indirect, un éventail d’activités entreprises pour influencer l’opinion publique et exercer une pression sur les décideurs. Dans un souci de clarté et de cohérence, nous nous concentrerons sur le lobby du pétrole et du gaz, même si beaucoup de conseils et d’outils proposés sont tout aussi efficaces quand il s’agit d’enquêter sur les sociétés impliquées dans l’industrie du charbon ou de l’énergie renouvelable.

Conseils et outils
Géographie
A moins que vous n’entamiez votre enquête avec une piste concrète, il est important de commencer par vous orienter, étant donné que les compagnies pétrolières et gazières font du lobbying là où bon leur semble, quand il y va de leur intérêt. Ainsi, par exemple, une part colossale du lobbying exercé par les compagnies pétrolières se déroule aux Etats-Unis. Ceci est essentiellement dû au fait que les USA sont le plus grand producteur au monde de pétrole et de gaz, et qu’ils occupent la deuxième place en termes de consommation d’énergie. Même les géants mondiaux de l’industrie pétrolière et gazière font une grande partie de leurs profits aux Etats-Unis. En conséquence, le lobbying pétrolier et gazier aux USA cherche principalement à faire en sorte qu’il soit plus facile et meilleur marché d’exploiter le pétrole et le gaz (notamment par la baisse des taxes). Ce lobbying consiste également à contrer les politiques envisagées pour diminuer la demande en énergie fossile, par exemple quand des subventions sont accordées pour promouvoir les véhicules électriques et une énergie électrique verte.
Aux Etats-Unis, le lobbying a lieu à tous les niveaux de gouvernement et du système politique, de Washington DC et des partis politiques nationaux aux capitales des Etats, jusqu’au niveau local. Les instigateurs de ce lobbying sont très variés, entre les grandes sociétés pétrolières et gazières comme Exxon et Chevron, et les milliers de producteurs de pétrole et de gaz indépendants ; il s’agit à la fois de firmes multimilliardaires et de petites entreprises familiales. Et ces sociétés ne sont pas les seules concernées. Les associations professionnelles (par exemple aux USA ou dans l’Union européenne), les consultants et les juristes jouent également un rôle fondamental.

La conférence mondiale de l’ONU sur le climat qui s’est tenue à Dubaï en 2023, la COP28, a réuni des délégués du monde entier, comme l’émissaire spécial du président des Etats-Unis pour le climat, John Kerry, mais près de 2 500 lobbyistes du pétrole et du gaz y ont également assisté. Image : Tarek Ibrahim, Shutterstock
En plus de faire du lobbying au niveau des pays, les sociétés pétrolières et gazières cherchent aussi à influencer les institutions multilatérales, comme le G7, le G20 et l’ONU. Lors des négociations de l’ONU sur le climat mondial qui se sont tenues à Dubaï en 2023 (COP28), un nombre record de lobbyistes du pétrole et du gaz, 1 456 pour être précis, ont assisté aux débats encadrés par le patron de la compagnie pétrolière et gazière des Emirats arabes unis.
Acteurs clés
Il est également important d’identifier les acteurs clés de l’espace qui vous intéresse, que ce soit dans le pays sur lequel vous enquêtez ou de façon plus multilatérale. Par exemple, en Australie, on trouve de grandes sociétés pétrolières et gazières internationales, notamment Chevron, Exxon, BP et Shell, mais il ne faut pas oublier les acteurs nationaux importants comme Santos. Par ailleurs, des associations professionnelles peuvent faire du lobbying pour le compte de l’industrie pétrolière et gazière au niveau national et au niveau des six Etats du pays. Il peut s’agir d’associations liées aux combustibles fossiles, comme les Australian Energy Producers et la Queensland Gas Association, ou de groupes de lobbying pour le secteur économique en général, par exemple le Business Council of Australia.
Ces associations professionnelles peuvent être un très bon point de départ pour enquêter sur les activités de lobbying direct et indirect de l’industrie pétrolière et gazière. Elles donnent en effet la possibilité aux grandes sociétés de défendre des points de vue controversés au sujet de certaines politiques, sans qu’un lien direct puisse être établi entre leur identité et ces démarches. Si vous découvrez qu’une association professionnelle donnée s’oppose à une politique sur le climat, cela vaut la peine de rechercher des preuves de lobbying direct effectué par des entreprises pétrolières et gazières sur cette question. Souvent, les sociétés s’opposent publiquement à une politique par le biais d’une association professionnelle, mais elles font aussi directement du lobbying lors de rencontres privées avec les décideurs. Dans le cadre d’une enquête sur l’influence politique d’ExxonMobil, réalisée par des journalistes infiltrés en 2021, l’un des principaux lobbyistes de la société a dit faire du lobbying “sous couvert” de l’American Petroleum Institute, sur des questions controversées comme l’utilisation de PFAS avec laquelle Exxon ne voulait pas être associé. Exxon, contacté, a dit ne pas produire de produits contenant des PFAS mais en utiliser.
D’un point de vue journalistique, il est possible de faire la preuve de ce lobbying direct. Il s’agit notamment d’être en contact régulier avec des sources dans les ministères, les conseils régionaux et départementaux, et les mairies, par exemple. Et de faire de même pour les responsables politiques et leurs équipes, et pour les employés des sociétés progressistes qui font partie des associations sectorielles. N’hésitez pas à déposer des demandes en vertu de la loi sur la liberté d’accès à l’information. Passez au peigne fin les bases de données en accès libre pour repérer les contacts entre les sociétés et les décideurs, potentiellement révélateurs de lobbying (voir ci-dessous).
Il peut aussi être utile de rechercher les groupes d’action associés à une question particulière, qui ont été mis sur pied par des associations sectorielles et des sociétés pétrolières, notamment ces groupes qui font de l’astroturfing, cette pratique qui consiste à donner l’impression que le grand public est d’accord avec l’industrie pétrolière sur un point particulier. Une enquête réalisée récemment par E&E News a révélé que des sociétés de combustibles fossiles et des groupes liés au monde des affaires diffusaient des campagnes de publicité qui avaient coûté plusieurs millions de dollars en Californie, peu avant un vote public crucial en matière de politique climatique. Par exemple, selon E&E News, la présidente et PDG de la Western States Petroleum Association (WSPA) — une puissante association du secteur du pétrole et du gaz — fait partie du conseil d’administration de Californians for Energy Independence (CEI). Cette dernière a des accointances avec la WSPA, mais sa dénomination semble avoir été créée dans le but de donner l’impression qu’il s’agit d’une initiative citoyenne, afin de conférer une plus grande crédibilité à son message. La WSPA nie avoir financé la publicité pour la CEI et avoir dirigé sa stratégie.
Questions clés
Vous pouvez aussi commencer par identifier les initiatives et autres propositions en cours en matière de réglementation et de législation au moment où vous enquêtez, et qui peuvent avoir un impact sur l’industrie pétrolière et gazière dans un pays ou un organisme multilatéral donné. Il peut s’agir d’une proposition de taxe sur les bénéfices exceptionnels de l’industrie pétrolière et gazière, d’une nouvelle loi qui vise à réduire les émissions de C02 des infrastructures pétrolières et gazières, ou encore d’un projet de subventions des sources d’énergie alternatives comme les énergies éolienne et solaire. La manière la plus rapide de procéder est de contacter les groupes de réflexion et les groupes d’action qui suivent ces questions de près, même s’il est aussi possible de trouver ces informations en faisant des recherches sur les sites en accès libre. Encore une fois, les initiatives qui font l’objet de lobbying par les entreprises pétrolières et gazières peuvent porter sur des réglementations locales au sujet de la pollution de l’air, sur de nouveaux projets de loi ou sur des négociations multilatérales à propos d’un traité sur le climat.
Il est important de bien maîtriser les procédures en matière de réglementation et de législation afin de pouvoir anticiper les types de lobbying qui peuvent être mis en jeu.
Par exemple, s’agit-il d’une réglementation soumise à une consultation publique, sans qu’il y ait de vote ? Si c’est le cas, il est probable que le lobbying impliquera des rencontres entre les entreprises et de hauts responsables des autorités, ainsi que l’envoi de courriers (rendus publics ou non). Il peut y avoir un comité consultatif au sein de l’organe législatif qui examine les propositions. Les entreprises peuvent aussi travailler avec des élus bien disposés à leur égard, ou avec des groupes d’intérêt comme des syndicats ou des associations professionnelles, pour exercer une pression sur les décideurs afin de faire en sorte que la nouvelle réglementation soit en leur faveur. Dans ce cas, s’informer sur les réactions publiques peut être un moyen rapide d’identifier les groupes d’intérêt impliqués. En examinant leurs déclarations, vous pourrez facilement déterminer qui travaille en étroite collaboration avec l’industrie pétrolière et gazière. Si vous interviewez des responsables politiques, leurs équipes ou d’autres personnes proches du processus de lobbying, essayez d’obtenir des noms. Il peut également être utile de consulter les bases de données en accès libre sur les dons aux partis politiques et de dresser la liste des personnes qui ont assisté à des événements liés à l’industrie, soit en personne, soit par le biais des réseaux sociaux.
Lobbying direct
Il existe de nombreux moyens de découvrir des informations sur le lobbying direct exercé par les entreprises et les associations professionnelles. Tout dépendra, bien évidemment, des zones géographiques concernées et des institutions en présence. Vous trouverez ci-dessous des suggestions générales concernant les points de départ possibles, ainsi que des exemples représentatifs pour savoir où trouver des informations.
Dons aux partis politiques
Les compagnies pétrolières donnent de l’argent aux responsables politiques depuis que l’industrie pétrolière existe. Il peut s’agir de dons peu élevés à des responsables politiques locaux, comme de sommes plus importantes versées à des groupes politiques nationaux, voire de corruption pure et simple. Ces dons sont faits pour des motifs variés et difficiles à définir avec précision, mais ils peuvent fournir des indices sur les priorités politiques d’une compagnie pétrolière et gazière.
Par exemple, selon son site, ExxonMobil donne de l’argent à des législateurs dans certains Etats des USA (principalement dans les zones où l’entreprise a des intérêts commerciaux) et, au niveau national, à des organisations de législateurs qui invitent des législateurs au niveau des Etats ainsi que leurs équipes dans des centres de villégiature de luxe. En substance, ces groupes vendent un accès aux compagnies ainsi qu’aux particuliers nantis pour aider à financer la réélection de leurs membres. Ce que les compagnies ont à y gagner ? Un accès direct à certains des responsables politiques les plus puissants des USA – discussions confidentielles à la clé –, lesquels sont souvent impliqués directement dans l’administration de certains aspects commerciaux d’une compagnie.

Des manifestants devant l’entrée d’une compagnie de combustibles fossiles à Londres. Image : Shutterstock
Dans l’exemple ci-dessus, nous savons qu’Exxon a versé de l’argent à des organisations spécifiques parce que la société, et c’est tout à son honneur, a publié l’information sur son site. De nos jours, beaucoup de grandes sociétés pétrolières fournissent des informations sur ce genre de contributions et sur les grandes associations professionnelles dont elles sont membres en réponse à la pression exercée par les investisseurs pour qu’elles fassent preuve de davantage de transparence à propos de leur lobbying.
Sinon, le site OpenSecrets est le meilleur point de départ quand on recherche des informations sur les dons aux partis politiques aux USA.
Au Royaume-Uni, on peut effectuer des recherches sur le dons par le biais du Registre des intérêts du Parlement britannique ou en passant par la Commission électorale. Cependant, un grand nombre de pays ne publient pas du tout ces informations. Pour savoir si un pays rend publics les dons aux partis politiques, le site de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale est un bon point de départ. En Europe, l’enquête de Follow the Money sur le financement des campagnes représente également un excellent point de départ. Dans les pays où ce genre d’information n’est pas divulgué, le défi consiste à trouver des sources qui sont en mesure de partager ces informations avec vous, et qui sont prêtes à le faire.
A noter que ces dons peuvent provenir directement d’une compagnie, d’une association professionnelle ou de particuliers qui sont de grands actionnaires. Par exemple, lors du cycle électoral de 2024 aux USA, l’homme à la tête de l’entreprise d’oléoducs Energy Transfer, le milliardaire Kelcy Warren, a fait un don de 5 millions de dollars, à titre personnel, à la campagne de Donald Trump qui s’est soldée par sa réélection.
Correspondance et rencontres
De toute évidence, il est crucial de faire la preuve qu’il y a eu un contact entre le personnel de la compagnie pétrolière et les décideurs — et de connaître le contenu de ces discussions — quand on enquête sur le lobbying effectué par ce secteur. Il peut prendre diverses formes, par exemple, en réagissant aux consultations faites par les autorités, en prenant la parole dans des comités législatifs, en entretenant une correspondance électronique avec des responsables et des politiques, et en assistant à des rencontres officielles ou officieuses avec les décideurs. Cependant, il est parfois difficile de découvrir des informations sur ces rencontres et cette correspondance, étant donné que les deux parties prennent généralement les grands moyens pour s’assurer que leurs échanges restent secrets.
Les bases de données de contacts sur le lobbying, quand elles existent, sont un bon point de départ. On citera par exemple :
- Le moteur de recherche de Lobbying Disclosure Act, aux USA, vous permet d’identifier les activités de lobbying des sociétés et des consultants politiques qu’elles ont engagés pour faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral et des législateurs. Vous apprendrez aussi quelles sommes d’argent ont été dépensées chaque trimestre.
- Le Registre de transparence de l’Union européenne est comparable à celui des Etats-Unis, ci-dessus, mais il comprend aussi des informations sur les membres des associations professionnelles, ainsi que des listes de rencontres avec des hauts responsables.
- Transparency International UK est une base de données qui regroupe des informations sur le lobbying concernant les autorités britanniques qui sont en accès libre.
- Le rapport de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) présente la liste des registres de lobbying (il y en a 16 dans le monde).
Ces bases de données peuvent aussi être utiles pour enquêter sur le “donnant-donnant” entre l’industrie et le gouvernement — quand des hauts responsables de l’industrie pétrolière obtiennent des postes gouvernementaux, ou quand des hauts fonctionnaires partent travailler dans l’industrie des combustibles fossiles. LinkedIn, entre autres outils en accès libre, peut aussi vous fournir des informations sur certains lobbyistes ou fonctionnaires, ainsi que leurs relations (s’ils en ont) avec l’industrie pétrolière ou les autorités.
Dans les endroits où il n’y a pas de registre du lobbying, il peut être possible de rassembler des éléments qui prouvent qu’il y a eu un contact entre des compagnies et des responsables grâce aux communiqués de presse, aux posts sur les réseaux sociaux, ou aux conversations avec des sources au sein de l’industrie ou du gouvernement. Vous pouvez aussi faire une demande en invoquant le droit à l’accès à l’information, le cas échéant.
Si vous êtes en mesure d’identifier des rencontres, l’étape suivante sera de découvrir ce qui s’est dit. Dans les pays qui ont adopté une législation sur la liberté d’information ou le droit à l’information, vous pouvez faire une demande pour avoir accès à la correspondance, aux procès verbaux et aux notes ayant trait à la rencontre en question et aux points qui ont été abordés. Cependant, le droit à l’accès à l’information est de moins en moins utile, les gouvernements cherchant à retarder la divulgation des informations, quand elles ne l’interdisent pas. Dans ce cas, mieux vaut privilégier le contact régulier avec des sources au sein de l’industrie des combustibles fossiles, des autorités, des partis politiques et de la société civile. Si vous disposez d’informations qui laissent penser qu’il y a eu des actes répréhensibles concernant une importante question d’intérêt général dans le cadre de telles rencontres — mais que ni la compagnie, ni les autorités ne sont prêtes à fournir des informations substantielles — il peut être justifié de recourir à des techniques de journalisme infiltré.
Les bases de données sur les consultations organisées par les autorités constituent une autre source d’information sur le lobbying. Par exemple, aux Etats-Unis, on peut faire une recherche sur les propositions de consultation soumises par les compagnies et les associations professionnelles en allant sur le site Regulations.gov. L’utilisation de cette base de données peut donner lieu à des reportages d’importance pour l’intérêt général, dans le cas où une compagnie fait un lobbying qui va à l’encontre de l’intérêt général sur un sujet controversé. L’UE dispose aussi d’un système de publication des consultations publiques, même si cela nécessite parfois de soumettre une demande en vertu du droit à l’accès à l’information pour obtenir davantage de renseignements. Par exemple, voici le résultat d’une consultation sur les véhicules électriques, notamment la réaction de l’industrie du gaz naturel qui fait du lobbying en vue de promouvoir les véhicules qui roulent au gaz naturel.
Le lobbying indirect
Le lobbying indirect est une notion très large et, comme son nom le laisse entendre, il se réfère essentiellement aux démarches entreprises pour exercer une influence sur les décideurs de manière plus détournée. Il peut s’agir d’initiatives qui visent à influer sur un projet de politique particulier, comme la campagne d’astroturfing en Californie mentionnée plus haut, ou de tactiques qui visent à façonner des opinions communes sur des questions énergétiques plus généralement.
Ces actions plus sophistiquées, qui ont pour objectif d’orienter les termes du débat sur le changement climatique, sont particulièrement importantes car elles créent un environnement dans lequel les mesures requises pour lutter contre le réchauffement climatique peuvent sembler radicales, en comparaison avec les solutions plus modérées proposées par le secteur du pétrole et du gaz. Cette industrie pétrolière et gazière cherche a atteindre son but d’une multitude de façons : par des dons aux groupes de réflexion et au monde universitaire, assortis d’une collaboration étroite ; de la publicité à la télévision et sur les réseaux sociaux, ainsi que des panneaux publicitaires ; la publication d’articles et autres textes favorables à l’industrie pétrolière dans les médias ; des campagnes d’envoi de lettres ; et par des contacts réguliers avec des “valideurs” tiers. Tout cela est conçu pour créer un environnement favorable au lobbying direct de l’industrie pétrolière, notamment en exploitant la pression politique et les controverses dans les médias dont elle est elle-même à l’origine.
Une association pétrolière aux USA a ciblé des “swing states” clés, ces Etats où aucun des deux partis politiques, le Parti démocrate et le Parti républicain, ne domine le vote populaire, et ce peu avant la campagne présidentielle de 2024. Elle y a mené une campagne publicitaire qui critiquait vivement les efforts déployés par le gouvernement Biden pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports en faisant la promotion des véhicules électriques. Il semble que l’objectif de cette campagne ait été de rendre ces politiques coûteuses, d’un point de vue politique, dans le but de les affaiblir ou de les faire échouer après l’élection. Les compagnies pétrolières et gazières paient aussi pour affirmer sur des panneaux publicitaires ciblés à quel point elles sont elles-mêmes ‘vertes’, ou que le gaz peut jouer un rôle crucial dans la transition énergétique, dans les endroits où il y a une forte concentration de décideurs, par exemple dans la station de métro de Waterloo à Londres ou à la gare ferroviaire la plus fréquentée par des responsables de l’UE à Bruxelles. Une étude réalisée en 2022 a estimé à 750 millions de dollars les dépenses des supermajors pétrolières et gazières en communications sur le climat l’année précédente.
L’industrie du pétrole et du gaz a versé des fonds au monde universitaire, ce qui a eu pour effet, selon une récente étude universitaire, de ralentir la transition énergétique. Les auteurs de l’étude en question affirment que les dons de l’industrie des combustibles fossiles ont influencé les universités qui, en conséquence, se sont concentrées sur des mesures de lutte contre le changement climatique qui intègrent un avenir pour les combustibles fossiles.
Les dons aux groupes de réflexions influents sont étroitement liés au soutien financier apporté au monde universitaire. Ces groupes sont des passerelles vers les décideurs et les personnes potentiellement influentes qui peuvent plaider en faveur des compagnies pétrolières. Ces dernières années, ce sujet n’a pas reçu des médias toute l’attention qu’il mérite, même si, aux Etats-Unis, le magazine The New Republic a attiré l’attention sur les dons faits par différentes compagnies à des groupes de réflexion spécialisés dans les affaires étrangères et le marché libre, laissant entendre qu’il existe un lien entre ces dons et les messages favorables au secteur pétrolier qui ont été communiqués par ces institutions. De même, les enquêtes effectuées par Drilled, DeSmog et The Guardian ont fait toute la lumière sur le rôle que jouent les compagnies pétrolières et les groupes de réflexion financés par l’industrie des combustibles fossiles dans la répression mondiale contre les personnes qui militent contre le réchauffement climatique. Par exemple, pour les besoins de leur enquête, les journalistes du Guardian ont déposé des demandes en invoquant la loi sur l’accès à l’information pour ensuite révéler comment les sociétés pétrolières et gazières, ainsi que leurs associations professionnelles, ont fait du lobbying auprès de législateurs au niveau des Etats aux USA pour réprimer les manifestations pacifiques contre l’expansion du pétrole et du gaz.
Le greenwashing qui est réalisé par le biais de tactiques mentionnées ci-dessus, joue aussi un rôle essentiel dans le lobbying indirect, même s’il a aussi d’autres objectifs, qui sont évoqués dans le chapitre du guide consacré à ce sujet.
Lawrence Carter est un journaliste d’investigation dont le travail a porté principalement sur le changement climatique et l’influence politique. Il a enquêté sur la guerre des supermajors contre la politique climatique des USA, les climatosceptiques financés par l’industrie des combustibles fossiles, et les Etats pétroliers qui cherchent à pérenniser la dépendance au pétrole dans le monde entier. L’enquête qu’il a réalisée en 2021, en utilisant des techniques d’infiltration, sur les manœuvres d’ExxonMobil pour faire obstacle à la politique climatique des Etats-Unis, a donné lieu à deux grandes enquêtes du Congrès. Le travail de Lawrence Carter a été publié dans le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, le Financial Times et O Globo, ainsi que sur CNN et la BBC, entre autres.
Traduction de l’anglais : Béatrice Murail