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Faire toute la lumière sur le lien entre la finance et la dégradation de l’environnement
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Quand on réalise des reportages sur la dégradation de l’environnement, on se concentre souvent sur les activités économiques qui en sont responsables, comme la pêche illicite pratiquée par des équipages non autorisés, la déforestation de zones protégées, ou des projets d’exploitation pétrolière sans permis.
Avec l’assistance des réseaux pour les reportages du Centre Pulitzer — le Réseau pour les investigations sur la forêt tropicale (Rainforest Investigations Network, RIN) et le Réseau pour les reportages sur les océans (Ocean Reporting Network) — nous voulons révéler non seulement ces malversations mais aussi les structures financières qui les encouragent.
Par exemple, pour un reportage sur l’exploitation illégale des forêts dans des aires protégées, nous aidons les journalistes à déterminer qui est propriétaire du terrain en question, qui coupe et vend le bois, qui l’exporte, qui le transforme en meubles, qui importe ce mobilier, et qui le vend aux consommateurs.
Tous les dégâts environnementaux sont liés à de nombreux flux financiers. Nous avons élaboré différentes méthodologies pour les mettre au jour, en fonction de la région, de la juridiction et du secteur.
Mais en plus de remonter la piste de cet argent, nous voulons aussi comprendre les mécanismes juridiques qui rendent possibles ces délits environnementaux. Quand j’ai réalisé des reportages sur le crime organisé, j’ai appris que si vous faites toute la lumière sur un criminel, il se peut qu’il finisse par être arrêté, mais, souvent, un autre prendra sa place. En revanche, si vous montrez comment le gouvernement et le système juridique permettent aux criminels de prospérer, si vous rendez publique un problème systémique, vos reportages peuvent avoir un impact bien plus conséquent.
Ainsi, quand on réalise des reportages sur l’environnement, l’objectif est de révéler comment les gouvernements et les réglementations ouvrent la voie aux chaînes d’approvisionnement liées à la dégradation de l’environnement.
Dans cette série méthodologique, nous expliquons différentes stratégies d’investigation qui permettent de mettre au jour les trois pistes principales de l’argent (propriété, investissement et chaîne d’approvisionnement), ainsi que les mécanismes qui les sous-tendent. Nous proposons aussi des exemples de recherche créative qui nous ont aidés à surmonter les obstacles.
Exemples d’utilisation de la recherche sur les entreprises
Dans le Bassin du Congo, un membre du réseau Rainforest Investigations Network, Didier Makal, a obtenu la liste de 10 sociétés minières qui ont reçu des permis d’exploitation dans les provinces du Haut Katanga et de la Lualaba, en République démocratique du Congo. Pour commencer, nous avons recherché leurs numéros d’immatriculation, les dates de l’établissement de leur siège social, leurs adresses, ainsi que des renseignements sur leurs gestionnaires et leurs propriétaires.
La date de l’établissement du siège social permet de confirmer la chronologie des activités minières. En cherchant des renseignements sur chaque gestionnaire et chaque propriétaire, nous avons établi des liens entre les différentes sociétés. Nous avons aussi découvert que certains propriétaires possèdent également des sociétés en Europe, et que l’une des sociétés par actions était détenue par la succursale canadienne du géant minier suisse Glencore.
Regin Winther Poulsen, membre du réseau Ocean Reporting Network, a enquêté sur le système européen des quotas de pêche. Il a découvert que ces quotas, qui permettent à une société de pêcher certaines espèces dans une zone spécifique, font l’objet d’échanges, et qu’en conséquence, quelques sociétés possèdent une part importante des quotas. Encore une fois, nous avons utilisé les bases de données du monde des affaires pour identifier les filiales, les propriétaires et les partenaires commerciaux des sociétés. Cela nous a permis de constater l’étendue de leur pouvoir sur ce marché. Par ailleurs, nous avons utilisé des bases de données commerciales pour voir comment ces sociétés se vendent et / ou s’achètent du poisson.
Recherche sur les entreprises
Nous commençons généralement par essayer de savoir qui possède les sociétés, les terrains et autres actifs, par exemple un avion ou un camion, impliqués dans la dégradation de l’environnement. Pour ce qui est des sociétés, il faut distinguer différents types.
- Une société cotée en bourse : les renseignements sur ses actionnaires et ses finances se trouvent sur le site d’une place boursière ou sur un site spécialisé dans les réglementations – la société souhaite informer ses actionnaires sur sa solidité financière. Vous devrez donc faire preuve de méfiance quand vous consulterez ces rapports de gestion, même s’ils ont été vérifiés (par exemple, lors d’un audit).
- Comme son nom l’indique, une société d’Etat est la propriété de l’Etat. Toutefois, souvent, l’Etat n’est pas le seul actionnaire. Il peut être utile de procéder de la même manière que pour une société privée pour déterminer qui sont les autres propriétaires.
- Une société privée. Sa structure peut prendre différentes formes. En fonction du type de la société et de sa taille, elle devra déclarer différentes informations, ce qui aura une incidence sur la quantité de renseignements que vous pouvez trouver à son sujet, par exemple, l’identité de son propriétaire. Nous vous proposons des informations sur les différents types de sociétés, mais nous utiliserons une méthodologie générale pour découvrir qui en est propriétaire.
Des entrepreneurs créent des sociétés parce qu’ils ne veulent pas être assimilés à une entité financière. Si une entreprise fait faillite, les propriétaires ne veulent pas devoir payer les dettes, par exemple, si elle est débitrice auprès de banques, d’agents immobiliers, de fournisseurs ou d’employés.
C’est à ce stade que l’on parle du concept de responsabilité limitée. Les propriétaires d’une société ne sont redevables que de l’argent qu’ils ont investi dans la société.
Types de sociétés privées :
- Sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL)
Ce sont les sociétés privées les plus répandues. Les propriétaires ont une responsabilité limitée. Le nom des sociétés se termine par SARL en France, par BVBA en Belgique, BV aux Pays-Bas, Limited ou Ltd au Royaume-Uni, GmbH en Allemagne et LLC aux USA.
- Partenariats d’affaires
Les associés se partagent les profits mais sont aussi redevables pour les pertes. Il s’agit souvent de sociétés comptables ou juridiques.
- Partenariats à responsabilité limitée
La responsabilité des associés est plafonnée, comme dans le cas d’une société anonyme. Ce type de société est souvent utilisé pour les fonds spéculatifs et les sociétés d’investissement privé.
- Sociétés en commandite simple (SCS)
Beaucoup de multinationales immatriculent des sociétés en commandite aux Pays-Bas, où elles n’ont pas à payer d’impôts si l’activité économique est exercée par des associés, des filiales souvent, dans un autre pays.
- Sociétés par actions et filiales
Les sociétés par actions sont des sociétés dont la seule raison d’être est de posséder des filiales. Elles sont souvent créées quand un groupe de personnes possèdent plusieurs entreprises. Par exemple, X possède la société par actions A, qui, à son tour, possède les sociétés B et C. Ce type de société peut aussi être utilisé pour éviter de payer des impôts en mettant tous les profits des filiales dans la société par actions, puis en immatriculant cette société dans un pays où le taux d’imposition est faible. Il arrive qu’une chaîne de sociétés par actions soit créée dans différents Etats qui sont très discrets sur l’identité des propriétaires.
- Sociétés offshore
On appelle société offshore toute société immatriculée dans un Etat où elle ne fait pas d’affaires. Souvent, les entrepreneurs ont recours à ce type de structure pour des raisons fiscales. Le Panama, les Bahamas, le Luxembourg, Jersey et les Pays-Bas, entre autres, ont des secteurs économiques entiers consacrés à la création de telles sociétés. Ce qui prête à confusion, c’est que souvent, on appelle aussi sociétés offshore les sociétés qui aident les entrepreneurs à créer leur société offshore.
- Trusts
Cette structure est utilisée pour créer une distinction juridique entre les personnes et leurs biens. Un administrateur, qui n’est pas le propriétaire, détient les biens mais, à terme, c’est le propriétaire qui les détiendra tous. Cette structure peut être utilisée pour éviter de payer des impôts et pour dissimuler des biens, les trusts n’étant pas obligés de publier leurs comptes.
- Fondations et organismes à but non lucratif
Parfois, la société par actions est une fondation ou un organisme à but non lucratif. Dans de nombreux pays, ces structures ne sont pas soumises à l’impôt, mais elles sont tenues de fournir des informations sur leurs finances. Aux Etats-Unis, il est possible d’avoir accès à leurs déclarations en consultant le site de l’IRS (Internal Revenue Service).
Pour analyser les sociétés privées, l’équipe de recherche du Centre Pulitzer utilise les registres des sociétés et les bases de données des sociétés comme Sayari. Il s’agit de l’une des bases de données les plus accessibles quand on veut savoir qui possède quelle société presque n’importe où dans le monde. Sayari effectue des recherches dans les documents et les données de très nombreux pays.
Ce genre de base de données nous facilite le travail quand on essaie de découvrir des réseaux d’affaires internationaux, parce qu’elle indique si le gestionnaire ou le propriétaire d’une société est également impliqué dans une autre société, même dans un autre pays. Par ailleurs, on peut faire une recherche par nom, pour savoir dans quelles sociétés une personne donnée est impliquée, alors que la plupart des registres des sociétés ne vous permettent de faire une recherche qu’à partir du nom de la société. Ce type de base de données est souvent utilisé par les personnes qui travaillent dans la finance et dans la fonction publique et qui effectuent des vérifications sur des sociétés.
Quand vous n’avez pas accès à ce genre de base de données, la première chose à faire est de vérifier l’existence ou la dénomination légale d’une société, et ce en consultant la base de données gratuite OpenCorporates. Elle vous proposera des informations élémentaires comme l’adresse, la date d’immatriculation et la nature de l’activité de la société. En fonction de l’Etat où la société est immatriculée, vous verrez aussi qui la gère et qui en est propriétaire. Vous pouvez aussi rechercher le nom d’une personne en utilisant l’outil de recherche “Officers”, mais il est peu probable que vous trouviez toutes les sociétés dans lesquelles la personne en question est impliquée.
Consultez ensuite les registres de la société. Dans chaque pays, Etat ou province, une société doit se faire immatriculer pour pouvoir exercer une activité économique. Un grand nombre de pays proposent des renseignements en ligne sur les sociétés qui y sont immatriculées (et leurs liens hyper texte apparaissent souvent, entre autres informations disponibles sur OpenCorporates). La quantité d’informations qui vous sera proposée, la manière dont vous pourrez effectuer une recherche et ce qu’il vous en coûtera ? Tout dépend du pays. Autre facteur critique : la taille de la société.
Au Royaume-Uni, par exemple, le registre suit des règles différentes pour les sociétés qui ont :
- un chiffre d’affaire de 12,8 millions de dollars ou moins
- des actifs au bilan de 6,4 millions de dollars ou moins
- 50 employés ou moins
Ces sociétés peuvent ainsi soumettre au registre leurs comptes financiers selon des schémas abrégés et demander à être exemptées d’audit. Elles ne sont pas tenues de soumettre un rapport de gestion.
Dans certains pays, en Belgique et au Royaume-Uni, par exemple, l’accès aux registres du commerce est gratuit, et ils proposent des informations sur les propriétaires, ainsi que les originaux de documents, ce qui est idéal. Vous pouvez utiliser les données enregistrées sur les sites ou examiner les originaux de documents. Parmi les documents importants : l’établissement du siège social, les comptes annuels et l’avis d’opéré. Le contenu des documents varie selon les pays, et les sites de certains registres ne sont pas toujours faciles d’utilisation. Cela vaut cependant la peine de passer un peu de temps à explorer les sites et les documents.
A l’autre extrémité, on trouve des pays qui ne proposent pas de bases de données en ligne. D’autres, comme les Emirats arabes unis, en ont, mais vous permettent seulement de vérifier un nom. La plupart des registres du commerce en ligne sont entre les deux : certains vous permettent de télécharger des documents payants ou de souscrire un abonnement. Les informations proposées varient aussi selon les pays. Si les informations en ligne ne portent pas sur les propriétaires, comme c’est le cas pour l’Etat de New York, par exemple, vous pouvez tenter votre chance en demandant les originaux de l’établissement du siège social, qui mentionnent parfois les fondateurs (ce n’est pas le cas pour l’Etat de New York).
S’il n’y a pas de base de données de registre du commerce, essayez de trouver un Journal Officiel ou une revue spécialisée dans les entreprises. Dans beaucoup de pays, on trouve des publications qui répertorient les immatriculations des sociétés et, parfois, les changements de propriétaires.
Supposons que la juridiction où l’entreprise sur laquelle vous enquêtez est immatriculée, ne dispose pas de registres en ligne. Dans ce cas, vous pouvez toujours essayer de trouver des informations qui ont fuité, et qui sont gratuites, par exemple dans les dossiers Offshore Leaks, du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et Aleph, de l’OCCRP. Les archives juridiques, les communiqués sur les personnes politiquement exposées et les révélations sur les dépêches du Département d’Etat américain, par exemple, peuvent contenir des informations sur les propriétaires d’une société.
Si un pays ne propose pas d’informations publiques sur les sociétés qu’il héberge, on peut en conclure qu’il garantit le secret financier aux sociétés qui y sont immatriculées pour dissimuler l’identité du ou des propriétaires.
Si vous êtes bloqué, il reste des alternatives. Par exemple, utilisez les fonctions de recherche avancées de Google pour rechercher des diaporamas (filetype:ppt) ou des PDF (filetype:pdf) mis en ligne par une société lors d’une conférence ou bien enregistrés sur son site. Vous pouvez aussi utiliser LinkedIn ou d’autres réseaux sociaux pour identifier des personnes qui travaillent dans une entreprise donnée. Cependant, ce genre d’information sera plus difficile à utiliser que des originaux de documents quand il s’agira de faire du fact-checking sur l’immatriculation de la société.
Dans le prochain article de notre série, nous examinerons d’autres techniques de recherche créative pour surmonter les obstacles. Les journalistes de nos réseaux et les membres de notre équipe qui travaillent sur les données et effectuent des recherches nous expliqueront comment savoir qui est le propriétaire d’un terrain, retrouver la trace d’investisseurs financiers, suivre les chaînes d’approvisionnement et analyser les comptes des sociétés.
Jelter Meers est responsable de la recherche au sein de l’Unité d’investigations sur l’environnement du Centre Pulitzer, qui comprend le Réseau pour les investigations sur la forêt tropicale (Rainforest Investigations Network) et le Réseau pour les reportages sur les océans (Ocean Reporting Network). Il a débuté en tant que journaliste d’investigation au Centre du journalisme d’investigation du Midwest, dans l’Illinois, où il a réalisé des reportages dans lesquels il demandait des comptes aux autorités sur le logement, les travailleurs immigrés et les grandes exploitations agricoles.

