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L’ancien président Jacob Zuma a démissionné en février 2018 suite aux révélations explosives des médias sud-africains amaBhungane, Daily Maverick et News24 le liant à des affaires de mauvaise conduite et de corruption.

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14 conseils pour changer le journalisme d’investigation en Afrique

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L’ancien président Jacob Zuma a démissionné en février 2018 suite aux révélations explosives des médias sud-africains amaBhungane, Daily Maverick et News24 le liant à des affaires de mauvaise conduite et de corruption.

Le premier média à but non lucratif en Afrique a été fondé il y a 10 ans. Des médias de ce type ont depuis vu le jour dans plus de 20 pays sur le continent. Ce chiffre ne cesse de croître.

Ce constat fait, il s’agit désormais de comprendre les facteurs de cette prolifération. Qui finance ces médias, et comment ? Ces nouvelles organisations ont-elles un impact en Afrique ? Je me suis penché sur ces questions au cours de six mois de recherche à l’Institut Reuters pour l’Étude du Journalisme de l’université d’Oxford, et en ai tiré la conclusion suivante : à l’heure où les principaux médias traditionnels africains échouent dans leur rôle de contre-pouvoir, ce sont les médias à but non lucratif qui investissent le champs, en scrutant comme jamais auparavant les activités des puissants.

En Afrique du Sud, le centre de journalisme d’investigation amaBhungane, une organisation composée d’environ 10 reporters, a contribué à terrasser un président en exercice. Au Nigeria, Premium Times, un autre média dédié au journalisme d’investigation, a révélé des affaires de pots-de-vin qui ont mené à l’arrestation de personnages importants au sein du gouvernement et de l’armée – et ce malgré les fonds limités du groupe. Enfin, au Botswana, le centre INK, une organisation fondée par des reporters insatisfaits, dont je suis, a mis en lumière des cas de corruption et de violations de droits de l’homme dans un pays pourtant souvent érigé en modèle de démocratie africain.

Bien que j’aie étudié une douzaine d’autres organisations journalistiques à but non lucratif en Afrique, mon attention s’est portée principalement sur ces trois médias.

Suite à mes recherches, j’ai compilé une liste de 14 conseils pour aider les médias à but non lucratif du continent à prospérer, avec le soutien apporté par des sociétés mécènes et d’autres organisations à but non lucratif. Ceci est essentiel pour s’assurer que ces médias vulnérables continuent à demander des comptes aux puissants, ainsi qu’à servir le public efficacement.

Investir dans de nouveaux médias à but non lucratif

« L’obstacle principal au journalisme d’investigation en Afrique est le manque de financement pérenne ». Où sont les organisations mécènes locales pleines de bonnes volonté quand le journalisme en a le plus besoin ? Ces organisations devraient être encouragées à financer le journalisme d’investigation à but non lucratif. Ces médias seraient bien inspirés de rentrer en contact avec des organisations donatrices en Afrique afin de compléter l’apport de groupes tels que la fondation Ford, les fondations Open Society et la fondation MacArthur.

À l’exception de médias comme amaBhungane en Afrique du Sud, quasiment tous les médias à but non lucratif dépendent de dons venus de l’étranger pour leur survie. Dépendre exclusivement d’organisations internationales pourrait poser problème sur le long terme. Pour le dire simplement, ce modèle n’est pas pérenne.

Augmenter les dons et promesses de dons

Les donateurs s’engagent-ils dans la durée ? Les organismes de don internationaux qui soutiennent le journalisme d’investigation en Afrique devraient envisager des campagnes de financement sur plusieurs années.

« Les médias africains seraient avisés de trouver des sources multiples de revenus, en s’assurant qu’un donateur contribue à moins de dix pour cent du budget annuel »

D’après Stefaans Brümmer d’amaBhungane, cela réduirait la charge administrative pour les deux parties ainsi que le risque d’une « intervention éditoriale passive », lorsque des donateurs retirent leur soutien en fin d’année du fait d’une ligne éditoriale qui leur a déplu.

Cela permettrait également aux donataires de se fixer des objectifs stratégiques à plus long terme. Afin de servir au mieux leurs lecteurs, les médias à but non lucratif doivent s’assurer du soutien inconditionnel de leurs donateurs.

Augmenter le nombre de médias à but non lucratif

Les organisations qui en ont les moyens devraient financer de nouveaux médias à but non lucratif sur le continent. Ce type de média est en plein essor en Afrique, mais souffre encore d’un manque de moyens. La plupart des journalistes d’investigation africains que j’ai eu l’occasion d’interroger sur le sujet ont exprimé leur souhait de passer d’un modèle lucratif à un modèle non lucratif, afin de protéger leur indépendance et de produire des enquêtes d’intérêt public. L’obstacle principal est le manque de fonds suffisants à la réalisation de tels projets.

Diversifier les sources de dons

Il est dangereux de dépendre pour plus de la moitié de ses revenus du seul soutien d’un seul donateur. Les médias seraient avisés de trouver des sources multiples de revenus, en s’assurant qu’un donateur contribue à moins de dix pour cent du budget annuel. L’objectif est difficile, mais il peut être atteint. Si elle y arrive, l’organisation se donne les moyens de poursuivre ses activités même dans le cas du retrait d’un de ses donateurs. Obtenir le soutien d’un plus grand nombre de donateurs assure également plus d’indépendance vis-à-vis de chacun d’entre eux.

Développer un modèle de financement participatif

Qu’attendez-vous pour laisser le public financer votre travail ? Ce moyen peut déplaire à certaines organisations (voir l’étude dans son intégralité), mais il est important que les médias à but non lucratif encouragent une contribution citoyenne régulière au journalisme d’investigation. En 2017, environ 19 pour cent des fonds d’amaBhungane provenaient de campagnes de financement participatif. D’autres médias peuvent s’en inspirer. Quand bien même ce modèle ne subviendrait pas à tous leurs besoins, il n’en reste pas moins utile, et est parfois même plus efficace que des méthodes de levées de fonds plus conventionnelles.

Installer un mur payant mais poreux

Tout le monde ne sera pas d’accord avec cette recommandation. La plupart des médias d’investigation à but non lucratif rejettent l’idée d’un mur payant, préférant assurer la gratuité de leurs contenus. Mais ces médias produisent des articles de grande qualité à haut frais sans dédommagement financier. Leurs lecteurs devraient soit s’abonner soit payer leur accès à tel ou tel article. Les médias à but non lucratif devraient également réfléchir à des moyens de se financer autres que par le don.

Employer des leveurs de fonds professionnels

Les levées de fonds sont indispensables à la survie des médias à but non lucratif, mais ce travail est rude, voire décourageant. Ces organisations en Afrique devraient embaucher des leveurs de fonds professionnels pour prendre en main ces activités. Les levées de fonds sur le continent sont le plus souvent gérées par les journalistes eux-mêmes. Ces derniers ne sont pas qualifiés, la plupart du temps, pour ce genre de travail.

« Les médias africains à but non lucratif devraient davantage s’associer pour être plus efficaces en tant que contre-pouvoirs »

Les journalistes d’investigation ne sont pas des gestionnaires

Les médias à but non lucratif en Afrique sont fondés par des journalistes qui assument immédiatement des postes de direction. Dans la plupart des cas, ils jonglent entre responsabilités éditoriales et administratives, ce qui peut nuire à la bonne conduite de ces organisations. Celles-ci devraient embaucher des gestionnaires professionnels pour les superviser et pour permettre aux journalistes de se focaliser sur les tâches éditoriales. Si cela n’est pas possible, les journalistes dirigeant ces organisations devraient recevoir une formation rigoureuse en gestion d’entreprise.

Créer un fonds de dotation pour le continent

Les mécènes et organisations à but non lucratif devraient envisager la création d’un fonds continental de dotation géré par d’éminents africains, avec la représentation des donateurs. Le fonds devrait servir l’objectif affiché de soutenir le travail de journalistes d’investigation à but non lucratif et de leurs organisations, y compris en les aidant sur des questions de durabilité, de protection personnelle et de protection des données, de normes déontologiques, ainsi qu’en les protégeant en cas de litiges, d’harcèlement et d’emprisonnement.

Collaborations internationales

Les médias africains à but non lucratif devraient davantage s’associer pour être plus efficaces en tant que contre-pouvoirs. Des organisations internationales telles que le Consortium international du journalisme d’investigation (ICIJ) ont beaucoup œuvré à la naissance d’un esprit collaboratif entre journalistes africains. Pour donner quelques exemples, l’ICIJ a travaillé de manière efficace avec des journalistes africains sur des projets tels que Fatal Extraction, les Panama Papers et les Paradise Papers, qui traitaient de flux financiers illicites. Pour étendre cette pratique du journalisme, il faudrait créer davantage de collaborations, au niveau local, pour traiter de sujets tels que le braconnage, le trafic d’êtres humains, le terrorisme, la crise des réfugiés et bien d’autres encore.

Rendre les enquêtes plus digestes

La plupart des articles d’investigation de qualité en Afrique traités dans cette étude n’ont suscité que peu d’intérêt dans l’opinion publique, qui les trouvait trop longs, trop compliqués, trop alambiqués et parfois trop abstraits. Les médias devraient envisager de découper les articles les plus longs en papiers plus courts, donc plus digestes. Ils peuvent y arriver en se servant de supports audiovisuels, de graphiques, d’illustrations, voire même en faisant preuve d’humour.

« Les structures plus petites sont en réalité plus faciles à gérer. Leurs équipes éditoriales ne devraient pas compter plus de 10 membres »

Abandonner le papier, passer en ligne

Les médias à but non lucratif travaillent en étroite collaboration avec d’autres médias, que ce soit des journaux ou des chaînes de télévision et de radio, en plus des réseaux sociaux. INK, amaBhungane et d’autres médias à but non lucratif ont signé des accords avec de grands médias pour leur fournir du contenu. Cette façon de faire n’est pas durable, les journaux ne dictant plus l’agenda politique du fait d’une circulation en déclin.

Par ailleurs, les médias traditionnels ne souhaitent pas acheter ce contenu. Premium Times, au Nigeria, a démontré qu’il était possible de développer un lectorat fidèle autour de contenus publiés en ligne, sans dépendre des journaux.

Penser petit, mais efficace

Les médias à but non lucratif n’ont pas vocation à être de grandes structures, puisqu’ils disposent de budgets très limités. Alors que cela peut sembler désavantageux, les structures plus petites sont en réalité plus faciles à gérer. Leurs équipes éditoriales ne devraient pas compter plus de 10 membres. Avec ses six journalistes, amaBhungane a pu produire des enquêtes à fort impact qui ont contribué à la chute d’un président en exercice.

Ne pas quitter le sujet des yeux – l’exclusif n’est pas notre métier

Les médias grand public ont pour objectif de révéler des informations quotidiennement. Ce n’est pas le cas des médias d’investigation. Leurs journalistes peuvent être tentés de suivre l’actualité, pour concurrencer les médias grand public sur leur propre terrain, mais cette étude recommande aux médias à but non lucratif de laisser les révélations à ceux dont c’est le cœur de métier, et de se focaliser au contraire sur le recoupement d’informations multiples et sur leur rôle de contre-pouvoir. Ce faisant, les nouveaux médias gagneront en crédibilité tout en économisant leur temps et leur argent.

 

Ntibinyane Ntibinyane est un journaliste botswanais et le cofondateur du média d’investigation à but non lucratif INK. Journaliste depuis 10 ans, Ntibinyane Ntibinyane a fait ses classes au Botswana Guardian et au Midweek Sun, où il était reporter. En 2014, il a été nommé rédacteur-en-chef du journal Mmegi, avant de fonder INK en 2015.

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