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Posters in memory of the late Chinese doctor Li Wenliang, who warned authorities about the coronovirus outbreak, pictured in Melbourne, Australia. Photo: Adli Wahid/ Unsplash

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Neuf leçons tirées de la couverture du Covid-19 en Chine

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Malgré des années de censure, le journalisme d’investigation a tant bien que mal réussi à survivre en Chine. L’épidémie de COVID-19 a ainsi étonnamment vu émerger une nouvelle vague de journalisme de haute qualité en Chine. Ainsi, au cours des quelques mois qui ont suivi le début de la pandémie dans la ville de Wuhan, les médias chinois semblent avoir produit bien plus de reportages et d’enquêtes solides qu’au cours des dernières années.

Consultez le Centre de ressources de GIJN pour avoir accès à plus d’informations sur la couverture du COVID-19.

Ce phénomène est dû, en partie, à plusieurs facteurs externes. Un certain nombre de médias chinois ont profité de cette courte «fenêtre d’opportunité» pour produire et publier des enquêtes largement partagées, avec le consentement tacite des autorités. Les autorités chinoises utilisent ces «fenêtres», au cours desquelles ils relâchent leur contrôle sur les médias, pour surveiller de près l’opinion publique afin d’ajuster leurs tactiques de propagande. Les manifestations en faveur de la démocratie ayant eu lieu à Hong Kong l’année dernière concernaient la politique, l’un des sujets les plus sensibles en Chine. Au contraire, le COVID-19 affecte tout le monde, quel que soit le système politique.

Mais ce sont surtout les efforts remarquables de certains journalistes qui ont impulsé ce bouillonnement de reportages et d’investigations en Chine. Les journalistes locaux travaillent dur pour produire des articles étayés par des preuves solides, tout en contournant la censure. Certains articles ont été supprimés d’Internet quelques heures après leur publication. Mais après des années à naviguer au sein de la censure officielle, les lecteurs chinois savent facilement comment repérer les contenus sensibles. Ils savent comment archiver les articles supprimés en les republiant sur d’autres plateformes telles que Notion et Evernote. Puis ils les partagent à nouveau sur les réseaux sociaux, dans une course contre la montre menée contre la censure.

Les journalistes chinois on dû couvrir une maladie infectieuse inconnue et incontrôlée au sein d’un système gouvernemental opaque.

Les meilleurs journalistes du pays se sont retrouvés au coeur d’une crise sans précédent : ils devaient couvrir une maladie infectieuse inconnue, peu comprise et incontrôlée, au sein d’un système gouvernemental opaque. Ils ont couvert le COVID-19, qui a tué plus de 3 200 personnes en Chine (la moitié du nombre total de décès dans le monde au moment de la publication de cet article), avec la grande majorité des décès à l’épicentre, dans la province du Hubei. Les journalistes ont travaillé dans des conditions extraordinaires : une réelle menace pour leur propre santé, un manque de données fiables, une situation traumatique généralisée, la censure officielle, et des quarantaines imposées à quelque 50 millions de Chinois.

Alors que le COVID-19 se propage à l’échelle mondiale, quels conseils les journalistes chinois peuvent-ils donner à leurs collègues du monde entier à partir de leur expérience ? Le rédacteur en chef chinois de GIJN, Joey Qi, a interviewé plusieurs journalistes couvrant le COVID-19 en première ligne. La majorité a demandé à rester anonyme. Voici un résumé de leurs conseils pour les journalistes du monde entier :

Plongez-vous dans la législation et la réglementation 

Si vous n’êtes pas spécialisé dans la santé, familiarisez-vous avec les lois et règlements de base sur les maladies infectieuses, ainsi que les procédures de prévention et de contrôle avant de sortir en reportage. Par exemple, quels sont les critères de diagnostic du COVID-19 ? Quelles sont les procédures pour couvrir le virus ? Quelles sont les méthodes pour contrôler la maladie ? L’examen de ces informations vous aidera à comprendre le système de prévention et de traitement des maladies infectieuses. Ces informations vous seront utiles tout au long de votre couverture journalistique.

Examinez les politiques publiques

Alors que tous les médias sont braqués sur le COVID-19, vous devez trouver de nouveaux angles journalistiques. Pour Wu Jing, journaliste à Health Insight, un média en ligne consacré à l’industrie des soins de santé, les journalistes peuvent par exemple examiner les politiques de prévention et de contrôle de la maladie.  » Par exemple, alors que Wuhan est en confinement, on peut réfléchir au type de problèmes que les habitants peuvent rencontrer « , explique-t-elle.  » Y aura-t-il des services de navette pour les patients qui doivent se rendre à l’hôpital ? Le gouvernement local a-t-il pris cela en compte au moment d’établir des politiques de classifications des patients ?  » En examinant ces politiques, vous pourrez découvrir des sujets qui n’ont pas encore été couverts.

Ne négligez pas les petits hôpitaux

Lorsqu’un nouveau virus émerge, il est essentiel de se poser deux questions : qu’est-ce que ce nouveau virus et d’où vient-il ? Les scientifiques chinois ont rapidement trouvé la réponse à la première question, mais la seconde reste en partie mystérieuse jusqu’à aujourd’hui. Le marché des fruits de mer de Huanan, un marché humide à Wuhan, est actuellement identifié comme le lieu où la flambée de COVID-19 a commencé. Pour Wu Jing, les journalistes se sont beaucoup concentré sur les grands hôpitaux à proximité de ce marché humide. Mais les petits hôpitaux  ne doivent pas être ignorés, car ce sont peut-être dans ces hôpitaux-là que vous trouverez les pistes les plus importantes.

Acceptez lorsque certaines personnes refusent d’être interviewées ou ne répondent pas à vos messages. Apprenez à lâcher prise.

Pour Wu Jing, plutôt que de se concentrer uniquement sur les grands hôpitaux spécialisés ou les experts médicaux déployés par le gouvernement pour lutter contre la maladie, surveillez les petits établissements de santé. Les patients leur rendent souvent visite avant de chercher un traitement dans un grand hôpital.  » Les personnes atteintes du coronavirus présentent généralement des symptômes tels que la toux ou de la fièvre à un stade précoce : elles sont donc plus susceptibles de visiter un centre de santé ou un hôpital régional à proximité, plutôt qu’un hôpital tertiaire ou spécialisé dans les maladies infectieuses « , explique-t-elle. « D’autant plus qu’il faut faire la queue beaucoup plus longtemps dans les grands hôpitaux pour s’inscrire. »

Basez-vous au coeur de la communauté

Plusieurs journalistes chinois expliquent que des interview informelles avec des médecins, des bénévoles et des habitants les avaient aidés à couvrir l’épidémie. Ils leur ont permis de découvrir des sujets d’enquête inattendus ou d’avoir accès à des sources précieuses.

Il est donc indispensable d’être basé à un endroit central, avec des transports accessibles où vous serez susceptible de rencontrer des personnes dans les communautés affectées. Wu Jing, par exemple, a séjourné dans un hôtel situé à proximité de deux hôpitaux différents, désignés pour traiter les patients atteints de COVID-19, et non loin du marché humide. Cela facilite les interviews avec les habitants et cela permet d’échanger avec les médecins également hébergés dans ces hôtels.

Rechercher des sources sur les réseaux sociaux

Lorsque le COVID-19 a éclaté, on a constaté une pénurie temporaire de ressources médicales en Chine. De nombreux patients attendant de se faire tester ont demandé de l’aide sur les réseaux sociaux, principalement sur la plateforme chinoise Twitter Sina Weibo et l’application WeChat. Certains des articles les plus lues sur l’épidémie ont été découverts par des journalistes suivant les publications des malades sur les réseaux sociaux, comme : Une mère est décédée dans la salle de quarantaine, publié par le site chinois NetEase. De nombreuses personnes contactent également directement les médias en leur envoyant un liens vers leurs publications sur les réseaux sociaux tels que WeChat.

Certains des articles les plus lues sur l’épidémie ont été découverts par des journalistes suivant les publications des malades sur les réseaux sociaux. Photo : capture d’écran/NetEase.

Soyez bienveillants, tissez des liens de confiance et sachez quand lâcher prise

Beaucoup de personnes angoissent à cause de la maladie. Il est crucial d’être bienveillant avec les personnes acceptant d’être interviewées et de faire preuve d’empathie. Vous pouvez leur fournir du matériel de protection comme des masques chirurgicaux ou de l’alcool pour la désinfection. Vous pouvez aussi les aider à contacter des organisations pouvant les assister si nécessaire.

Ne vous noyez pas dans les informations sur la maladie. Distrayez-vous en lisant du contenu n’ayant aucun rapport.

« En un mot, faites tout ce que vous pouvez pour aider vos interlocuteurs”, explique Wu Jing. Faire preuve de bienveillance permet de construire un lien de confiance mutuelle et de réaliser une bonne couverture journalistique et aide vos interlocuteurs à s’ouvrir à vous.

Acceptez lorsque certaines personnes refusent d’être interviewées ou ne répondent pas à vos messages. Apprenez à lâcher prise. « Vous devez constamment avoir à l’esprit qu’une personne va peut-être vous refuser une demande d’interview », insiste Wu Jing.

Travaillez en étroite collaboration avec votre rédacteur en chef

Publier une enquête ou un reportage solide dépend autant de la planification et de la collaboration avec votre rédacteur en chef que du travail de terrain des journalistes. Si vous êtes sur place, passer du temps à faire des interviews et à trouver des sujets  d’articles peut vous éloigner des préoccupations de l’opinion publique. C’est à ce moment-là que votre rédacteur en chef peut vous fournir des conseils cruciaux sur l’orientation de votre enquête

Les rédacteurs en chef sont censés être capables d’examiner la situation dans une perspective plus large. Lorsqu’ils travaillent sur un projet important, ils distribuent des affectations aux journalistes et organisent la couverture journalistique et les publications. En plus de cela, il est indispensable que les journalistes restés à la rédaction fournissent un soutien logistique et émotionnel aux journalistes sur le terrain.

Fournissez des explications claires

Pour couvrir les maladies infectieuses, les journalistes doivent posséder des connaissances spécifiques en santé et en médecine. En plus d’effectuer une couverture factuelle, ils doivent être en mesure d’expliquer et de vulgariser des analyses scientifiques. C’est la seule manière de faire en sorte que le public comprenne mieux l’ensemble de la situation.

Prenez soin de vous 

Couvrir une pandémie et suivre toutes les informations importantes au quotidien peut être une expérience traumatisante pour les journalistes. Vous devez prendre soin de vous émotionnellement. Voici les conseils de quelques-uns des journalistes couvrant le COVID-19 à Wuhan :

Ne vous enfermez jamais dans une pièce toute la journée. Assurez-vous de voir et de parler avec vos amis. Choisissez une chambre d’hôtel avec un bon éclairage et une fenêtre avec vue car votre environnement physique peut avoir un impact significatif sur vos émotions. Ne vous noyez pas dans les informations liées à la maladie. Distrayez-vous en lisant ou en regardant du contenu n’ayant aucun rapport. C’est bien de pleurer quand on se sent stressé. Les pleurs sont un bon moyen de libérer vos émotions. Garder une activité physique peut vous aider à gérer les émotions négatives. Essayez la méditation, le yoga ou d’autres formes d’exercice pour vous aider à rester en bonne santé.

L’auteur tient à exprimer sa gratitude à tous les journalistes qui ont partagé leurs conseils avec GIJN.

Joey Qi est le rédacteur en chef de GIJN en chinois. Il a plus de sept ans d’expérience dans le journalisme, dont trois ans en gestion des médias. Il est l’un des fondateurs de The Initium Media, au sein duquel il a créé le service des informations quotidiennes et créé l’équipe de reportage.

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