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NYPD CCTV camera surveillance
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New York, « surveillance city »? L’enquête collaborative qui a localisé 15.000 caméras

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A l’aide d’images fournies par 15.280 caméras de surveillance disséminées dans New York et d’un logiciel de reconnaissance faciale, la police de la ville est en mesure de suivre à la trace des individus circulant à Manhattan, Brooklyn et dans le Bronx, révèle une nouvelle enquête d’Amnesty International. Voici comment la mobilisation de milliers de volontaires du monde entier a permis de dévoiler ce système invasif et discriminatoire.

Le Département de police de la ville de New York (NYPD) a la capacité de suivre à la trace des personnes à Manhattan, à Brooklyn et dans le Bronx en transférant les images prises par 15.280 caméras de surveillance dans des logiciels intrusifs et discriminatoires de reconnaissance faciale, révèle une nouvelle enquête d’Amnesty International publiée le 3 juin 2021.

Des milliers de volontaires du monde entier ont participé à l’enquête, localisant 15.280 caméras de surveillance à diverses intersections dans Manhattan (3 590), Brooklyn (8 220) et le Bronx (3 470). Ensemble, ces trois arrondissements regroupent près de la moitié des intersections (47 %) de New York, ce qui constitue une vaste surface de surveillance systématique.

« La police peut se servir de ce réseau tentaculaire de caméras à des fins de reconnaissance faciale intrusive, ce qui risque de transformer New York en une cité de la surveillance digne d’un roman d’Orwell », a déclaré Matt Mahmoudi, chercheur sur l’Intelligence artificielle et les droits humains à Amnesty International.

« Vous n’êtes jamais anonymes » Matt Mahmoudi, chercheur sur l’Intelligence artificielle et les droits humains à Amnesty International

« Vous n’êtes jamais anonymes. Que vous participiez à une manifestation, vous rendiez à pied dans un quartier précis ou que vous alliez juste faire des courses à l’épicerie, votre visage peut être suivi grâce à la reconnaissance faciale, qui s’appuie sur les images prises par des milliers de caméras disséminées à travers New York. »

 

Le quartier East New York à Brooklyn, dont la population se décompose en 54,4 % de Noirs, 30 % de Latino-américains et 8,4 % de Blancs d’après les dernières données de recensement, est le quartier le plus surveillé des trois arrondissements. On y dénombre pas moins de 577 caméras installées aux intersections.

Une amplification de la discrimination raciale dans les opérations de maintien de l’ordre

Les services de police de la ville de New York (NYPD) se sont servis des technologies de reconnaissance faciale dans 22.000 cas depuis 2017 – dont la moitié pour la seule année 2019. En scannant les images des caméras via les logiciels de reconnaissance faciale, la police peut suivre le visage de chaque habitant·e de New York lors de ses déplacements à travers la ville.

Ces technologies fonctionnent en comparant les images prises par les caméras avec les millions de visages stockés dans les bases de données de la police, dont beaucoup proviennent de sources comme les réseaux sociaux, alors que les utilisateurs n’en sont pas informés et n’ont pas donné leur consentement. Elles sont largement reconnues comme amplifiant la discrimination raciale dans les opérations de maintien de l’ordre et sont susceptibles de menacer le droit à la libéré de réunion pacifique et le droit à la vie privée.

Au cours de l’été 2020, la reconnaissance faciale a vraisemblablement servi à identifier et tracer un participant à une manifestation du mouvement Black Lives Matter, Derrick « Dwreck » Ingram, accusé d’avoir hurlé dans l’oreille d’un policier. Lorsqu’ils sont arrivés à son appartement, les policiers n’ont pas été en mesure de présenter un mandat de perquisition.

Amnesty International et ses partenaires de la coalition de la campagne Ban the Scan ont soumis plusieurs requêtes au titre de la Loi sur la liberté d’information aux services de police de New York, demandant de plus amples informations sur l’ampleur de l’utilisation de la reconnaissance faciale à la lumière de l’affaire concernant Derrick « Dwreck » Ingram. Ces requêtes ont été rejetées, tout comme l’appel déposé par la suite.

« On déplore l’absence criante d’informations quant à l’utilisation des logiciels de reconnaissance faciale par la police de New York : les New-Yorkais et les New-Yorkaises ne savent donc pas si et quand leur visage sert à les suivre à travers la ville », a déclaré Matt Mahmoudi.

Les problèmes des services de police de la ville New York en matière de racisme et de discrimination systémiques sont bien connus – tout comme les préjugés des technologies de reconnaissance faciale à l’égard des femmes et des personnes de couleur. Se servir de ces technologies avec des images issues de milliers de caméras disséminées à travers la ville décuple le risque de racisme lors des opérations de maintien de l’ordre et de harcèlement des manifestant·e·s, et pourrait même conduire à des arrestations injustifiées.

« Les technologies de reconnaissance faciale peuvent être utilisées par les États – et elles le sont – pour cibler délibérément certains individus ou certains groupes sur la base de caractéristiques comme leur origine ethnique, leur couleur de peau ou leur genre, en l’absence de soupçons raisonnables et individualisés d’infraction pénale. »

 

Les recherches d’Amnesty International ont permis de modéliser le champ de vision très étendu du réseau de vidéosurveillance à New York. Par exemple, l’intersection de Grand Street et Eldridge Street, située près de la limite de Chinatown, se trouve près d’un lieu clé où se sont déroulées des manifestations Black Lives Matter. Notre enquête a détecté trois caméras Argus du Département de police de la ville de New York autour du site, en plus des quatre autres caméras publiques et de plus de 170 caméras privées de surveillance qui, d’après notre modélisation, ont la capacité de suivre les visages depuis une distance de pas moins de 200 mètres… soit jusqu’à deux blocs.

Une armée numérique de volontaires dévoile la véritable ampleur de la surveillance

Plus de 5.500 volontaires ont participé au travail de recherche initié le 4 mai 2021 dans le cadre de la plateforme innovante les « décodeurs » d’Amnesty. Ce projet se poursuit pour collecter des données sur les deux derniers arrondissements de New York. D’ores et déjà, 38.831 sites ont été analysés à travers la ville.

Une contribution des volontaires équivalant à plus de 10 ans de travail pour un chercheur travaillant à plein temps

Il s’agit d’un effort mondial : des volontaires de 144 pays ont participé, le groupe le plus nombreux (26 %) se trouvant aux États-Unis. En seulement trois semaines, ils ont contribué à hauteur de 18.841 heures – soit plus de 10 ans de travail pour un chercheur travaillant à plein temps aux États-Unis. Les participants ont reçu des images de Google Street View de divers lieux dans la ville de New York et on leur a demandé de localiser les caméras, chaque intersection étant analysée par trois personnes. Le nombre total regroupe les caméras de surveillance publiques et privées, les deux pouvant être utilisées par les technologies de reconnaissance faciale.

« La situation est limpide : dans le monde entier, des citoyen·ne·s s’inquiètent vivement du risque que la reconnaissance faciale représente pour nos sociétés », a déclaré Matt Mahmoudi.

C’est pourquoi Amnesty International et la coalition regroupant plus d’une dizaine d’organisations basées à New York appellent les autorités à interdire l’usage des technologies de reconnaissance faciale par tous les organes gouvernementaux dans la ville de New York.

« Les sénateurs de l’État, les conseillers municipaux et les futurs candidat·e·s au poste de maire n’ont qu’une seule option : interdire l’utilisation des systèmes de reconnaissance faciale. Sinon, ils risquent de faire de New York une cité de la surveillance tout droit sortie d’un roman totalitaire. »

Cet article « Surveillance city » : 15 000 caméras permettent à la police de New York de suivre au moyen de la reconnaissance faciale les habitants à Manhattan, à Brooklyn et dans le Bronx a initialement été publié par Amnesty International. Il est publié ici avec l’autorisation d’Amnesty. 

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