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Les méthodes d’enquête dont raffolent les journalistes d’investigation

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Les techniques préférées des journalistes d'investigation

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En contact régulier avec des journalistes d’investigation du monde entier pour connaître leurs techniques d’enquête, Rowan Philp, journaliste à GIJN, livre ici la vingtaine d’outils et méthodes qui reviennent le plus souvent au fil des échanges.

L’année passée, j’ai eu l’occasion d’interviewer des dizaines de journalistes d’investigation sur leurs techniques d’enquête préférées. Leurs conseils, réunis dans une série d’articles, brassent de nombreuses techniques de collecte d’informations et des outils numériques à même d’améliorer le travail des journalistes qui nous lisent, où qu’ils se trouvent. Cela dit, la plupart des journalistes d’investigation s’accordent à dire qu’une vingtaine de techniques leur sont particulièrement utiles.

La plupart d’entre elles sont gratuites et ne demandent aucune compétence en informatique. Dans certains cas, il s’agit de légers ajustements pour vous aider à contacter des sources difficiles d’accès ou à dénicher des informations qui semblaient insaisissables. 

La semaine prochaine, je reviendrai sur une douzaine d’outils dont raffolent les journalistes. Mais dans un premier temps, voici une douzaine de méthodes régulièrement citées par les journalistes d’investigation.

Lorsque vous frappez à la porte de sources potentielles, utilisez l’astuce du classeur sous le bras. Conscient du problème auquel les journalistes d’investigation sont confrontés lorsqu’ils arrivent à l’improviste au domicile d’une source potentielle – qu’on leur claque la porte au nez après quelques secondes, comme en font l’expérience les vendeurs en porte-à-porte – le journaliste du New York Times Russ Buettner a découvert une tactique pour garder la porte entrouverte juste assez longtemps pour « vendre » l’idée d’une interview. Il recommande d’arriver sur le pas de la porte avec un gros classeur sous le bras. Selon Russ Buettner, qui a utilisé cette tactique pour révéler la fraude fiscale de Donald Trump, investigation récompensée d’un Prix Pulitzer, la simple vue d’un épais dossier donne l’impression que le journaliste connaît déjà la plupart des faits, réduisant d’autant la crainte de votre interlocuteur d’être la principale source de l’enquête. Le classeur peut être rempli de pages blanches, de courriers indésirables ou de n’importe quoi ; l’important est qu’il soit visible.

Parcourez Google Maps pour vous aider à trouver des séquences de vidéosurveillance. Zoomez sur Google Maps jusqu’à ce que les noms des magasins s’affichent puis appelez les gérants de ces magasins pour demander à voir toute vidéo de surveillance qui pourrait montrer l’événement qui vous intéresse. S’ils refusent, envoyez-leur votre premier article sur l’incident, puis demandez à nouveau. Les journalistes disent que les gérants changent souvent d’avis après avoir saisi votre intention.

Tirez le meilleur profit des moteurs de recherche. Les meilleurs journalistes d’investigation utilisent quotidiennement les opérateurs booléens, des outils d’enquête numérique particulièrement puissants. La plupart des utilisateurs de Google savent déjà comment affiner leurs recherches en mettant des guillemets autour des mots-clés et comment utiliser des termes en lettres majuscules, par exemple « OR », pour demander au moteur de recherche d’envisager des alternatives. Il existe d’autres raccourcis de ce genre dont se servent les journalistes depuis des années :

  • “Site:” pour restreindre votre recherche à un lieu en particulier, comme « site: UK » pour le Royaume-Uni, ou « site: https://gijn.org » pour chercher à l’intérieur de ce site web exclusivement.
  • « Ext: » pour rechercher des documents aux formats PDF, CSV et DOC.
  • « AROUND(*) » en majuscules entre deux mots-clés, pour rechercher des documents où ces deux mots pourraient apparaître dans le même paragraphe. Vous pouvez expérimenter avec des chiffres entre parenthèses, pour deviner le nombre total de mots qui pourraient apparaître entre les mots-clés – disons, 17 pour une phrase ou sept pour un titre.
  • L’astuce d’exclusion. Si vous trouvez une séquence vidéo ou une image mystérieuse sur un réseau social, retrouvez les autres sites où elle est apparue en collant le lien sur Google tout en excluant ce réseau social : “-site:youtube.com” pour exclure YouTube ou “-site:Instagram.com” pour Instagram. Le signe moins peut également exclure n’importe quel mot ou être utilisé pour rechercher les mentions d’une personne avant qu’elle n’ait décroché son travail actuel.
Les techniques préférées des journalistes d'investigation

Cette diapositive montre quelques-uns des outils et extensions en sources ouvertes que Jane Lytvynenko de BuzzFeed considère « indispensables » pour enquêter sur la désinformation sur les principales plateformes en ligne – en particulier des groupuscules de droite. Diapositive : Jane Lytvynenko.

 

Effectuez des recherches astucieuses. Par exemple, pour trouver une interview, essayez des phrases qui pourraient y figurer, comme « Smith déclare » ou « Selon Smith » – plutôt que le mot-clé « entretien », qui est peu susceptible d’apparaître dans le texte lui-même. Pour trouver une carte, plutôt que de rechercher le mot « carte » utilisez un mot-clé qui figure sur les cartes, comme « échelle ».

Utilisez « la méthode du géocode » pour trouver des témoins et des pistes d’enquête en temps réel. Plusieurs journalistes décrivent cette méthode comme essentielle, en particulier pour les enquêtes rapides. Tapez l’emplacement approximatif ou l’adresse d’un événement dans Google Maps, faites un clic droit et copiez la longitude et la latitude qui s’affichent sous l’option « What’s Here » (« Qu’est-ce qu’il y a ici »). Sur TweetDeck, saisissez « geocode: » (n’oubliez pas les deux points) et collez-y ce code, en supprimant tous les espaces ou tirets. Enfin, ajoutez simplement une virgule et un rayon – comme « , 1km » pour un kilomètre – et vous obtiendrez tous les tweets et images sur les réseaux sociaux dans ce rayon. Vous pouvez affiner davantage la recherche avec des mots-clés, tels que « raid » ou « flics », pour trouver des publications à cet endroit où les utilisateurs font référence à une thématique précise.


Retrouvez tous nos articles « Mes outils préférés »

Adoptez des outils de cryptage gratuits et faciles d’utilisation. Ne tardez pas à ouvrir un compte Protonmail pour pouvoir envoyer et recevoir des mails cryptés et un compte Signal pour les messages sécurisés. Utilisez un gestionnaire de mots de passe gratuit approuvé par des journalistes, comme LastPass, qui générera des mots de passe sécurisés sous un seul mot de passe principal de votre choix. Utilisez un navigateur sûr comme Firefox et supprimez les navigateurs non pris en charge comme Internet Explorer.

Si votre pays ne dispose pas de lois pour l’accès à l’information, déposez des demandes d’accès aux documents administratifs dans les pays qui en ont, en particulier dans le cadre d’enquêtes sur des questions de surveillance et de sécurité. Puisque les grandes entreprises de technologie de surveillance sont des multinationales et les gouvernements coopèrent régulièrement en matière de sécurité, Beryl Lipton de l’Electronic Frontier Foundation affirme que les journalistes où qu’ils se trouvent peuvent potentiellement trouver des indices sur les logiciels espions utilisés localement en consultant des documents publics dans les pays qui garantissent l’accès à l’information. Consultez le guide de GIJN sur l’utilisation du droit d’accès aux documents administratifs à travers le monde, qui contient une liste des endroits où les demandes d’accès venues de l’étranger sont autorisées. Consultez également le guide de l’IRE pour faire des demandes d’accès transfrontalières. Une autre méthode prisée pour révéler une surveillance étatique consiste à traquer les déplacements à l’étranger d’entreprises qui déclarent vendre leurs logiciels espions uniquement aux États-nations. NSO Group, dont le siège se trouve en Israël, Circles en Bulgarie et Cellebrite sont trois de ces sociétés, selon des groupes de recherche sur les droits de l’Homme.

Les techniques préférées des journalistes d'investigation

Des journalistes d’investigation ont accompagné des employés de crématoriums à Lima pour essayer d’évaluer le nombre de morts du Covid-19 au Pérou. Photo : Omar Lucas, reproduite ici avec l’accord d’IDL-Reporteros

 

Utilisez des sources et ensembles de données alternatives pour évaluer le nombre de décès dus au Covid-19. De la Somalie au Pérou, les journalistes ont utilisé des méthodes innovantes pour vérifier les chiffres officiels sur le nombre de morts liés à la pandémie. Ils ont constaté des sous-dénombrements importants dans la plupart des cas. Parmi les sources alternatives utilisées on peut citer : des chauffeurs d’ambulance, des radios de services d’urgence, des fossoyeurs, des crématoriums et des plateformes locales de données en accès libre. Plusieurs médias ont également comparé le nombre total de décès – « la mortalité toutes causes confondues » – pendant la pandémie avec le nombre de décès sur des périodes antérieures, pour évaluer les décès excédentaires. L’aspiration de données nécrologiques en ligne s’est généralement avérée moins efficace, mais les images satellites de nouvelles fosses communes ont fourni des preuves frappantes de l’augmentation du nombre de décès.

Demandez à des collègues étrangers de rentrer en contact avec les représentants gouvernementaux qui ont refusé vos demandes d’interview. On ne sait pas bien pourquoi, mais des journalistes de plusieurs médias ont déclaré à GIJN que les hauts responsables de gouvernements ont plus tendance à répondre aux questions sensibles lorsque l’appel provient d’un journaliste situé à l’extérieur du pays. Ainsi, dans le cadre d’une enquête récente, un journaliste du média à but non lucratif (et membre de GIJN) OjoPúblico, au Pérou, a appelé les autorités chiliennes ; un collègue au Chili a appelé les autorités en Argentine ; et leur collègue en Argentine a appelé les autorités au Mexique. 

Will Fitzgibbon, qui est basé à Washington et travaille au sein du Consortium international des journalistes d’investigation, explique que l’ICIJ utilise désormais souvent ces appels transfrontaliers. Ainsi, un homme politique togolais a répondu à son appel téléphonique – après avoir refusé les appels de collègues basés au Togo – lorsque le code de numérotation « 202 », celui de Washington, est apparu sur le téléphone. Le responsable a pensé à tort que quelqu’un de l’ambassade du Togo aux États-Unis souhaitait lui parler.

Si vous êtes dans un pays autocratique, effectuez vos reportages comme si vous étiez en démocratie. Les conseils de rédacteurs en chef à leurs collègues journalistes en pays autoritaires peuvent étonner : travaillez comme si les institutions de justice et de redevabilité fonctionnaient dans votre société. Lors du sommet RightsCon en mai, Nic Dawes, rédacteur en chef d’investigation chevronné, a souligné le courage que cette tactique exige, mais a ainsi justifié cette façon de faire : « L’un des moyens de maintenir l’imaginaire démocratique en vie est d’agir… comme si on était en démocratie. » Selon Lina Attalah, rédactrice en chef de Mada Masr, cette approche permet également aux journalistes d’éviter l’autocensure et de ne pas négliger des sujets potentiels en pensant que rien ne se passera après leur publication ou diffusion. 

Flattez les sujets réticents à s’exprimer afin d’obtenir une interview. Même ceux qui ont mal agi peuvent choisir de s’exprimer pour répondre à de fausses accusations. On peut donc obtenir une interview de la manière suivante : défier le sujet sur la seule chose qu’il sait avoir bien fait. J’en ai moi-même fait l’expérience, alors que j’enquêtais pour le Sunday Times d’Afrique du Sud sur un prestataire qui avait construit des habitations à loyers modérés si insalubres que beaucoup s’étaient effondrées suite à une tempête légère, causant de graves blessures. Celui-ci refusait de répondre à mes questions. Un inspecteur en bâtiment que nous avons engagé a découvert une douzaine de problèmes majeurs avec les matériaux de construction, mais, en passant, il a remarqué que les briques elles-mêmes étaient d’excellente qualité. Dans ma dernière demande d’entretien au prestataire, je lui ai écrit : « il y a des doutes sur la qualité des briques que vous avez utilisées ». L’homme était tellement indigné qu’il a accepté l’interview et a même posé pour une photo devant ses bonnes briques – dans une maison pourtant effondrée.

S’associer aux médias concurrents. Les collaborations entre rédactions aident à la réalisation d’enquêtes complexes. De la Russie au Chili, les chargés d’investigation ne cessent d’affirmer que les collaborations transfrontalières renforcent la qualité et l’impact des grandes enquêtes. Selon eux, de nombreux projets ont montré que les médias d’investigation peuvent se faire confiance sur la mise en commun des informations sensibles et des dates de parution. Les rédacteurs en chef insistent qu’il est très rare qu’un média brise l’accord, par exemple en publiant les informations avant ses partenaires. Un projet commun en République démocratique du Congo (RDC) montre comment cette stratégie peut porter ses fruits : la partie reportage du projet a été aidée par les compétences linguistiques d’une rédaction, les compétences en données d’une autre, l’accès aux sources d’une troisième, et le courage à toute épreuve des journalistes locaux sur le terrain. La confiance du public et l’impact de l’enquête ont été renforcés par la promotion croisée et la vérification collective des informations, et la sécurité a été aidée par le fait que les journalistes locaux les plus à risque pouvaient reprendre les informations dès la parution de l’enquête.

Ressources complémentaires

Techniques pour enquêter sur les violences policières

Conseils pour enquêter sur les groupes d’extrême droite à travers le monde

Henk van Ess sur la présentation visuelle d’enquêtes en ligne


Rowan Philp est journaliste au sein de la rédaction de GIJN. Il était précédemment grand reporter du journal sud-africain Sunday Times. En tant que correspondant étranger, il a couvert l’actualité politique, économique et militaire d’une vingtaine de pays.

Ce travail est sous licence (Creative Commons) Licence Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International

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