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Snapchat Snap Map
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A recent Snapchat Snap Map showing recent posts from Kabul, Afghanistan. Image: Screenshot

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Enquêter sur Snapchat : Questions-réponses avec Paul Bradshaw

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Snapchat, Snap Map, Instagram, TikTok et autres réseaux sociaux peuvent servir à recueillir des informations. Illustration : Shutterstock

Snapchat peut être utile aux journalistes à la fois pour trouver des sources, des images de lieux inaccessibles, mais aussi pour promouvoir leurs enquêtes. Le data journaliste Paul Bradshaw a expliqué à GIJN comment les journalistes peuvent exploiter ce réseau social. 

Suite à la chute de Kaboul, on a craint que l’Afghanistan ne sombre dans l’oubli. La majeure partie de la presse internationale avait quitté le pays, ainsi que certains journalistes afghans. Parmi ceux restés sur place, certains ne souhaitaient pas se rendre sur leur lieu de travail ou entreprendre des reportages de terrain, par crainte de représailles des talibans.

Le média Rest of World a alors rappelé à ses lecteurs qu’ils pouvaient se tourner vers l’application Snap Map de Snapchat pour un aperçu de la vie quotidienne à Kaboul, telle que publiée par les habitants de la ville eux-mêmes.

Dans les semaines qui ont suivi le retrait des forces occidentales, on a pu voir sur Snapchat des images d’une manifestation pour les droits des femmes, de rues et de marchés déserts, d’une université où les étudiants et les étudiantes étaient apparemment séparés par un rideau. A ces images se sont évidemment ajoutées des photos de la vie quotidienne – plats cuisinés, selfies d’hommes au volant, ongles vernis – qui montraient des activités somme toute banales, alors même que le contexte était devenu tout à fait extraordinaire.

Cela nous a fait réfléchir : Snapchat, célèbre pour ses avatars et ses vidéos éphémères, peut-il servir d’outil de reportage, voire de support de publication ? La Columbia Journalism Review a mis en lumière huit médias qui utilisent Snapchat pour partager leurs contenus, du Wall Street Journal au National Geographic en passant par Mashable. Mais qu’en est-il des journalistes d’investigation ? Comment peuvent-ils se saisir de cette application ? Et quelles sont les meilleures façons de l’aborder ?

Snapchat image

Le logo de Snapchat. Image : Shutterstock

Snapchat – un réseau social qui héberge entre autres des images, des vidéos, des messages et l’outil cartographique susmentionné – compte désormais 306 millions d’utilisateurs quotidiens, soit une hausse de 23 % d’une année sur l’autre. Environ un tiers des utilisateurs se trouvent aux États-Unis et 80 millions en Europe. Il y en a 130 millions dans « le reste du monde ». La plateforme – où les contenus restent en ligne brièvement avant de disparaître – atteint plus de 75 % des 13-34 ans aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en France, en Australie et aux Pays-Bas.

Le dernier rapport de l’Institut Reuters sur l’actualité numérique a souligné la portée potentielle de médias numériques tels que TikTok (où les utilisateurs peuvent créer de courtes vidéos en boucle), Snapchat et Instagram, notamment en ce qui concerne l’utilisation de ces plateformes par les moins de 35 ans. Le rapport a également mis en évidence l’utilité pratique de ces plateformes. Les manifestants du monde entier publient leurs revendications et leur actualité sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de manifestations anticorruption au Pérou ou de manifestations en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie, en Thaïlande et au Myanmar. Les journalistes peuvent y puiser des sources d’informations et, dans les régions où les médias sont soumis à certaines restrictions, des informations essentielles.

« Dans de nombreux cas », écrivent les auteurs du rapport Reuters, à propos de TikTok, « les autorités semblent avoir été prises de court par une plateforme qu’elles ne comprennent pas. »

Nous avons publié un article sur les enquêtes qui se sont appuyées sur TikTok l’an dernier, mais qu’en est-il de Snapchat ? Pour en savoir davantage, nous avons interviewé Paul Bradshaw, professeur associé de data journalisme et de journalisme mobile à l’université Birmingham City et fondateur du site de journalisme d’investigation participatif, Help Me Investigate (Aidez-nous à enquêter).

Paul Bradshaw est l’auteur du « Online Journalism Handbook » (Manuel de journalisme en ligne), a contribué à « Investigative Journalism » et a rédigé le livre numérique « Snapchat for Journalists » (Snapchat à l’usage des journalistes). Il figure sur une liste de pionniers médiatiques dressée par le site Journalism.co.uk et a travaillé comme consultant et formateur au sein de la BBC.

paul bradshaw profile

Paul Bradshaw, auteur du « Online Journalism Handbook ». Capture d’écran

GIJN : Parlez-nous de Snapchat, et de son utilité pour les journalistes d’investigation.

PB : Je pense que Snapchat peut effectivement leur être utile. Parmi les fonctions de la plateforme qui peuvent être explorées, je citerais en premier lieu la géolocalisation et le suivi d’individus présents sur la plateforme.

Comme la plupart des réseaux sociaux, Snapchat propose différents niveaux de confidentialité. Certains choisissent de désactiver la géolocalisation. Mais d’autres autorisent le suivi géographique ou rendent leur compte public, ce qui peut donner un aperçu de la vie quotidienne en Afghanistan, dans le Michigan, à Paris : c’est presque comme si l’on s’y rendait en vrai. On peut y observer la banalité du quotidien mais aussi les événements marquants. 

Cela dit, l’utilisation n’est pas toujours aisée : pour accéder à toutes les informations publiées sur l’application, il faut être sur son téléphone portable. Et puis les contenus ne durent qu’un temps. 

La courte durée de vie des parutions a été le principal argument de vente de Snapchat dans le marché des réseaux sociaux : jusqu’à l’arrivée de Snapchat, les messages publiés sur les réseaux sociaux étaient censés être pérennes. La non-permanence des messages Snapchat pose problème aux journalistes. Il est néanmoins possible de sauvegarder des informations avant qu’elles ne disparaissent. Il est également utile de le faire sur d’autres plateformes plus pérennes : un tweet en ligne aujourd’hui ne le sera pas forcément dans un an. Sur Snapchat, vous êtes en tout cas sûr qu’un contenu ne durera pas.

GIJN : Comment les journalistes qui enquêtent sur un individu ou un événement peuvent-ils archiver les vidéos pertinentes ?

PB : Vous avez différents outils à votre disposition. Sur de nombreux téléphones portables, vous pouvez réaliser des captures d’écran afin de sauvegarder les photos et vidéos disponibles sur Snapchat. Des applications et modules permettent également de sauvegarder les contenus Snapchat. Ceux-ci changent en permanence, mieux vaut donc rechercher sur Google lesquels permettent au mieux d’archiver Snapchat. 

Il est plus difficile de suivre ce qu’il se passe sur Snapchat que sur les autres plateformes. Il est néanmoins possible de créer une alerte qui vous préviendra de toute mise à jour d’un compte particulier. Puisque Snapchat n’est pas accessible via un navigateur Internet, ou via des interfaces de programmation dignes de ce nom, il peut être difficile de s’y retrouver.

Encore un conseil : ne cherchez pas les contenus Snapchat uniquement sur Snapchat. Beaucoup de gens les publient également sur Twitter et Instagram, comme c’est le cas pour TikTok.

Une récente carte Snap Map montrant les publications depuis Kaboul, en Afghanistan. Capture d’écran

GIJN : Snap Map, sur Snapchat, permet à tout le monde – même aux non-utilisateurs – de se focaliser sur une zone géographique donnée, qu’il s’agisse d’une ville californienne en proie à un incendie de forêt ou de la capitale afghane, Kaboul, et de voir ce qu’y est publié. En quoi cela peut-il être utile aux journalistes ? Peut-on se servir de cet outil pour trouver un individu : par exemple, si des journalistes en Russie veulent géolocaliser la fille du président Poutine ?

PB : Snap Map est un outil particulièrement utile, semblable à ce que propose Instagram. Il est bon de connaître l’existence de ces outils et de se tenir au courant de leurs évolutions. Leur utilisation varie d’un pays à l’autre. Dans certains endroits, vous n’aurez pas beaucoup de contenus car peu de gens utilisent l’application.

L’outil peut également servir à localiser des personnes. Si leur compte est verrouillé, vous pouvez passer par le compte de leurs amis ou de leurs parents, qui sont peut-être moins prudents. Je ne sais pas ce qu’il en est de la fille de Poutine, mais vous pouvez rechercher des personnes, une région donnée, un mot-dièse, par exemple le mot-dièse d’un événement auquel ils assistent.

Vous ne verrez évidemment rien de ce qui a été publié en mode privé, et vous trouverez de nombreux contenus sans lien avec le sujet qui vous intéresse. L’autre problème concerne le suivi des personnes : il est peu probable que les personnes que vous souhaitez surveiller vous acceptent comme ami – et dans tous les cas vous ne voudrez sans doute pas les prévenir de votre enquête. Il va sans dire que les mêmes considérations éthiques s’appliquent à l’usage d’une fausse identité sur Snapchat qu’ailleurs : le subterfuge doit être légitime ; sur le plan juridique, il convient de s’interroger sur une possible atteinte à la vie privée, et sur la validité d’une défense reposant sur l’intérêt général. Ce sont des discussions importantes à avoir en interne avant de réaliser ce genre d’enquête.

GIJN : Qu’est-ce qui différencie Snapchat des autres réseaux sociaux en tant que source d’informations, et dans quelle mesure est-il important que les journalistes se saisissent de ce genre d’outil ?

PB : Snapchat est un outil qu’il est bon de maitriser. Lorsque vous réalisez des enquêtes ou que vous suivez des individus, cette application peut être utile au même rang que Twitter, Facebook, Instagram et toute autre plateforme qui a du succès dans la région qui vous intéresse.

Snapchat convient également à un travail de narration. Il y a toute une série [d’outils et d’applications] que tous les journalistes devraient connaître, c’est un langage à part entière. En y publiant vos travaux, vous pourrez peut-être atteindre de nouveaux publics. C’est un bon moyen de parler d’un média, d’une enquête, ou de vos méthodes.

Il s’agit aussi de se rendre accessible aux sources. On peut vous envoyer des informations via Snapchat, et c’est une plateforme très intéressante pour utiliser ce qui vous a été envoyé. Une source peut vous découvrir par le biais de cette application. 

Certaines sources se sentiront plus à l’aise à l’idée de rentrer en contact avec vous sur Snapchat plutôt que sur d’autres plateformes. Le fait que les messages ne durent pas – vous pouvez aussi programmer leur autodestruction – peut rassurer. L’autodestruction des messages est l’un des atouts de la plateforme. Ceux qui ne vont pas sur Facebook ou Twitter sont peut-être des utilisateurs de Snapchat. Cela peut vous donner accès à des sources qui ne connaissent peut-être pas Signal, Telegram ou les options de communication moins connues.

GIJN : Connaissez-vous des journalistes qui ont obtenu des informations utiles à leur enquête grâce à Snapchat ?

PB : C’est notamment le cas de Bellingcat, comme ils le révèlent dans [leur ouvrage] « We Are Bellingcat » (Nous sommes Bellingcat). Ils se sont servi de Snapchat pour rechercher une personne en rapport avec l’une de leurs enquêtes. Des journalistes ont aussi pu découvrir des informations pertinentes par hasard. Plus généralement, Snapchat est souvent cité parmi les plateformes dont les journalistes se sont servi.

Cette interview téléphonique a été condensée par soucis de clarté. 

Ressources complémentaires

Faire des recherches sur les réseaux sociaux avec CrowdTangle et Echosec

Comment utiliser Instagram pour enquêter

Enquêter en utilisant TweetDeck


Laura Dixon est rédactrice adjointe au sein de GIJN et journaliste indépendante au Royaume-Uni. Elle a effectué des reportages en Colombie, aux États-Unis et au Mexique. Ses reportages sont parus dans le Times, le Washington Post et The Atlantic. Son travail a été en partie financé par des bourses de la International Women’s Media Foundation, du Pulitzer Center for Crisis Reporting et du CSIS. 

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International

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