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Cinq conseils pour travailler avec des lanceurs d’alerte en France

Conseils de Pros a été créé par GIJN pour relayer des conseils méthodologiques spécifiquement pour les journalistes francophones. Si vous avez une idée d’article sur des techniques ou ressources pour enquêter, écrivez-moi à marthe.rubio@gijn.org.

Sources parmi d’autres, les lanceurs d’alerte permettent aux journalistes d’obtenir des informations de première main. Employés des entreprises ou administrations qu’ils mettent en cause, ou bénéficiant d’un accès privilégié en tant que parent d’élève, conseiller municipal ou encore patient, ils permettent de révéler des scandales ou de prévenir les crises sanitaires, écologiques ou sociales. Si les médias peuvent leur être d’une aide cruciale dans leurs combats, ils peuvent aussi, parfois, les mettre en danger. Voici quelques conseils pour concilier droit de savoir et devoir de protection.

1. Renseignez-vous sur les risques encourus par les lanceurs d’alerte et les aides dont ils peuvent bénéficier

Les journalistes sont souvent le dernier recours de lanceurs d’alerte qui font les frais au mieux d’une indifférence, au pire de représailles après avoir signalé des faits répréhensibles. Cet état de fait est, à vrai dire, souhaitable : toute alerte rendue publique trop tôt risquerait de priver son auteur de tout droit à une protection.

Depuis 2016, la loi française garantit aux lanceurs d’alerte un certain nombre de droits,  par exemple une protection contre le licenciement ou toute sanction professionnelle. Toutefois, pour y prétendre, le lanceur d’alerte doit avoir suivi une procédure stricte : il doit avoir, en premier lieu, signalé les faits en interne, puis, en l’absence de réaction dans un délai raisonnable, s’être adressé à une autorité externe (autorité judiciaire, administrative, ordre professionnel…). Si celles-ci ne donnent pas suite dans les trois mois, il peut alors contacter des médias ou des ONG. Seuls les cas où il existe un danger grave et imminent font exception.

Retrouvez tous les autres articles publiés dans notre série “Conseils de Pros”

Ces dispositions devraient évoluer d’ici la fin 2021 avec la transposition de la directive adoptée par l’Union Européenne en 2019. Mais les médias resteront un dernier recours : cette directive prévoit un droit d’option permettant au lanceur d’alerte de choisir, en premier lieu, entre la voie interne et les autorités externes mais cette étape reste requise avant de rendre l’alerte publique.

La question à se poser est donc : est-ce le bon moment pour publier mon enquête ? Ma source ne risque-t-elle pas d’être pénalisée par cette publication ?

N’oubliez pas que l’anonymat n’est jamais garanti, même lorsque vous dissimulez le nom de la personne qui a fait fuiter des informations. La confidentialité est en pratique difficile à maintenir : les lanceurs d’alerte font souvent partie d’un groupe restreint de personnes étant les seules à connaître la situation. Ils sont alors identifiables en retraçant la nature des informations divulguées.

En cas de doute, demandez à votre source si elle a un avocat à qui demander conseil ou orientez-la vers la Maison des Lanceurs d’Alerte, dont les juristes sont régulièrement confrontés à ce cas de figure. Ils sauront indiquer au lanceur d’alerte à qui adresser son signalement avant d’envisager de rendre les faits publics, et l’informer sur ses droits en cas de représailles.

2. Protégez également les sources intermédiaires, les commentateurs et les relais de l’alerte

Le devoir de protection ne doit pas mettre de côté les alliés du lanceur d’alerte susceptibles d’alimenter l’enquête. Associations, syndicats, inspecteurs du travail… peuvent appuyer la crédibilité du lanceur d’alerte et la gravité des faits. Mais la loi française ne les protège pas, ou pas bien. La protection accordée aux lanceurs d’alerte ne concerne en effet que les individus, et non les organisations. Aucune disposition ne préserve actuellement ceux qui facilitent ou relaient des alertes.

Le cas de Laura Pfeiffer est à ce titre emblématique : inspectrice du travail, elle a reçu par un salarié des documents attestant d’une collusion entre une entreprise qu’elle contrôlait et son propre supérieur hiérarchique. Souhaitant signaler ce délit, elle les a transmis à des syndicats et l’affaire n’a pas tardé à faire la une de l’actualité. Début 2021, elle a été condamnée pour violation du secret professionnel et recel de documents obtenus au prix d’une atteinte au secret des correspondances.

L’inspectrice du travail Laura Pfeiffer a été condamnée en 2021 pour violation du secret professionnel. Capture d’écran.

Les sources intermédiaires que sont les associations militantes ne bénéficient par ailleurs pas des mêmes privilèges que les journalistes en matière de protection des sources. Or les pratiques de surveillance à leur encontre sont monnaie courante. La cellule Demeter, mise en place par le Ministère de l’Intérieur en partenariat avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), permet par exemple aux autorités de convoquer des responsables associatifs qui font campagne contre des pratiques agricoles abusives (maltraitance animale, usage irrégulier de pesticides…) et de les interroger sur les personnes qui les renseignent. Une situation dans laquelle ces « relais d’alerte » ne peuvent se prévaloir d’aucun droit à la protection des sources.

3. Ne faites aucune concession sur la sécurité informatique

Dans ce contexte, la sécurité des données et des communications numériques est d’une importance cruciale. Cet enjeu vient naturellement à l’esprit d’un journaliste et pourtant, les bonnes pratiques ne suivent pas toujours. Disposer d’un outil sécurisé pour transmettre des documents ne suffit pas : celui-ci doit s’intégrer dans un environnement global où les échanges et les stockages sont sécurisés. Si vous recevez des documents par une voie chiffrée mais que vous les stockez en clair ou que vous en parlez avec vos collègues via WhatsApp, les informations qu’ils contiennent ne sont plus sécurisées. Et avec elles, l’identité du lanceur d’alerte.

Les médias jouent un rôle crucial pour faire basculer l’opinion publique en faveur des lanceurs d’alerte et inverser le rapport de force

Les arrangements nécessaires pour garantir des échanges sécurisés peuvent être contraignants et ralentir l’enquête. Ils peuvent nécessiter de prendre du temps pour se former et former, à notre tour, des lanceurs d’alerte parfois réticents. Il est alors tentant d’opter pour la simplicité d’outils auxquels le lanceur d’alerte est déjà habitué bien qu’ils n’offrent pas les garanties nécessaires.

Si l’utilisation de logiciels de cryptage est à même de décourager les technophiles les plus aguerris, opter pour Signal plutôt que Whatsapp est en revanche une étape simple. Choisir des phrases plutôt que des mots de passe (plus longs, plus sécurisés) ; utiliser des logiciels libres (Nextcloud plutôt que Google Drive), idéalement hébergés sur ses propres serveurs ; bannir son téléphone des salles de réunion sont également à la portée d’un néophyte.

4. Évitez le misérabilisme

La rédaction des articles est également un sujet sensible. Insister sur les difficultés rencontrées par le lanceur d’alerte et les représailles qu’il subit peut sans conteste présenter un intérêt stratégique pour mobiliser sur son cas. Mais il ne faut pas perdre de vue l’impact qu’une approche trop misérabiliste peut avoir à long terme. Comment retrouver du travail lorsqu’il est de notoriété publique qu’il nous a été impossible de travailler pendant plusieurs années et qu’on sort d’un burn-out ?

Pour être protégé, un lanceur d’alerte doit avoir signalé les faits en interne, puis, en l’absence de réaction dans un délai raisonnable, s’être adressé à une autorité externe

À l’inverse, le portrait du lanceur d’alerte peut servir sa cause s’il insiste sur le courage dont cette personne a fait preuve ; la loyauté qu’elle avait envers son entreprise et qui l’ont poussée à dénoncer des faits pouvant lui porter préjudice ; son sens de l’intérêt général et de la déontologie…

5. Donnez suite

Enfin, n’oubliez pas que, pour le lanceur d’alerte, l’histoire ne s’arrête pas après la publication de l’enquête. Les représailles peuvent s’aggraver. C’est parfois même à ce moment-là qu’elles commencent. Le lanceur d’alerte peut alors avoir besoin d’un soutien médiatique pour y faire face. Lui ou son comité de soutien peuvent lancer une cagnotte pour financer les frais de justice dont le succès peut dépendre de sa médiatisation. Les associations qui relaient l’alerte peuvent se voir directement ou indirectement sanctionnées en conséquence : refus d’agrément, retrait ou baisse de subvention, dénigrement… Les médias jouent alors un rôle crucial pour faire basculer l’opinion publique en leur faveur et inverser le rapport de force. Raconter cet épilogue est, pour eux, tout aussi important que l’histoire elle-même et votre réseau peut les y aider.

Lectures complémentaires

Comment collaborer avec des lanceurs d’alerte
Lanceurs d’alerte : l’essor des plateformes numériques et leur fonctionnement

Blandine Sillard est chargée du développement et de la communication de la Maison des Lanceurs d’Alerte, une association qui œuvre à l’amélioration de la protection des lanceurs d’alerte en France et leur propose un accompagnement juridique, psychologique et financier.

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International

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