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Notre sélection des meilleures enquêtes de 2020 en français

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De la Côte d’Ivoire à la Suisse, de la France à la Tunisie, les enquêtes sélectionnées cette année par GIJN ont toutes eu un impact positif sur la société. Elles soulignent plus que jamais le rôle crucial des journalistes d’investigation pour pointer du doigt les failles des institutions et les abus de pouvoir. Elles illustrent également l’évolution du journalisme : la moitié de ces enquêtes ont été réalisées par de jeunes journalistes indépendants, et plusieurs ont été publiées dans le cadre de collaborations internationales, certaines avec le soutien de réseaux d’enquête collaborative ou de bourses.

Elles ont également nécessité le recours à des techniques d’enquêtes en sources ouvertes, au data journalisme ou à des demandes d’informations publiques. Enfin, elles révèlent, pour beaucoup, les liens d’intérêts qui persistent entre les pays africains et les pays occidentaux depuis la colonisation.

Découvrez la sélection d’enquêtes de Marthe Rubio, responsable de la région francophone de GIJN, et de Maxime Domegni, responsable de la région Afrique francophone (GIJN Afrique)

Les ravages du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest

Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire. Photo: PDA via commons.wikimedia.org

En Côte d’Ivoire, le média nord-américain VICE a provoqué une véritable tempête lorsqu’en juin il cite le nom du ministre de la Défense Hamed Bakayoko (devenu entre-temps aussi Premier ministre) comme l’une des personnes présumées appartenant à un vaste réseau de trafic de cocaïne. Les journalistes qui ont mené l’enquête, avec l’appui du programme de soutien aux projets transfrontaliers Money Trail Project, ont présenté l’homme politique ivoirien comme « un pion central dans le trafic de cocaïne ». C’était le troisième article de la série : « Comment votre conso de coke fout la merde en Afrique de l’Ouest ». S’adressant à ses lecteurs, le magazine écrit : « la trace de coke que vous appréciez tant ne fait pas seulement des ravages dans votre piff, mais aussi en Afrique de l’Ouest. » En pleine année électorale, avec des accusations de trafic qui portaient sur un homme politique de premier rang, l’affaire a provoqué un tollé dans toute la région. Hamed Bakayoko a vigoureusement rejeté les accusations, estimant qu’elles vont contre ses principes et sont susceptibles de salir la réputation de son pays. Il a menacé de porter plainte contre les reporters et le média qui ont publié l’enquête.

La RTS, Darius Rochebin et la loi du silence

Illustration : Cecilia Bozzoli. Image publiée avec l’autorisation du quotidien Le Temps.

Pour réaliser cette enquête sur les violences sexuelles au sein de la chaîne publique suisse, le quotidien Le Temps a mobilisé pendant plusieurs mois trois journalistes : Célia Héron, Sylvia  Revello et Boris Busslinger, qui ont recueilli une trentaine de témoignages. Leur travail d’investigation fouillé révèle plusieurs cas de harcèlements et de violences sexuelles au sein de Radio Télévision Suisse (RTS) et montre les lacunes en termes de prévention des violences sexuelles au sein de la chaîne. « J’ai essayé d’alerter mes supérieurs, mais personne n’a voulu m’écouter” témoigne ainsi l’une des victimes présumées, citée anonymement, ajoutant que son agresseur avait été  “couvert et défendu par sa hiérarchie ».

Si les journalistes ne dévoilent pas les noms de la plupart des agresseurs présumés, ils lèvent l’anonymat de l’un d’entre eux, personnalité publique en Suisse : Darius Rochebin, présentateur phare de la RTS pendant plus de vingt ans, embauché en août par la chaîne française LCI. Darius Rochebin a démenti ces accusations et menacé de poursuivre en diffamation le quotidien suisse. Suite à la publication de l’enquête, deux cadres de la RTS ont été suspendus et la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) a lancé une enquête indépendante sur les violences sexuelles au sein de la chaîne. Darius Rochebin n’est toujours pas réapparu sur LCI. 

Une société belge accusée de corruption dans plusieurs pays africains

Un bureau de délivrance des passeports à Madagascar. Photo OCCRP.

Le réseau de journalistes d’investigation de Madagascar MALINA, qui signifie « être vigilant » en langue malgache, a publié une enquête en septembre révélant que la société belge Semlex a usé de corruption pour capter un contrat public d’établissement de documents d’identité pour les Malgaches. Soutenue par l’organisation d’investigation sur les crimes organisés, OCCRP, l’enquête a par ailleurs rappelé qu’au-delà du Madagascar, la même société a déjà été accusée d’être impliquée dans des affaires de pots-de-vin en Gambie et en République Démocratique du Congo. Quelques semaines après la publication de cette enquête, l’OCCRP, Jeune Afrique et le trimestriel indépendant belge Medor ont révélé que l’entreprise aurait signé un contrat avec une société « appartenant  à deux trafiquants d’armes notoires » accusés de fournir des armes à l’ancien président ivoirien durant la guerre civile. Semlex n’a pas réagi à la publication de l’enquête mais a rejeté au préalable ces accusations, estimant être « victime d’une campagne de diffamation ».

Agression, insultes racistes et mensonges de policiers français

Capture d’écran : Loopsider.

Les violences policières, le racisme de la police et l’impunité dont bénéficient les policiers agresseurs en France ont fait l’objet de nombreuses enquêtes journalistiques en 2020 et ont abouti à l’ouverture de plusieurs enquêtes judiciaires. Cette enquête réalisée par David Perrotin publiée par le site d’information français Loopsider est l’une des plus édifiantes et est certainement celle ayant eu le plus de répercussions dans la société française.

Grâce à des images de vidéosurveillance et aux vidéos amateurs filmées par des voisins, elle révèle comment un producteur de musique noir a été agressé, victime de violences racistes et gazé par trois policiers blancs au sein de son propre studio parce qu’il était sorti sans masque, ce qui est interdit à Paris. Surtout, elle démontre que les policiers agresseurs ont établi un faux procès verbal en insinuant la légitime défense, ce qui est démenti par les images. Publiée en pleine mobilisation contre la loi sécurité globale, une loi restreignant la diffusion des vidéos de la police unanimement critiquée par les journalistes français, cette enquête vidéo a été vue plus de vingt millions de fois en 24 heures. Quatre policiers ont été mis en examen et deux ont été placés en détention. 

L’Afrique francophone dans les révélations des FinCEN Files

La CENOZO a coordonné les enquêtes de FinCenFiles en Afrique de l’Ouest, en partenariat avec ICIJ. Image CENOZO/OCCRP.

Les révélations faites par des médias du monde entier en septembre et connues sous le nom de FinCEN Files n’ont pas épargné l’Afrique francophone. La Cellule Norbert Zongo de Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) s’est associée au Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) et à des journalistes de près de 90 pays, dont près de 20 en Afrique, dans le cadre de cette enquête d’envergure internationale. Jamais autant de journalistes africains n’avaient collaboré dans le cadre d’une enquête auparavant. Leurs révélations ont montré comment des criminels, des politiciens et d’autres personnes font circuler de l’argent, souvent secrètement et illicitement, à travers le monde. Près d’une dizaine d’enquêtes sur des pays d’Afrique francophone, allant du Cameroun, du Niger, du Bénin, du Togo, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, sur le trafic d’or et d’armes et les transactions internationales suspectes, ont été relayées sur le site de la CENOZO.

Le Revers de la médaille 

Capture d’écran du site de Disclose.

Les journalistes indépendants Mathieu Martinière et Daphné Gastaldi ont enquêté pour le média d’investigation à but non lucratif Disclose sur les violences sexuelles dans le sport en France. En s’appuyant notamment sur des coupures de presse locales publiées depuis 1970, ils ont recensé 77 affaires judiciaires marquées par des dysfonctionnements majeurs dans 28 disciplines sportives différentes. Ces affaires ont impliqué 276 victimes, la plupart âgées de moins de 15 ans au moment des faits. Au lieu de se focaliser sur les agresseurs, les journalistes se sont concentrés sur les dysfonctionnements des mécanismes de prévention et de protection en milieu sportif. Ils ont ainsi révélé que dans les clubs amateurs, les éducateurs bénévoles ayant déjà été condamnés pour pédocriminalité peuvent exercer sans aucun contrôle de leur casier judiciaire ou que des encadrants ont été maintenus en poste avec des mineurs alors qu’ils étaient sous le coup d’une procédure judiciaire ou condamnés pour violences sexuelles. 

Cette enquête, publiée mi décembre 2019, a provoqué un véritable séisme dans le monde du sport. Quelques jours après sa publication, le ministère des sports a créé une « cellule » spéciale pour recueillir les témoignages de victimes de violences sexuelles dans le sport. Depuis sa création, 313 personnes issues de 80 fédérations ont été mises en cause pour viols ou agressions sexuelles. 

Nethys : les coulisses de l’enquête du Soir 

Capture d’écran du quotidien Le Soir.

L’affaire Nethys est un scandale de corruption qui secoue la Wallonie depuis fin 2016. Elle a débutée lorsque le journaliste d’investigation belge David Leloup a révélé dans l’hebdomadaire Le Vif les emplois fictifs de plusieurs mandataires de l’intercommunale liégeoise Publifin (aujourd’hui Enodia), affiliée au groupe Nethys. Depuis, cette affaire s’est transformée en véritable saga politico-financière, dont les dernières révélations ont été faites à l’automne 2019 par le journal Le Soir : vente secrète de trois filiales, versement d’indemnités astronomiques aux managers… etc., qui ont été récompensées par le prix Belfius.

Dans ce podcast diffusé début 2020 réalisé par Le Soir, les journalistes du quotidien belge Xavier Counasse, Alain Jennotte et Joël Matriche racontent les coulisses de leur enquête au long cours et expliquent aux auditeurs tous les rebondissements de la couverture de cette affaire tentaculaire.

Un pilier présumé du génocide des Tutsis retrouvé en France

Photos publiées avec l’autorisation de Théo Englebert.

Au terme de huit mois d’enquête, le journaliste indépendant Théo Englebert a retrouvé en France, dans la banlieue d’Orléans, l’un des hommes les plus recherchés par le Tribunal international pénal du Rwanda (TPIR) avant sa dissolution en 2015: Aloys Ntiwiragabo. Ancien responsable des renseignements pendant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, fondateur du groupe armé des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), il est soupçonné d’être l’un des principaux acteurs du génocide qui a fait près d’un million de morts. Pour le retrouver, Théo Englebert a utilisé des méthodes d’enquête en sources ouvertes, effectué des demandes d’informations publiques aux administrations françaises mais a aussi eu recours à la filature. Après la publication de cette enquête dans Mediapart en juillet, la France a ouvert une enquête pour crimes contre l’humanité et le Rwanda a émis un mandat d’arrêt international contre Aloys Ntiwiragabo.  

En Tunisie, après Ben Ali, les dégâts… et l’impunité

Une décennie après la chute de l’ancien dictateur Zine El-Abidine Ben Ali, les Tunisiens continuent de découvrir l’ampleur des dégâts économiques de son régime. Photo: Ray_LAC via flickr.com.

En Tunisie, la population continue de découvrir l’ampleur des dégâts du régime de l’ex-dictateur de Zine El Abidine Ben Ali. En janvier, le média indépendant Inkyfada a pu révéler comment, entre 2008 et 2009, deux importantes transactions impliquant une compagnie nationale ont profité uniquement à la famille présidentielle de l’époque. Selon leur enquête, l’entreprise aurait été dirigé uniquement pour satisfaire les caprices de l’ancien chef d’Etat. Que ce soit pour vendre des actions détenues par ladite compagnie à des proches du président ou pour acquérir un nouvel avion présidentiel, dès que le chef d’État l’exigeait, tout le système se mettait en branle. Depuis, l’entreprise n’a connu que des difficultés et des pertes. Mais les journalistes expliquent qu’il y a peu de chances que des coupables soient jugés : la loi dite de réconciliation aurait permis d’enterrer ce dossier et de couvrir les personnalités impliquées.

Lectures complémentaires :

Comment un journaliste indépendant a retrouvé l’un des piliers présumés du génocide des Tutsis au Rwanda

Comment des journalistes d’investigation tunisiens ont construit un modèle économique qui garantit leur indépendance

Violences sexuelles : les journalistes françaises qui font bouger les lignes

Violences policières : comment un journaliste freelance a réussi à briser un tabou médiatique en France


Marthe Rubió est l’éditrice francophone de GIJN. Elle a travaillé en tant que data journaliste au sein du journal argentin La Nación et comme journaliste indépendante pour Slate, El Mundo, Libération, Le Figaro ou Mediapart. 

 

Maxime Domegni est l’éditeur francophone de GIJN Afrique. Il a été récompensé par des distinctions en journalisme d’investigation et a travaillé avec différentes organisations telles que la Fondation Hirondelle basée en Suisse, l’organisation néerlandaise RNW Media, la BBC, etc.  Il est membre de plusieurs organisations de journalisme d’investigation à l’instar de la CENOZO, l’AIPC et l’ICIJ et est basé au Sénégal .

 

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